George Soros

Président du Soros fund management et de l'Open society foundation

Le choix de l'Allemagne

Le 10 avril 2013 à 17h44

Modifié 9 avril 2021 à 19h44

  FRANCFORT, 9 avril 2013 – La crise de l'euro a d’ores et déjà transformé une Union européenne initialement destinée à constituer une association volontaire d'États égaux en un périmètre de relations créancier-débiteur dont il est désormais difficile de s’extraire. Les pays créditeurs risqueraient des pertes financières considérables si jamais l’un des États membre venait à quitter l’union monétaire ; et pourtant, les pays débiteurs sont soumis à des politiques qui accentuent leur récession, alourdissent le fardeau de leur dette, et perpétuent leur position de subordonnés. La crise menace ainsi aujourd’hui de détruire l’UE elle-même. Il s’agirait d’une tragédie d’ampleur historique, que seul le leadership allemand peut empêcher. 

Les causes de la crise ne peuvent être pleinement comprises si nous n'admettons pas la défaillance fondamentale de l'euro : en créant une banque centrale indépendante, les États membres sont devenus endettés dans une monnaie qu’ils ne contrôlent pas. Initialement, autorités et acteurs du marché considéraient l'ensemble des obligations étatiques comme non risquées, incitant de manière perverse les banques à privilégier les obligations les plus fragiles. Lorsque la crise grecque a fait apparaître le spectre du défaut, les marchés financiers ont réagi par vengeance, reléguant les membres les plus lourdement endettés de la zone euro au statut de pays du Tiers monde surendettés dans une monnaie étrangère. Par la suite, les États membres lourdement endettés ont été traités comme seuls responsables de leur malheur, et le défaut structurel de l'euro n'a pas été corrigé.

Une fois ces problématiques comprises, la solution émerge quasiment d'elle-même. Cette solution peut être résumée en un mot : les euro-bonds.

S’il était possible aux États qui se conforment au Pacte budgétaire de l'UE de convertir l’intégralité de leur stock de dette étatique en euro-bonds, l’impact positif serait proche du miracle. Le risque de défaut disparaîtrait, de même que les primes de risque. Les bilans des banques bénéficieraient d'un coup de fouet immédiat, de même que les budgets des États lourdement endettés.

L’Italie, par exemple, pourrait économiser jusqu’à 4 % de son PIB, son budget s’orienterait vers l’excédent, et la relance budgétaire pourrait remplacer l'austérité. Ainsi, son économie entrerait en croissance, et son ratio de la dette diminuerait. La plupart des problèmes à priori insolubles s’évaporeraient littéralement, et nous nous réveillerions du cauchemar.

Conformément au Pacte budgétaire, les États membres seraient autorisés à émettre de nouveaux euro-bonds, uniquement pour remplacer ceux arrivés à maturité ; au bout de cinq ans, l’encours de la dette serait progressivement ramené à 60% du PIB. Si un État membre venait à contracter des dettes supplémentaires, il ne pourrait alors emprunter qu’en son nom propre. Le Pacte budgétaire a certes besoin d’un certain nombre de modifications afin de garantir que les pénalités pour non-respect des règles soient automatiques, rapides, et d’une sévérité mesurée, dans un but de crédibilité. Un Pacte budgétaire plus resserré permettrait d’éliminer pratiquement tout risque de défaut.

Ainsi, Il est erroné de croire que les euro-bonds seraient de nature à ruiner la cote de crédit de l'Allemagne. Au contraire, la comparaison des euro-bonds avec les obligations américaines, britanniques et japonaises jouerait en faveur des euro-bonds.

Bien évidemment, les euro-bonds ne sont pas une panacée. Le coup de fouet apporté par ces euro-bonds pourrait s’avérer insuffisant pour garantir une relance ; il se pourrait qu’une stimulation budgétaire et/ou monétaire supplémentaire soit nécessaire. Un tel problème constituerait pour autant un luxe. Plus problématique cependant, les euro-bonds ne permettraient pas d’éliminer les écarts de compétitivité. Il serait toujours nécessaire aux États de procéder individuellement à des réformes structurelles. L’UE aurait également besoin d’une union bancaire afin que les crédits puissent être disponibles pour tous les États, selon des dispositions égales. (Le sauvetage de Chypre a encore davantage accentué ce besoin, en rendant la partie encore plus inéquitable.) Quoi qu’il en soit, un consentement allemand aux euro-bonds permettrait de transformer l'atmosphère politique, et de faciliter les réformes nécessaires.

Malheureusement, l'Allemagne est farouchement opposée aux euro-bonds. Depuis que la chancelière allemande Angela Merkel a opposé son veto à une telle proposition, les arguments en faveur des euro-bonds n'ont même pas été considérés. L'opinion publique allemande ne réalise pas combien le consentement aux euro-bonds serait bien moins coûteux et bien moins risqué que la poursuite de la démarche actuelle consistant à ne fournir qu'un effort minimum pour préserver l'euro.

L'Allemagne a bien sûr le droit de s'opposer aux euro-bonds. Mais elle n’a pas le droit d’empêcher les pays lourdement endettés de s’extraire de leur misère en s’unissant pour émettre des euro-bonds. Si l'Allemagne entend s'opposer définitivement aux euro-bonds, elle devrait envisager de quitter la zone euro. Étonnamment, dans l'hypothèse d'un tel départ, la comparaison des euro-bonds émis par une zone euro sans Allemagne jouerait toujours – par rapport aux obligations américaines, britanniques et japonaises – en faveur des euro-bonds.

Ceci peut être expliqué de manière simple. Dans la mesure où l’ensemble de la dette accumulée est libellée en euro, le fait de savoir quel État quitte l’euro peut faire toute la différence. En cas de départ de l’Allemagne, l’euro se déprécierait. Les pays débiteurs retrouveraient leur compétitivité. Leur dette diminuerait de manière réelle et, s’ils étaient en mesure d’émettre des euro-bonds, le risque de défaut disparaîtrait. Leur dette deviendrait soudainement viable.

Dans le même temps, la majeure partie du fardeau de l’ajustement reviendrait aux États ayant quitté l’euro. Leurs exportations deviendraient moins compétitives, et ils rencontreraient sur leurs marchés nationaux une forte concurrence issue de la zone euro. Ils connaîtraient également des pertes sur leurs créances et leurs investissements libellés en euro.

En revanche, en cas de départ de l’Italie, la charge de la dette du pays libellée en euro deviendrait écrasante, et il serait nécessaire de procéder à une restructuration, ce qui plongerait le système financier mondial dans le chaos. Ainsi, si un État devait quitter la zone euro, il serait préférable qu'il s'agisse de l'Allemagne, et non de l'Italie.

Il est capital que l’Allemagne procède à un choix entre une acceptation des euro-bonds ou un départ de la zone euro. En revanche, quant à savoir laquelle des deux alternatives serait préférable pour l'Allemagne, la réponse apparaît moins évidente. Il appartient aux électeurs allemands de décider.

Il est clair que si un référendum était organisé aujourd’hui en Allemagne, les partisans d'une sortie de l'euro le remporteraient haut la main. Une prise de conscience plus profonde pourrait cependant faire changer d’avis le peuple. Les Allemands pourraient ainsi réaliser combien le prix d’une autorisation allemande des euro-bonds a été exagéré, et combien le prix d’une sortie de la zone euro a été sous-estimé.

L'ennui, c'est que l'Allemagne n'est pas contrainte de faire un choix. Elle peut poursuivre sa ligne de conduite actuelle consistant à ne fournir qu'un effort minimum pour préserver l'euro. C’est aujourd’hui clairement le choix privilégié par Merkel, au moins jusqu’aux prochaines élections.

L'Europe se porterait infiniment mieux si l'Allemagne procédait à un choix définitif entre les euro-bonds et la sortie de la zone euro, quelle que soit la décision prise ; l'Allemagne évoluerait en effet elle aussi vers une situation plus favorable. À mesure que le contexte se détériore, cette situation est vouée à devenir écrasante à long terme. Une désintégration désordonnée, engendrée par les récriminations mutuelles et les aspirations non satisfaites, laisserait l'Europe dans un état encore plus grave qu'à l'époque où fut entreprise cette démarche audacieuse d'unification. Un tel dénouement n'est évidemment pas dans l'intérêt de l'Allemagne.

Traduit de l’anglais par Martin Morel

© Project Syndicate

 

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