Anne-Marie Slaughter

Présidente et PDG de New America

La sauvegarde de la sécurité nationale par l’éducation

Le 1 décembre 2014 à 15h08

Modifié 9 avril 2021 à 20h26

WASHINGTON, DC – De l’émergence de l’État islamique aux visées expansionnistes de la Russie et à l’essor de la Chine, les défis posés à la sécurité nationale des Etats-Unis ne manquent pas. Mais comme le démontre un rapport publié récemment (Worthy Work, Still Unlivable Wages – Un travail louable, mais des salaires toujours indigents), la menace potentielle la plus grave pour l’avenir des Etats-Unis est l’incapacité du pays à fournir une éducation et des soins adéquats aux enfants de moins de cinq ans.  

Si les très jeunes enfants ne bénéficient pas de l’attention d’éducateurs qualifiés qui savent comment stimuler et façonner le développement des fonctions cérébrales, la prochaine génération d’Américains souffrira d’un taux de réussite en déclin constant par rapport à leurs contreparties des pays avancés et des pays émergents concurrents. Et pourtant les Américains ne payent pas mieux ces professionnels qualifiés qu’ils ne payent ceux qui garent leur voiture, promènent leur chien, préparent leurs hamburgers ou leurs cocktails. L’implication est claire : les enfants américains ne méritent pas une attention plus assidue que des animaux ou des objets inanimés.

C’est une grave erreur. Les soins prodigués durant la petite enfance forgent les capacités d’apprentissage, de résilience émotionnelle, de confiance et d’indépendance d’une personne pour le reste de sa vie. En fait, la garde d'enfants et l'éducation préscolaire de qualité, durant les cinq premières années de la vie, ont une plus grande influence sur le développement des individus que tout autre intervention ultérieure.

Développer les facultés cérébrales est aussi important que nourrir le corps

Ce constat n’est pas nouveau. Le livre "Neurons to Neighborhoods: The Science of Early Childhood Development", (Des neurones aux voisinages, la science du développement de la petite enfance), publié il y a plus de dix ans par l’Académie nationale des sciences des États-Unis, commence par souligner que, de la conception à la première classe de maternelle, le rythme de développement est plus rapide «qu’à toute autre étape de la vie». Ce développement «est façonné par une interaction dynamique et permanente entre la biologie et l’expérience».

Cette observation est aujourd’hui validée par les neurosciences, qui ont déterminé comment le cerveau se développe au cours de cette période et mis un système au point pour évaluer les déficits d’apprentissage. Ces recherches ont confirmé que développer les facultés cérébrales est tout aussi important que nourrir le corps pour produire des adultes intelligents, productifs, résilients et en bonne santé.

Une récente étude a compilé les résultats du Carolina Abecedarian Project, une expérience sociale menée depuis le début des années 1970 en Caroline du Nord. Cette étude a consisté à comparer deux groupes d’enfants défavorisés : l’un des groupes a bénéficié d’une nutrition excellente et de soins stimulants de haute qualité, huit heures par jour de la naissance à l’âge de cinq ans, tandis que l’autre groupe recevait des aliments et des soins ordinaires. Quatre décennies plus tard, les adultes ayant reçu un traitement d’exception n’étaient pas seulement en meilleure santé, ils avaient également quatre fois plus de chances d’avoir obtenu un diplôme d’études supérieures.

Les soins dispensés durant la petite enfance vont clairement au-delà de la distribution de biscuits et de jus de fruits, de la surveillance des siestes et des jeux au parc. Selon Megan Gunnar, une professeure spécialisée dans le domaine d’interaction de la psychologie du développement et des neurosciences, un éducateur de jeunes enfants «doit être capable d’analyser ce qui se passe à un moment donné» et de déterminer quel concept – qu’il soit numérique, linguistique ou physique – l’enfant pourrait être en train d’acquérir. Réagir «à l’instant, de façon dynamique, nécessite de réelles capacités analytiques et fonctions exécutives, implique de pouvoir ordonner et penser avec méthode, tout en disposant d’un large éventail d’informations».

Les enfants américains sont affectés par le stress

Malheureusement pour les enfants américains, les connections actives du cortex préfrontal, qui gèrent ces compétences, sont directement affectées par le stress. Et aux Etats-Unis, la grande majorité des éducateurs préscolaires subissent un stress économique intense. En 2012, près de la moitié des familles d’éducateurs bénéficiait d’une aide de l’État, que ce soit sous forme de coupons alimentaires ou d’assurance maladie pour les enfants.

Ce stress économique n’est pas atténué par les années d’étude. Un enseignant du secteur public ayant un diplôme d’études supérieures ou universitaires gagnait 88.000 dollars par an en 2012. Un éducateur préscolaire, ayant les mêmes qualifications, ne gagnait que 27.000 ou 28.000 dollars par an.

L’exception est le département américain de la Défense, qui rémunère les enseignants selon le même barème que les autres employés de la Défense, sur la base de la formation, de l’éducation, de l’ancienneté et de l’expérience. En d’autres termes, le département du gouvernement américain directement responsable de la sauvegarde de la sécurité nationale reconnaît la nécessité d’attirer et de garder des éducateurs hautement formés pour fournir des soins et un enseignement précoces aux enfants de leurs employés. Serait-ce parce que les responsables civils et militaires de la Défense américaine ont pu de leurs propres yeux constater les coûts induits par un développement intellectuel retardé, l’hyperactivité et l’incapacité à contrôler ses impulsions ?

Pour être compétitifs dans une économie numérique mondialisée, les Etats-Unis – en fait, tous les pays – ont besoin d’une main d’œuvre éduquée, innovatrice et en bonne santé. La formation d’une telle main d’œuvre commence à la naissance. Quiconque est capable de changer les couches d’un bébé. Mais éveiller, stimuler et interagir avec un bébé ou un très jeune enfant, et plus difficile encore, favoriser les compétences correspondant au stade de développement de l’enfant, n’est pas à la portée de chacun.

Les Etats-Unis ont le secteur technologique le plus dynamique au monde – en grande partie parce que les entreprises du secteur offrent les salaires élevés nécessaires pour attirer les meilleurs. On obtient ce pour quoi on paye, et les Américains payent trop peu pour que leurs enfants s’épanouissent.

Traduit de l’anglais par Julia Gallin

© Project Syndicate 1995–2014


 

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