Ahmed Faouzi

Ancien ambassadeur. Chercheur en relations internationales.

La fable du coq et les deux éléphants

Le 9 décembre 2022 à 15h34

Modifié 9 décembre 2022 à 15h34

En marge du sommet de la Coopération économique pour l’Asie-Pacifique, le président français Emmanuel Macron a comparé les États-Unis et la Chine à "deux éléphants de plus en plus nerveux". "Ils vont commencer à se faire la guerre et ce sera un gros problème pour le reste de la jungle", a-t-il affirmé à l’auditoire.

C’était une belle occasion pour le président français Emmanuel Macron d’être le premier européen à être invité au sommet de la Coopération économique pour l’Asie-Pacifique, communément appelé APEC, tenu en Thaïlande le mois dernier. Il y a assisté aux côtés des 21 pays membres qui composent cette organisation dont l’objectif reste de favoriser, sur une base non contraignante, la coopération régionale.

Parmi les membres de cet ensemble, figurent les grandes puissances de la région comme les États-Unis, la Chine, la Russie, l’Australie, le Japon, sans compter les dix pays de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN). L’APEC, c’est 2,6 milliards d’habitants, 60% du PIB mondial et 40% du commerce international. Macron ne pouvait donc laisser passer cette opportunité pour venir défendre les intérêts de son pays, fortement malmenés dans le Pacifique.

Macron a vu dans cette invitation une reconnaissance de sa stratégie indopacifique qu’il a initiée en 2018. La logique de son approche est à la fois diplomatique, militaire, économique et climatique ; en somme une logique qu’il voudrait équilibrée. Dans cette région théâtre d’une confrontation entre les deux superpuissances mondiales, sa politique se résume à gérer les équilibres sans confrontation.

Une compétition Chine-États-Unis qui risque de faire des victimes collatérales

Pourtant, la France dispose dans le Pacifique d’une présence militaire forte de plus de 8.000 soldats. Elle a vendu cette année à l’Indonésie une quarantaine d’avions Rafales pour un montant de 7 milliards de dollars et elle est en discussion pour lui vendre deux autres sous-marins conventionnels. La diplomatie française presse pour que les Indonésiens jettent leur dévolu sur l’industrie française au lieu de la Sud-coréenne qui lui fait concurrence.

En s’adressant, en marge du sommet, aux dirigeants de grandes entreprises, Macron a averti ses interlocuteurs que la compétition stratégique entre les États-Unis et la Chine risquait de faire des victimes collatérales, non seulement dans la région mais aussi à travers le monde. "Nous sommes dans la jungle, et nous avons deux éléphants - États-Unis et Chine - de plus en plus nerveux. Ils vont commencer à se faire la guerre et ce sera un gros problème pour le reste de la jungle", leur a-t-il affirmé.

Dans la culture thaïlandaise, l’éléphant est le symbole de la paix et de la prospérité. Il occupe une place particulière dans la culture du pays et l’imaginaire des Thaïlandais. Mieux encore, chez les bouddhistes, cet animal sacré représente le nirvana et le bien-être, ainsi que la puissance mentale. Les éléphants sont les gardiens des temples, veillent sur Bouddha lui-même, et ses défenses font partie des emblèmes royaux.

Le président français a appelé tous les autres animaux de la forêt, les tigres, les singes et le reste, à travailler ensemble et à coopérer. Dans sa logique, cette coopération devrait tendre à contenir les élans des deux superpuissances, États-Unis et Chine, symbolisées par les éléphants. La France, dont le coq est l’un des symboles allégoriques qui surmonte bon nombre de ses édifices et de ses églises, est dans son rôle. Le coq est l’annonciateur du jour et de la fin de la nuit. Il est l’animal orgueilleux et turbulant dans l’imaginaire des Français.

La France cherche à défendre auprès des Américains sa sphère d’influence

Au-delà de ce discours, Paris garde en mémoire le coup porté, en septembre 2021, par les Américains, les Britanniques et les Australiens qui ont scellé l’alliance politique, dénommée AUKUS, pour mieux coordonner leurs actions en Indopacifique. L’abandon par Canberra du contrat juteux de sous-marins français d’une valeur de 90 milliards de dollars, est resté en travers de la gorge.

À l’époque, Jean-Yves Le Drian, ministre français des Affaires étrangères, et VRP de l’industrie d’armement, avait qualifié cette éviction de "comportement inacceptable entre alliés et partenaires, dont les conséquences touchent à la conception même que nous nous faisons de nos alliances". Paris croyait Joe Biden, fraîchement installé à la présidence, plus prompt à défendre les alliés que Donald Trump, oubliant qu’il a d’abord été élu pour défendre, avant tout, les intérêts américains.

Un mois après l’annulation de ce contrat, et lors du G20 tenu à Rome en octobre 2021, Français et Américains ont mis à plat leurs contentieux. La déclaration conjointe issue de ces pourparlers relevait l’importance de mener une solide collaboration entre les deux pays dans l’Indopacifique. Washington y reconnaît le rôle ancien de la France dans cette zone en tant qu’acteur majeur dans cette région qui doit rester libre et ouverte. Pour les responsables français, les Américains reviennent enfin à de meilleurs sentiments à leurs égards.

La visite d’État de Macron aux États-Unis, au début de ce mois de décembre, vient couronner le réchauffement des relations entre les deux pays. Ce fut l’occasion d’évoquer la crise ukrainienne, le partenariat bilatéral et le rôle qui devrait échoir à la France dans la nouvelle reconfiguration géopolitique mondiale. Officiellement, le président est venu pour relancer le partenariat économique et défendre accessoirement les intérêts de l’Union européenne auprès de Washington. Officieusement, la France cherche à défendre auprès des Américains sa sphère d’influence dans le monde, qu’elle voudrait protéger.

"La raison du plus fort est toujours la meilleure"

L’autre éléphant évoqué par Macron qu’est la Chine représente un défi bien différent. Pékin, dès l’institution de l’Alliance AUKUS, avait condamné, au même titre que Paris, cette initiative, qui ne fait que relancer la course aux armements et compromet les efforts internationaux de non-prolifération. Au niveau économique, la France reste le troisième marché pour Pékin, derrière l’Allemagne et le Royaume-Uni. La Chine offre par ailleurs de grandes opportunités de croissance économique aux entreprises françaises.

Bien que les deux pays aient établi en 1997 un partenariat stratégique global, les différends persistent. Ils ont trait à la concurrence économique déloyale des Chinois selon Paris, et à l’immixtion dans les affaires internes chinoises sous couvert du respect des droits de l’homme, pour Pékin. Les Chinois, épidermiques à tout ce qui touche à leur souveraineté, n’admettent pas le mélange des genres entre les affaires et les droits de l’homme.

En évoquant devant ses interlocuteurs thaïlandais le danger que représentent les deux éléphants que sont les États-Unis et la Chine, le président français rappelle à notre mémoire le livre arabe Kalila oua Dimna d’Ibn Almoukaffaa et les Fables de La Fontaine qui ont bercé notre enfance. Dans le premier, les héros sont deux chacals, Kalila et Dimna, vivant à la cour du lion. Kalila se satisfait de sa condition mais Dimna aspire à plus d’honneur, quels que soient les moyens pour y parvenir.

Jean de La Fontaine reprenait le même concept en mettant en scène les rapports de force, les ruses, les flatteries et autres tromperies entre humains par la bouche d’animaux innocents. Les histoires racontées incluent plusieurs contes qui font référence à la vie humaine et contiennent de nombreuses sagesses. La fable du Loup et l’Agneau, qui commence par "la raison du plus fort est toujours la meilleure", reflète, tristement et à bien des égards, la réalité de notre monde actuel.

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