Abdou Filali-Ansary

Philosophe et islamologue marocain.

La quête de légitimité dans les contextes musulmans : Un drame en quatre actes (1)

Le 25 avril 2013 à 9h32

Modifié 11 avril 2021 à 2h34

Lorsqu’on veut comprendre les changements qui affectent l’idée de légitimité politique telle qu’elle est reçue dans la société, on  doit reconnaître que les événements historiques ne se valent pas. Il en est qui revêtent une signification particulière parce qu’ils imprègnent l’imaginaire collectif d’une façon durable et profonde, parce qu’ils laissent des traces quasi indélébiles sur la manière qu’une société se conçoit elle-même et affectent la manière dont toute société projette les formes qui lui paraissent les plus appropriées à conduire ses affaires et réaliser ses aspirations.

Bref, les formules qui incarnent la légitimité politique sont forgées à des moments spécifiques de l’histoire. Comme si, en quelque sorte, il se produisait des « plis » dans le temps de l’imaginaire social, pour reprendre le langage de la théorie de la relativité. Des plis qui demeurent et qui présentent le plus grand intérêt pour celui qui veut comprendre la configuration de l’imaginaire politique d’une société.

La notion de légitimité est familière aux sociologues. Nous ne nous attarderons pas sur les définitions et les analyses que lui ont consacrées les spécialistes[1]. Nous l’entendons ici comme une croyance que les membres d’une société partagent (de nos jours, nous dirions la population d’un pays), ce qui suppose qu’une espèce de consensus est atteint, souvent fondé sur la manière dont les conflits passés ont été résolus ou dépassés[2].

L’idée de présenter la quête de légitimité dans les contextes musulmans comme un « drame en quatre actes » vise à souligner certains tournants essentiels de l’histoire, qui ont contribué à donner aux aspirations des populations des formes particulières. Des formes que nous devons avoir à l’esprit pour comprendre les développements actuels.

Acte 1 : les “moments fondateurs”.

En fait, chacun des quatre « actes » représente, à sa manière, un moment fondateur, puisque chacun constitue, en quelque sorte, un nouveau départ. Mais nous gardons l’expression ici pour les moments qui ont vu la naissance de la religion islamique et d’une forme de vie politique qui en aurait découlé, à savoir les premières décennies de l’histoire des musulmans, d’abord sous la direction du Prophète et ensuite sous la règne de ses Compagnons proches.

A propos de ces tout premiers moments, une interprétation particulière semble faire l’objet d’un accord unanime, au point que la plupart la présentent comme un fait, qu’ils ne feraient que rappeler.

L’idée est que l’islam combine religion et politique, qu’il constitue à la fois un système de croyances sur l’au-delà, le sens de l’existence etc. et une obligation de mettre en place un ordre politique déterminé, que certains appellent de nos jours un «Etat islamique». Le fait d’adhérer à l’un – le système de croyances - impliquerait, sauf incohérence, l’engagement en direction du second – c’est-à-dire l’acceptation de l’obligation de mettre en place un ordre politique déterminé.

Pas besoin de citer les formules utilisées pour exprimer cette idée : elles sont nombreuses et diverses, et sont reprises par plusieurs, souvent clamées d’entrée de jeu quand il s’agit de décrire ce que l’islam serait. Toute entreprise de relativiser ces formules, en soulignant, par exemple que ce sont les musulmans qui ont choisi très tôt dans leur histoire, de s’engager dans la voie de la construction d’une entité politique, que toutes les grandes traditions religieuses combinent, de façon ou d’une autre, religion et politique jusqu’à ce que un processus appelé de sécularisation entame la domination de la vie publique par le religieux etc. sont vite recouvertes par les répliques de cette formule.

A titre d’exemple, si on consulte la table des matières d’un ouvrage devenu une sorte de « classique », celui de William Montgomery Watt, on s’aperçoit que l’idée est tenue pour une donnée qui n’a pas besoin d’être établie ou justifiée. Les titres des premiers chapitres sont clairs :

Chapitre 1 L’Etat Islamique sous la Direction du Prophète Muhammad

Chapitre 2 Le Prophète Muhammad, chef d’Etat[3]

Même le vénérable Marshall Hodgson, auteur de l’histoire la plus ambitieuse de l’islam, The Venture of Islam: Conscience and History in a World Civilisation,  (ambitieuse, disons-nous, du fait qu’elle entreprend de couvrir les évolutions vécues par l’ensemble des sociétés musulmanes et qu’elle le fait en mobilisant les ressources offertes par les sciences humaines et sociales de son temps) adopte des titres de chapitres et sous-chapitres tels que :

  Muhammad becomes a prophet (p. 158) […]           …

  Muhammad founds a religious community (p. 167)

  The Ummah achieves autonomy (p. 172)

  Muhammad establishes a new polity (p. 176)

Montgomery Watt et Hodgson sont loin d’être les seuls. Même un chercheur contemporain aussi perspicace que Sami Zubaida, soutient, comme s’il s’agissait d’un simple constat, que “… le calendrier musulman est daté à partir de la Hijra en 622, date de la fuite de Muhammad de la Mecque vers Médine et la fondation de la première entité politique musulmane »[4]

Ali Aberraziq (1888 - 1962), un ‘alim (théologien - juriste formé à Al-Azhar au Caire) a été l’un des rares à s’élever contre cette manière de voir. Le plus remarquable à propos de son fameux essai (L’islam et les fondements du pouvoir, Le Caire, 1925) est la démarche adoptée. L’essai est conçu comme une démonstration géométrique. Chaque chapitre comporte des propositions titrées et numérotées, et enchaînées à la manière de dispositifs démonstratifs. L’ambition de l’auteur est de montrer des choses que tout le monde peut voir, plutôt que d’exprimer une préférence ou de monter une plaidoirie pour une thèse au détriment d’une autre.

Parmi les constats qu’Ali Abderraziq fait, on peut relever ce qui suit :

1. Aucun verset du Coran ne propose une prescription ou une recommandation qui puisse être considérée comme étant de nature politique. Les appels à l’obéissance du Prophète et de ceux qui « sont en charge », ainsi que les exhortations à la consultation entre croyants sont des principes moraux de portée générale, et ne peuvent, en aucun cas, être tenus pour éléments d’une obligation politique.

2. Aucun des hadiths connus n’ajoute quoi que ce soit, dans ce domaine, à ce que dit le Coran.

3. Le fait que le Prophète se soit engagé dans la construction d’une communauté relevait de sa mission prophétique. En fait, la communauté qu’il a constituée n’avait aucune des institutions indispensables aux plus simples des entités politiques.

4. S’il y a eu des initiatives de la part du Prophète qu’on peut dire de caractère politique, elles étaient des actions « personnelles » peu pou pas liées à sa mission prophétique, que tout le monde, autour du Prophète reconnaissait comme telles (le Prophète avait bien un commerce etc.)

5. Ce sont les musulmans qui, après la mort du Prophète, ont choisi d’opter pour la transformation de leur communauté en une entité politique. A l’appui de cette thèse, Ali Abderraziq cite des faits connus, telles les divergences apparues entre les musulmans dès la mort du Prophète, mais aussi des faits peu connus, comme le changement de langage qu’on peut percevoir à ce moment : c’est la première fois qu’il est question, dans les échanges entre musulmans, de responsabilités déterminées (Qui devrait être Amir et qui devrait être Wazir ? Comment distribuer les postes de responsabilité ? Comment administrer les régions soumises ? Comment organiser les finances de la nouvelle entité ?)

La période qui commence après la mort du Prophète est connue comme celle des khulafa’ rashidun, terme traduit le plus souvent par « califes bien guidés ». En fait il serait plus juste de dire successeurs avisés, ou lieutenants vertueux.

La période, appelée à devenir une espèce d’âge d’or pour la majorité des musulmans, dure environ trente ans et voit la succession, à la tête de la communauté, de quatre parmi les Compagnons les plus proches du Prophète. Période de victoires militaires et d’expansion territoriale, mais aussi de graves soubresauts et confrontations internes, la plus grave étant celle qui suit l’assassinat du troisième calife, Othman ibn ‘Affan, par des prêcheurs, en fait des « lecteurs du Coran » (appellation qu’on attribuait à ceux qui avaient mémorisé le Coran par cœur, et qui étaient en mesure de l’enseigner à d’autres) venus d’Egypte.

La confrontation tourne à la guerre civile, mettant face à face le quatrième calife (Ali ibn Abi Talib) et Mu’awia Ibn Abi Sufyan, gouverneur de Syrie sous le troisième calife et prétendant à la succession au nom de la nécessité de poursuivre et de sanctionner les assassins de Othman.

La guerre, désignée par la suite comme Fitna Kubra (traduite par Grande Discorde, qu’on pourrait aussi traduire par Grande Sédition, ou Grande Tentation - voir l’ouvrage remarquable qui lui est consacré par Hichem Djait). Lorsque, au terme de cet épisode,  Ali est battu et assassiné, se termine le temps de Successeurs Avisés et commence, aux yeux des musulmans des générations suivantes, une nouvelle ère : celle du mulk, pouvoir monarchique. Ce dernier, selon la perception dominante, est un type de pouvoir que des chefs militairement puissants imposent à la communauté. Il est considéré comme dépourvu de légitimité et donc, clairement, usurpateur. L’idée est que, avec les Successeurs Avisés, la politique était au service de la religion et de la communauté qui la porte, tandis que, avec le régime politique dynastique inauguré par Mu’awiya, la religion est mise au service de la politique. Cette manière de voir est partagée par les Chiites et les Sunnites, quoique, pour les Chiites, elle prend des dimensions bien plus dramatiques, puisque la communauté, selon eux, est privée de la direction de l‘imam désigné par le Prophète et seul Vicaire Légitime.

Ce qui nous importe, dans cette évocation, c’est l’émergence, lors du dénouement tragique d’une confrontation interne, du sentiment de perte de légitimité, de perte de ce qui devait permettre à la communauté de poursuivre son chemin dans le sens prescrit par la religion.

Pour souligner encore le caractère spécifique du sentiment de légitimité qui émerge à ce moment, il est utile de signaler deux directions différentes qui étaient disponibles à ce moment et que les masses musulmanes semblent avoir ignorées ou rejetées.

La première est évoquée par un Malik Ibn Nuwaira, chef tribal appelé, au moment de la mort du Prophète, à accepter le pouvoir du califat qui se met en place à Médine. Il refuse, arguant que le Prophète devait être obéi parce qu’il avait été l’envoyé de Dieu, mais que ses successeurs, étant de simples humains visant à exercer leur domination sur d’autres, n’avaient aucun droit d’exiger l’obéissance des musulmans, ni a fortiori de se prévaloir de l’héritage du Prophète. Un vers circule à l’époque et est retenu par la tradition ultérieure :

Nous avons obéi à l’Envoyé de Dieu tant qu’il était parmi nous/

Allons-nous, maintenant qu’il a disparu, devenir un héritage pour ceux qui lui succèdent ?

Ibn Nuwaira serait-il le premier séculariste dans l’histoire des musulmans ? Ou bien exprimait –il le sentiment d’un chef tribal (probablement nomade), qui refuse de se soumettre à un pouvoir central (et citadin)  mis en place par des tribus rivales ?

Si l‘on croit le témoignage attribué à Omar ibn al-Khattab, un autre Compagnon du Prophète, qui allait devenir le deuxième des califes bien avisés, Ibn Nuwaira était un bon musulman et le fait de l’avoir mis à mort pour refus d’obéissance était un crime qu’il fallait punir. En fait, nous savons très peu de choses sur le personnage qu’était Ibn Nuwaira. Ali Abderraziq en a rappelé le sort tragique pour montrer que les musulmans avaient bien compris, au moment où la succession du Prophète se mettait en place, qu’il s’agissait d’une transition d’une communauté à caractère religieux à une entité politique.

L’autre direction est peut-être plus intéressante. Mu’awiya, le gouverneur de Syrie qui a fini par triompher militairement et par installer la première dynastie, le premier pouvoir héréditaire dans l’histoire des musulmans – bref, le grand « usurpateur » du pouvoir, selon l’image que les musulmans ont gardée de lui, aurait justifié son action par certaines formules aujourd’hui plus ou moins oubliées. En gros, il assurait que son système, celui d’une monarchie fondée sur un pouvoir militaire fort, assurait aux populations deux biens inestimables : la sécurité et la prospérité.

Dans un tel contexte, affirmait-il, un Ali (le quatrième des Successeurs Avisés), homme de sainteté, s’il acceptait de renoncer au pouvoir, pouvait prêcher en toute quiétude les croyances islamiques et les vertus morales qui en découlent. En tant que détenteur du pouvoir, Mu’awiya était même disposé à assurer à Ali, s’il acceptait son offre, un revenu honorable. Par contre, dans les régions que contrôlait Ali – l’Irak, principalement -, la société était divisée entre ceux qui acceptaient son enseignement et ceux qui le refusaient. En outre, la sécurité y était précaire et la prospérité inexistante.

En gros, selon Mu’awiya, la coexistence de deux autorités, l’une royale, militaire, assurant le respect de l’ordre et la loi comme nous disons aujourd’hui, l’autre spirituelle, dispensant des enseignements sur la manière de gagner le salut et de mener une vie morale, serait le meilleur garant de gagner les deux, prospérité matérielle dans cette vie et salut dans l’au-delà. Par contre, quand le pouvoir politique est soumis à une autorité religieuse, il en résulte toujours discorde et frustrations. La situation sécuritaire s’en ressent, la prospérité, très dépendante de la sécurité, disparaît, et tout le monde serait perdant. Un tel discours rappelle-t-il quelque chose à nos oreilles d’hommes et de femmes modernes ? Aurait-on affaire à un autre « laïc », que nous aurions oublié ?

En fait, ces paroles ne semblent avoir eu aucun effet, du moins aucun effet durable. La mémoire collective  n’a gardé de Mu’awiya que l’image de l’usurpateur du pouvoir, celui qui a mis fin au régime des Successeurs Avisés et qui instauré le mulk au sens d’appropriation abusive du pouvoir. Même si, nous disent les historiens, un des fils de Ali aurait accepté une proposition similaire (renoncer à revendiquer le pouvoir contre paiement d’une pension) et la communauté des musulmans aurait connu une année de paix totale, connue par la suite comme ‘Am al-Jama’a (Année de la Concorde).

Le modèle de pouvoir légitime, tel qu’il s’est implanté dans la conscience collective des musulmans après ces péripéties, moments fondateurs comme nous disions, est celui, comme dira Ibn Khaldun des siècles plus tard, qui force la communauté à œuvrer pour son bien dans cette vie et dans la vie d’après la mort, L’idée, selon la formule préconisée par Ali, cousin du Prophète et champion de l’instauration d’une communauté morale supervisée par un homme de sainteté, est celle d’un Etat qui gère les affaires temporelles au nom de la religion, qui instaure, d’autorité, un cadre politique au sein duquel une communauté morale peut vivre dans le respect de ses croyances et l’application des commandements qu’elle aurait reçus.

Que faut-il retenir avant de « baisser le rideau » sur ce premier acte ?

Quoi qu’on en dise, il n’existe rien, dans les « textes sacrés », qui offre une vision de ce que devrait être une entité politique islamique. Tout ce qu’on peut dire à ce niveau, puisque, après tout les musulmans, après la disparition du Prophète et de ses compagnons immédiats, ne disposent plus que de textes, celui du Coran et de témoignages sur ce que le Prophète aurait fait ou dit, est que l’islam, pour reprendre le langage de Fazlur Rahman, a adressé à ses adhérents le défi de mener une vie dans la crainte de Dieu, ou la conscience d’une présence du divin, et de créer une communauté morale, un environnement social qui permet de mener une telle vie tout en protégeant les plus faibles membres de la société. Créer une communauté morale a été interprété par certains Compagnons comme une invitation à créer une entité politique.

Le Prophète a dû créer une communauté religieuse séparée de son environnement social, parce qu’il n’a pas pu faire autrement. Qu’il ait été obligé de fuir sa ville natale, ou qu’il en ait été chassé comme disent certains historiens, il a été forcé de répondre au système tribal et ses contraintes par la création d’une sorte d’ « anti-tribu », un groupement humain qui ressemble à une tribu et agit parfois comme elle, mais qui, étant ouvert et vivant selon des principes éthiques et non des coutumes ancestrales, était destiné à éliminer la tribu comme cadre essentiel de la vie collective.

Pourquoi disons-nous anti-tribu ? Parce qu’elle fonctionnait, par certains aspects, comme une tribu, mais était une communauté ou un groupement ouverts. Maaruf Al- Rusafi estime que le fait d’avoir conçu et mis en place une telle communauté ferait de Muhammad le plus grand génie de l’histoire humaine. Etait-ce un succès ? Le tribalisme a-t-il été éliminé après le triomphe de la communauté musulmane ? Pas tout à fait. En réalité, le tribalisme n’a pas disparu. Toutefois, une identité collective nouvelle a bien émergé, celle des musulmans, et elle pouvait à certains moments rassembler et mobiliser les hommes au-delà de leurs identités tribales.

La création d’une telle communauté était-elle une façon de « prêcher par l’exemple », un signe aux croyants pour qu’ils s’engagent dans le sens de la création d’un Etat ? Inutile de le dire, c’est une question d’interprétation. On a bien trouvé, ici ou là, des indices qui indiqueraient que le Prophète souhaitait créer un empire arabe, qui aurait été en mesure de tenir tête aux puissances du moment, les empires perse et byzantin.

D’autres ont estimé que le Prophète voulait créer un équivalent du judaïsme pour les « gentils ». Toutefois, Ali Abderraziq insiste que la communauté créée par le Prophète était dépourvue des institutions ou dispositions minimales requises par un Etat ou une entité politique. En revanche, les indices d’un message religieux nouveau qui dépasserait les limitations du judaïsme (en principe destiné aux seuls enfants d’Israel) et celles du Christianisme (qui selon l’islam, divinise un homme) existent dans le texte coranique.

Que serait–il arrivé, si les musulmans n’avaient pas adopté la voie qu’ils ont empruntée, s’ils n’avaient pas opté pour la création d’un Etat au nom de leur religion ? Encore une fois, le vénérable Hodgson ouvre la voie dans le sens d’une spéculation d’ « histoire-fiction » :

Les territoires situés entre le Nil et l’Oxus auraient certainement changé d’une certaine manière au VIIIe et IXe siècles, même sans l’intervention de l’islam. L’empire sassanide, peut-être sous la houlette d’une nouvelle dynastie, aurait certainement réussi à arracher à l’empire romain la Syrie et l’Egypte (et peut-être même le Maghreb) d’une façon permanente et aurait développé en syriaque (Araméen) et Pahlavi (Iranien), une culture pas dissemblable ce qui s’est en fait développé parmi les musulmans en arabe et en persan.

Une telle culture aurait pu être largement disséminée dans l’hémisphère, puisque déjà certains éléments de traditions sémitiques et iraniennes étaient déjà diffusées en Europe et en Inde. Mais il est difficile de croire qu’une telle civilisation syriaque-pahlavi, même renouvelée, aurait réussi à générer toute l’homogénéité ainsi que la vitalité expansive qui se sont manifestées sous l’égide de l’islam. Des tribus arabes auraient probablement contribué à la mise en place de la dynastie qui aurait succédé aux Sassanides.

Malgré tout, toutes analogies combinées nous devons supposer qu’en toute vraisemblance ils auraient été rapidement assimilés dans la culture des populations sédentarisées, oubliant avec le temps leur poésie bédouine remarquable quoique limitée, apprenant à parler une variante d’Araméen et adoptant l’une ou l’autre des formes de christianisme présentes dans la région.

Un élément en particulier, la présence de l’islam, semble avoir créé la différence décisive, offrant la possibilité de créer une civilisation nouvelle, fondée sur l’unification de la masse de la population de la région en une communauté religieuse.[5]

Le plus important est que les musulmans ont retenu, intériorisé, une perception de la légitimité où le pouvoir politique doit réaliser la communauté morale préconisée par le message religieux (et ne pas se contenter d’assurer la sécurité et la prospérité comme le suggérait Mu’awiya), et que le meilleur moyen de le faire est d’avoir un pouvoir fort, supervisé (de préférence pour la plupart des Sunnites, de nécessité pour la plupart des Chiites) par un descendant du Prophète. Les leçons de l’Année de la Concorde ne sont pas retenues, pas plus que les possibilités d’alternatives telles que celles défendues par Ibn Nuwaira et par Mu’awiya.

 

A SUIVRE



[1]Rappelons toutefois ce qu’en dit Max Weber. Celui-ci  distingue trois sources ou fondements de légitimité, entendue comme étant à la fois l’acceptation de l’autorité et du besoin d’obéir à ses commandements, à savoir la tradition, le charisme et la légalité ou conformité avec la loi ou les normes adoptées par la société. Voir article intitulé Political Legitimacy dans la Stanford Encyclopedia of Philosophy : http://plato.stanford.edu/entries/legitimacy/

[2]Seymour Martin Lipset, “Some Social Requisites of Democracy: Economic Development and Political Legitimacy,” American Political Science Review 53 (March 1959): 69–105; Voir aussi “The Social Requisites of Democracy Revisited,” American Sociological Review 59 (February 1994): 1–22.

[3] W. Montgomery Watt : Islamic Political Thought. Edinburgh, 1968

[4]« The Muslim calendar is dated from the Hijra in 622, the flight of Muhammad from Mecca to Madina and the founding of the first Muslim polity. » Law and Power in the Islamic World, Londres, IB Tauris, 2003,p. 6

[5]« The lands from Nile to Oxus would most certainly have changed somehow in the eighth and ninth centuries, even without the intervention of Islam. The Sasanian empire, perhaps under a new dynasty, might indeed have succeeded in taking Syria and Egypt (if not the Maghrib) permanently from the Roman empire and might have developed, in Syriac (Aramaic) and Pahlavl (Iranian), a culture not unlike what developed in fact among the Muslims in Arabic and Persian. Such a culture might have been carried fairly widely in the hemisphere; for some elements of the Iranian and Semitic traditions were already being carried into Europe and India. But it is hard to conceive of such a renewed Syriac-Pahlavl civilization as having developed all the homogeneity and expansive vitality which were manifested under Islam. Arab tribes might even have taken a hand in establishing the new dynasty which would have succeeded to the Sasanian, yet by all analogies we must suppose that ordinarily they would have been rapidly assimilated to the more cultured settled population, forgetting in time their remarkable but limited Bedouin poetry, learning to speak some sort of Aramaic, and adopting one or another of the existent forms of Christianity. One ingredient, the presence of Islam, would seem to have made the vital difference, making possible a truly new civilization, based on uniting the bulk of the population of the region into one religious community.”


 

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