Ahmed Faouzi

Ancien ambassadeur. Chercheur en relations internationales.

La guerre est une chose trop grave pour la confier aux militaires

Le 1 septembre 2021 à 15h46

Modifié 1 septembre 2021 à 15h52

Cette formule restée célèbre prononcée par Georges Clémenceau à la fin du 19e siècle, s’applique merveilleusement bien à ceux qui gouvernent l’Algérie aujourd’hui. Pour celui qui a fait l’école de guerre de Saint-Cyr, le général Said Chengriha, cet exemple lui a été certainement enseigné pendant ses années d’études. Il doit le méditer pour savoir comment les grands hommes imprègnent l’histoire.

En observant le maréchal Joseph Joffre mener la France à la dérive par des guerres sans fin, selon le principe de l’offensive à outrance, Clémenceau, redevenu Président du Conseil, reprit en main le destin du pays, et imposa ses points de vue à l’état-major des armées. Quand il fulminait contre le maréchal Joffre, il accablait ces civils et militaires qui menaient le pays tout droit à la catastrophe.

Cette politique de poigne contre l’inconscience de certains gradés de l’armée, a fait de Clemenceau un homme intemporel de l’histoire de France. Du surnom le Tigre, il est devenu aux yeux des français le père de la victoire. Son courage de s’opposer à la force brutale, a fait de lui l’une des personnalités les plus populaires du pays à ce jour.

Ce personnage m’est venu à l’esprit en lisant certaines des déclarations du Général algérien Said Chengriha, et les instructions qu’il donnait à ses militaires. En novembre dernier, ne déclarait-il pas devant ses soldats, que l’Algérie est le plus fort dans la région face à un ennemi classique qu’il n’a pas osé nommer et que tout le monde a deviné ?

Né en 1945 à la Wilaya de Biskra dans une petite ville Alkantara connue pour son ascétisme, Chengriha est issu d’une vielle famille de la région. Le seul lien qu’on lui connait avec le Maroc est le vécu d’un de ses oncles Abdelkader Chengriha qui y a résidé lors de la guerre de libération. Il était chargé de la création du centre de transmission de l’Armée de Libération Nationale.

Des études normales à Saint-Cyr en France, dans le domaine de l’infanterie puis, comme beaucoup de ses condisciples des cours à l’académie russe de Vorochilov durant les années soixante-dix. Aucun fait glorieux ne lui est connu, à part que son nom a été cité à intervalle irrégulier, lors de l’irruption de conflits en Algérie. Pour beaucoup d’Algériens, cet homme n’incarne ni changement de génération, ni changement de système.

Le parachutiste algérien Habib Souaidia, réfugié en France, est celui qui décrit le mieux Chengriha et la politique des généraux durant la décennie noire. Dans son livre édité en 2012, intitulé la Sale Guerre, il lève le voile sur le fonctionnement de l’armée algérienne, et donne à voir le cynisme calculateur et la folie sanguinaire des généraux. Le bourrage de crâne des troupes, les exécutions sommaires des civils, le désespoir des soldats contraints d’exécuter des actes immoraux, sont le lot quotidien au sein de l’armée.

Face à ce réquisitoire, et pour défendre Chengriha et les autres généraux, le général Khalid Nezzar disait au journal le Figaro, que « ces généraux sont passé par Saint-Cyr et l’école de guerre. Ce sont des hommes remarquables. Quand je lis leurs portraits, sous la plume de Souaidia, je me dis, si cela est vrai, si tous ces officiers sont ce qu’il en dit, c’est moi le responsable. Si j’ai formé des monstres pareils, alors c’est que je suis un monstre moi aussi. Qu’il me désigne donc. Or, curieusement, il m’épargne. »

Comme par hasard, le général Nezzar, condamné à vingt ans de prison par le général Ahmed Gaid Salah, est revenu en Algérie en homme libre, pour être de nouveau au service de l’homme fort du moment, le général Said Chengriha, qu’il a su bien défendre par le passé. Un juste retour des choses.

Une guerre sur-dimensionnée

Au-delà des péripéties du moment, la guerre et la confrontation perpétuelles sont les fondements et les référents de la mémoire collective algérienne. La guerre de libération est le premier acte fondateur de la nation en tant que nation. Le hic est qu’elle est sur- dimensionnée et sur- mémorisée, alors que chez d’autres peuples, l’oubli est largement partagé, et le complexe est moins apparent.

Ernest Renan aimait répéter que l’essence d’une nation est que les individus aient beaucoup de choses en commun. En Algérie il n’y a qu’une seule chose qui soude et unit, c’est la gloire de la guerre contre la France. Plus on s’éloigne de cette période, plus on la mystifie, et plus on l’exploite aussi comme un fond politique inépuisable. La guerre relève de l’imaginaire collectif. C’est un capital symbolique, le seul, qui se trouve entre les mains des responsables militaires algériens. Le seul qu’on brandit aussi à l’égard des adversaires classiques du pays.

La guerre permanente entre le régime militaire et ses détracteurs suit la même logique. Les opposants traitent les militaires de deuxième France, et ceux-ci traitent les premiers de Harkis. La grille d’analyse est toujours la même et tourne autour de la guerre qui est omniprésente. A notre regret, la paix est rarement évoquée. La guerre de libération n’a rien libéré, elle est, au contraire, devenue pour le pays un boulet et un cache-misère.

Une guerre contre le sous-développement

Du Triumvirat qui gouverne l’Algérie actuelle, le président, le général, et le diplomate, on peut de ce côté-ci du Maroc, leur suggérer de moins regarder le rétroviseur de l’histoire, et de penser aux futures générations algériennes. C’est dans cette direction que résidera le bien-être de l’Algérie et de notre région. Le seul ennemi de l’Algérie est le sous-développement à qui il faut mener la guerre.

Ramdame Laamamra, le diplomate qui a présidé aux destinées de la Commission Paix et sécurité de l’Union- africaine, sait pertinemment, et par expérience, que les conflits se déclenchent comme un éclair, et mettent du temps à s’éteindre. L’habillage diplomatique qu’il a donné à son argumentaire conflictuel, édicté certainement par l’armée pour rompre les relations avec le Maroc, ne sied pas, en définitive, à son passé professionnel.

Dans une guerre, ce sont toujours les grandes puissances qui savent en tirer profit, pour exploiter les uns et les autres. On ne peut battre son adversaire que par l’amour et la non-violence, disait Ghandi. Monsieur Laamamra passez ce message au général et s’il ne vous écoute pas, déposez le tablier. C’est la meilleure chose qui puisse vous arriver par les temps qui courent.

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