Ahmed Faouzi

Ancien ambassadeur. Chercheur en relations internationales.

Josep Borrell et la politique de voisinage

Le 18 janvier 2023 à 14h44

Modifié 18 janvier 2023 à 15h38

L’évolution qu’a connue le dossier de l’intégrité territoriale de notre pays n’a pas plu à Josep Borrell, Haut représentant de l’Union européenne pour les Affaires étrangères et la politique de sécurité. Lors de la visite, en août dernier, de la ministre allemande des Affaires étrangères Annalena Baerbock à Rabat, il affirmait depuis Madrid que la position du gouvernement espagnol était et demeure celle de l’Union européenne, c’est-à-dire pour la tenue d’une consultation dans nos provinces du Sud.

A cause de cette déclaration inappropriée, en total déphasage avec les résolutions onusiennes et l’évolution récente des positions espagnole et allemande, la visite que devait effectuer Josep Borrell au Maroc en septembre a été reportée.

Ses vains propos ont été rectifiés un peu tard, mais juste à temps. Dans un entretien avec l’agence de presse espagnole EFE, il a déclaré : "Nous avons construit avec le Maroc une relation de confiance, notre partenariat est intense et stratégique parce qu’il repose sur la proximité géographique, une histoire commune et un intérêt mutuel de préserver la paix et la sécurité." Il a passé sous silence sa position sur le Sahara marocain.

Cette sympathie retrouvée à notre égard lui a permis de reporter sa visite au Maroc à ce mois de janvier. Une fois à Rabat, le Royaume est devenu, selon ses dires, le partenaire clé de l’UE dans la région pour promouvoir un espace de prospérité et relever les défis du présent pour les transformer en opportunités. Les défis identifiés, selon son agenda, étaient d’ordre géostratégique, économique, climatique, sécuritaire et surtout relatifs au contrôle des migrations.

L’Union européenne, cantonnée à sa zone de confort...

Si ces priorités sont partagées entre Rabat et Bruxelles, l’ordre en est certainement différent pour le Maroc. Le discours royal à l’occasion du 69e anniversaire de la Révolution du Roi et du Peuple et on ne peut plus clair, et ne laisse aucun doute sur l’importance que revêt pour le Royaume la défense de son intégrité territoriale. Selon le Souverain, le Sahara est le prisme à travers lequel le Maroc regarde le monde. Bruxelles en a certainement pris note, et le responsable européen en a certainement mesuré l’importance durant son séjour au Maroc.

Borrell a salué durant son séjour les efforts sérieux et crédibles menés par le Maroc pour trouver une solution à ce dossier. Pour lui, l’UE soutient le processus de l’ONU et les initiatives de l’Envoyé personnel du Secrétaire général visant à parvenir à une solution politique qui soit juste, réaliste, pragmatique, durable et mutuellement acceptable, et qui repose sur le compromis en conformité avec les résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies. Autant dire que l’UE préfère rester dans sa zone de confort au lieu d’aider à aller de l’avant pour régler définitivement ce différend régional qui, sans être résolu, menace également le Vieux continent.

Ses propos, repris mécaniquement, ne font pas avancer le processus onusien et plaisent de moins en moins à leurs partenaires marocains. Le Sahara, région qui n’a jamais constitué un État séparé et reconnu par la communauté internationale, ne peut prétendre à un statut souverain par le seul bon vouloir du régime algérien. En fondant et en finançant ce groupuscule, et en instaurant une république fictive sur son propre territoire, Alger croit tromper le monde, à commencer par les Européens.

...et en manque de cohésion

L’Union européenne peine à se mettre d’accord sur les questions internationales, à commencer par celles qui concernent le continent européen lui-même. Elle est aussi divisée sur sa position vis-à-vis de notre intégrité territoriale. Le traité de Rome a été audacieux sur le plan économique, mais restrictif sur le front de la politique extérieure. Des garde-fous ont été instaurés dès le départ pour préserver les particularismes des États et leurs souverainetés.

Ce manque de cohésion à l’international a été observé dès les premières années d’après-guerre, lorsque le président français Charles De Gaulle s’est opposé à la politique américaine en Europe. La France, absente de la conférence de Yalta en février 1945, en a gardé une grande amertume. Malgré les bienfaits du plan Marshall, elle a tenu à mener sa barque toute seule en défendant ses propres intérêts, indépendamment de Washington et des autres membres de l’Union.

Tous les efforts menés par les Européens ont été axés autour de la construction économique et de la consolidation des institutions politiques, comme la mise en place du système monétaire européen ou l’élection parlementaire au suffrage universel direct. Avec l’effondrement du bloc de l’Est, on assiste même à un repli de l’idée européenne accentuée par la crise ukrainienne en cours. Dans tous les pays, le socialisme et la social-démocratie sont tombées en panne, laissant place à l’extrême droite et au populisme qui sont montés en flèche. La politique extérieure commune est devenue le dernier souci des Européens.

Les changements au niveau international ont conduit l’Europe à faire face simultanément à une mondialisation qui sert peu leurs intérêts en tant que groupe. Chaque pays a adopté, par conséquent, la politique qui lui convient le mieux pour promouvoir ses propres intérêts. Le tandem Allemagne-France, longtemps moteur de l’Union, se concurrence sur les marchés extérieurs et commence à battre de l’aile. Comment, dès lors, établir une harmonie en diplomatie quand on n’a pas su la réaliser totalement au niveau économique ?

Profil bas face aux crises

Ce n’est pas la politique européenne de voisinage, la PEV, lancée en 2004 à l’égard des pays du pourtour méditerranéen, ou celle du partenariat oriental vers l’Est en 2009, qui constituent une véritable politique digne d’unir l’action extérieure de l’Union. Ces programmes visent simplement à favoriser la stabilité, la sécurité et la prospérité des pays proches en liaison avec le marché européen. Quant aux crises politiques, aussi bien au Moyen-Orient qu’au Maghreb, l’Union reste aphone et sans réelle volonté de propositions.

Cette politique de voisinage a été instaurée par le traité de Lisbonne de 2009, principalement dans son article 8 qui stipule que l’Union développe avec les pays de son voisinage des relations privilégiées en vue d’établir un espace de prospérité et de bon voisinage. Face à un bilan mitigé, la politique de voisinage a fait également l’objet d’un profond réexamen en novembre 2015 de la part de la Commission.

Celle-ci a reconnu que les phénomènes nouveaux, comme le terrorisme et la migration, nécessitent de suivre une approche nouvelle pour redéfinir les priorités et introduire de nouveaux modes de fonctionnement. L’Union s’y déclare résolue à promouvoir la bonne gouvernance, la démocratie, l’État de droit et les droits de l’Homme. Elle constate aussi l’inefficacité des méthodes utilisées à ce jour et prône de mener des réformes avec chaque partenaire sous des formes arrêtées mutuellement.

Toutes les politiques européennes suivies à ce jour n’ont eu comme objectifs que la promotion de la coopération économique et financière et la défense des valeurs de bonne gouvernance, de l’État de droit et des droits de l’Homme. L’Union ne s’est jamais réellement positionnée pour être une force d’initiatives pour régler les différends ou atténuer les conflits hors de ses frontières. Faute d’une politique extérieure cohérente, qui nécessite évidement l’unanimité de ses membres, Bruxelles adopte souvent un profil bas face aux crises régionales.

C’est le seul constat que l’on puisse tirer de la visite de Josep Borrell au Maroc. Aucune position politique claire ni aucun soutien franc ne sont adoptés par Bruxelles concernant les grandes questions nationales, comme la réduction abusive de l’octroi de visas aux Marocains par la France ou un appui franc et sincère à l’initiative d’autonomie de nos provinces du Sud. L’Europe tend, à chaque fois, à adopter une position passive en maintenant un semblant d’équilibre entre les parties en conflit, qui sert plus ses intérêts que les nôtres.

Pourtant, l’accord d’association, comme la Politique économique de voisinage et le Statut avancé, ont permis de renforcer le dialogue et la coopération sur le plan politique et sécuritaire entre Rabat et Bruxelles. La convergence législative et réglementaire, comme l’élargissement de notre coopération à de nouveaux partenaires marocains comme le Parlement, le Conseil économique et social, ou la société civile, devraient, en principe, aider à établir de meilleurs rapports.

À cette nécessité d’évolution que le Maroc d’aujourd’hui exige de ses partenaires pour faire évoluer ses rapports avec son proche voisinage, surgissent de temps en temps des dossiers sortis de nulle part. Hier, des affaires d’écoutes téléphoniques et d’espionnage avec Paris. Aujourd’hui, des accusations de corruption de députés européens à Bruxelles. A chaque exigence marocaine pour faire valoir des droits, ce sont toujours les mêmes rengaines qui reviennent pour nous pousser à nous taire et à réclamer moins. Cette époque semble bel et bien révolue.

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