Ahmed Faouzi

Ancien ambassadeur. Chercheur en relations internationales.

Israël, la Cour pénale internationale et les chefs d’accusation

Le 21 novembre 2023 à 9h51

Modifié 21 novembre 2023 à 9h53

Le dossier largement documenté déposé récemment par plus de 300 juristes de différentes nationalités devant la Cour pénale internationale, CPI, est assez lourd. Les avocats ont demandé à la Cour l’ouverture d’une enquête sur les faits et les massacres des civils palestiniens à Gaza. Le plaidoyer retrace toutes les étapes de la cause palestinienne, de la période du mandat britannique, la Déclaration de Balfour, le partage de l’ONU, la création de l’État d’Israël, les différentes guerres arabo-israéliennes, les accords d’Oslo en 1993, les blocus répétitifs de Gaza, jusqu’au récent massacre de la population civile à Gaza.

Ce n’est pas la première fois que la CPI est saisie de la question palestinienne sans grand résultat. Il semble qu’à chaque fois, l’objectif des juristes est plutôt de documenter les crimes, qui aux yeux du droit international sont imprescriptibles et pour lesquels Israël est responsable devant la communauté internationale. La dernière saisie fut en mai 2021 quand des dossiers similaires se sont encore empilés sur le bureau de la procureure de la CPI en mai 2021 suite aux crimes commis à Cheikh Jarrah, à Jérusalem Est, et aux onze jours de guerre contre Gaza.

Les conflits armés sont encadrés par les lois internationales, dont les conventions de Genève et ses protocoles additionnels, qui se focalisent sur la protection des personnes qui ne participent pas aux hostilités. Toutes les violations de ces traités sont donc considérées comme des crimes de guerre. Israël, qui est en confrontation armée permanente avec ses voisins et avec les palestiniens, ne peut, dans ces cas, se soustraire à ses responsabilités.

En tant que membre à part entière de l’ONU, Israël ne peut échapper à ses obligations prescrites de respecter la population civile. Les instruments juridiques internationaux interdisent, entre autres, les attaques délibérées contre les civiles, les traitements inhumains, les attaques délibérées contre les installations médicales et les personnels médicaux, la déportation ou le transfert forcé des civils, l’utilisation excessive ou disproportionnée de la force, et bien d'autres délits.

Le chef d’accusation de crimes contre l’humanité, adopté en 1945 dans le cadre du statut du Tribunal militaire de Nuremberg pour juger les responsables allemands du 3e Reich, reste toujours en vigueur. Il punit les violations délibérées des droits fondamentaux des civils, en raison de motifs politiques, raciaux ou religieux. Des tribunaux similaires, ont été instaurés par la suite, par le Conseil de sécurité des Nations Unies, pour juger les responsables de l’ex-Yougoslavie en 1993, ou du génocide au Rwanda en 1994. Vu le poids des États-Unis au Conseil, il est improbable de voir un tribunal similaire pour la Palestine.

C’est lors de la guerre civile dans l’ex-Yougoslavie que le qualificatif nettoyage ethnique a vu le jour. Pourtant l’expression de nettoyage, ou épuration ethnique, a été reprise dans certaines résolutions de l’ONU sans toutefois faire partie des chefs d’accusations adoptés par le tribunal. Faute d’avoir été reconnu comme crime autonome en droit international, le concept demeure cependant utilisé pour qualifier les effets de certains conflits comme celui en cours à Gaza.

Le nettoyage ethnique a été défini par la commission d’experts des Nations-Unies comme le fait de rendre une zone ethniquement homogène. Comment ? Par l’utilisation de la force, ou de l’intimidation, pour faire disparaître d’une zone donnée, des personnes appartenant à des groupes déterminés. Dans son rapport final, elle décrit le phénomène comme une politique délibérée, conçue par un groupe ethnique ou religieux, visant à faire disparaître, par le recours à la violence et à la terreur, des populations civiles appartenant à une communauté ethnique ou religieuse distincte, de certaines zones géographiques.

Cette Commission a pu dresser une liste des actions qui mènent vers l’épuration ethnique comme les assassinats, les tortures, les détentions arbitraires, les exécutions extrajudiciaires et les agressions sexuels. Elle y ajoute, le confinement des populations civiles dans des ghettos, les expulsions, déplacements, et déportations de populations civiles. Les attaques militaires contre les civils, les hôpitaux, le personnel médical y figurent aussi comme délits. Toutes ces actions constituent des actes d’épuration ethnique, et sont désignés comme des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité.

Ces derniers, crimes contre l’humanité, sont les actes inhumains, commis dans le cadre d’une attaque généralisée ou systématique, contre une population civile donnée. Ils incluent des actes tels que le meurtre, la torture, le viol et la persécution. Ils sont souvent liés aux conflits armés, ou à des situations de crise, qui dégénèrent sur les populations civiles. Les tribunaux internationaux sur l’ex-Yougoslavie ou le Rwanda ont jugé les responsables pour crimes contre l’humanité, qui incluent les accusations de génocide.

Le terme génocide, retenu dans ces accusations, fait référence aux actes commis dans l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe national ethnique racial ou religieux. C’est ainsi que l’article 6 du Statut de Rome de la CPI reprend la même formulation en y ajoutant la soumission intentionnelle de la population à des conditions d’existence devant entrainer sa destruction, totale ou partielle, et à des mesures à entraver les naissances au sein du groupe, ou au transfert d’enfants.

Cette définition repose sur deux éléments l’un objectif et l’autre subjectif. L’objectif est de nature physique comme les meurtres, les déplacements ou l’extinction d’une population à travers les entraves aux naissances par exemple. Quant à l’élément subjectif il est relatif à l’idée intentionnelle du génocide, à la politique ou à toute autre idéologie d’un groupe qui concourt à vouloir annihiler une population différente de lui.

Le premier procureur de la CPI, Luis Mariano Ocampo, va plus loin en stipulant qu’il n’est pas nécessaire qu’il y ait des gens qui meurent de faim pour qu’on puisse parler de génocide. Il suffit qu’il y ait l’intention de créer des conditions qui vont mener à ce résultat. Plusieurs responsables israéliens ont déclaré récemment, ouvertement et à visage découvert, leurs souhaits et leur intention de déporter la population de Gaza, et même d’y lancer une bombe atomique, comme l’a suggéré le ministre israélien Amichay Eliyahu.

C’est pour éviter ces graves accusations de génocide que les États en guerre permettent l’instauration des couloirs pour faciliter l’évacuation des populations civiles. C’est ce qu’a adopté le gouvernement d’Azerbaïdjan récemment en Haut Karabakh, mais ceci n’a pas empêché la France et l’Arménie d’accuser Bakou de génocide. Pour Gaza, Paris a tourné carrément la tête pour ne rien voir des massacres. Les couloirs ouverts par Israël pour quatre heures afin de permettre aux palestiniens d’échapper à leur sort, ont été jugés, et à juste titre, par Dominique De Villepin de simples pauses techniques.

Hier stratégique et indispensable durant la confrontation entre les deux blocs, Israël s’apparente aujourd’hui plus à un boulet pour l’Occident, seule région du monde qui lui apporte encore officiellement son appui. La guerre que Tel Aviv mène contre les palestiniens, aussi bien à Gaza qu’en Cisjordanise, a relégué celle d’Ukraine au second rang au grand dam des européens. Mieux que ça, tous les peuples occidentaux, qu’on a voulus mobiliser contre les russes, manifestent de plus en plus leurs soutiens aux palestiniens, y compris dans les communautés juives.

La Cour Pénal Internationale, qui vient d’être saisie pour les crimes inhumains perpétrés par l’armée israélienne à Gaza, aura l’embarras du choix pour les chefs d’accusation à porter contre Israël et ses responsables politiques et militaires impliqués.  Ses décisions seront encore et encore ignorées et bafouées par ce pays trop habitué à l’impunité. Elles auront cependant l’avantage de documenter, pour l’Histoire, les faits de cette tragédie des temps modernes qui se joue sous nos yeux.

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