Youssef Kriem

Ingénieur et membre fondateur du Mouvement Maan

Hausse des prix des carburants: qui en a réellement tiré profit et quelles pistes pour s'en sortir ?

Le 19 avril 2022 à 12h28

Modifié 19 avril 2022 à 13h30

Sur la base d'une consommation quotidienne moyenne de gasoil de l'ordre de 20 millions de litres, la hausse du prix de cet intrant indispensable aura coûté aux consommateurs marocains pas moins de 2,8 milliards de Dirhams depuis le début de l'année.

L'économie marocaine est tenue en haleine, depuis le début de cette année par les prix à la pompe des carburants et, plus particulièrement, celui du gasoil dont le litre ne s'est pas contenté de franchir la barre symbolique des 10 Dirhams, mais a allègrement dépassé les 14 Dirhams, il y a quelques jours.

Qu'il s'agisse de faire le plein de sa voiture ou de supporter les surcoûts de transport des produits de première nécessité, les Marocains, qui émergent tout juste de la crise sanitaire et de ses affres, sont de nouveau en proie aux caprices de la conjoncture internationale. Car en effet, le gouvernement marocain impute la responsabilité de la hausse à l'explosion des cours du pétrole sur le marché international, essentiellement en lien avec le conflit Russo-ukrainien.

Mais qu'en est-il vraiment ? Les distributeurs ont-ils profité de cette aubaine pour engranger davantage de bénéfices tel que le soupçonne l'opinion publique ? Les appels à la suspension provisoire des taxes sur les carburants sont-ils légitimes ? Quelles options se présentent à notre économie pour sortir de cette impasse ?...

Ce sont là autant de questions auxquelles nous tenterons de répondre objectivement, dans le cadre du rôle de veille citoyenne que le Mouvement Maan a pris le pari d'assumer.

Commençons tout d'abord par expliquer la structure complexe du prix à la pompe (cas du gasoil). Ce dernier est composé d'éléments fixes (indépendants du prix d'achat) et d'éléments variables (en pourcentage du prix) :

- Le prix de reprise du produit raffiné : il comprend le prix d'achat de la matière première sur le marché international, le fret maritime, les taxes portuaires (fixes, de 21,04 Dh/tonne), les frais d'approche au niveau du port (part variable de 1,80% x le prix d'achat + part fixe de 16,60 Dh/tonne), la taxe parafiscale (variable, de 0,25% du prix d'achat augmenté des taxes portuaires) et enfin la rémunération du stockage (fixe, de 150 Dh/tonne) ;

- La Taxe Intérieure de Consommation (TIC) : fixée à 2,422 Dh/litre ;

- La Taxe sur la Valeur Ajoutée (TVA) : au taux de 10% ;

- Le crédit de droit : au taux de 0,41% du montant de la TVA et de la TIC, il est destiné à compenser le différé de paiement de ces deux taxes ;

- Les frais et marge du distributeur (marge brute), assurant généralement la fonction d'importateur, de stockiste et de grossiste au profit des détaillants. Les marges des distributeurs sont décidées librement par ces derniers, depuis la libéralisation du secteur en décembre 2015. Les frais comprennent, entre autres, d'éventuelles assurances liées à l'état des navires et des coûts logistiques tels que les surestaries   ;

- Le coulage détaillant et la correction pour variation thermique des stocks : indemnités au profit des détaillants pour compenser les pertes de produit lors de la distribution et du remplissage, ainsi que la sensibilité des stocks aux variations de température. Elles sont respectivement, variable de 0,50% du prix de vente au détaillant et fixe de 0,015 Dh/litre.

- Les frais et marge du détaillant (marge brute) : l'on entend par détaillant l'opérateur de la station-service. 90% de ces dernières sont affiliées aux grands distributeurs, contre 10% seulement d'indépendants. Pour la plupart, les détaillants voient leurs marges fixées par les distributeurs et varient, généralement, entre 0,35 et 0,40 Dh/litre.

Le prix du pétrole a entamé sa hausse à partir du début de l'année, passant de 78$ à 111$ le baril entre le 31 décembre 2021 et le 15 avril 2022. La variation du cours à l'international ne se reflète pas immédiatement sur les prix à la pompe car il y a des effets de stockage à prendre en compte et l'on observe généralement un glissement de deux semaines. Dans l'infographie ci-dessous couvrant les 20 dernières semaines, nous avons reporté l'évolution des cours du gasoil raffiné (10ppm CIF NWE) ainsi que les prix à la pompe (station-service dans la région de Rabat) en tenant compte du différé de 15 jours, puis, la structure du prix étant connue, calculé par déduction les marges réalisées par les distributeurs :

Il en ressort que :

- L'évolution du prix à la pompe a bel et bien été en phase avec celle du prix d'achat à l'international (+43.6% depuis le début de l'année, ce qui correspond également à la variation du prix du baril) ;

- Les recettes de l'Etat ont enregistré une augmentation en valeur, passant de 3.37 Dh/litre au début de l'année à 3.78 Dh/litre actuellement (+12.2%) ;

- La marge des distributeurs a été vraisemblablement rognée, surtout entre mi-février et mi-mars 2022, avec toutefois un rattrapage observé à fin mars. Sur la période étudiée, les frais et marges des distributeurs n'ont que sensiblement dépassé 10%, tandis qu'ils étaient en moyenne de 14.6% durant la même période de 2021 ;

- Les frais et marges des détaillants n'ont quant à eux pas été impactés, en raison de leur caractère fixe. Cependant, il est à noter que l'accroissement de leur chiffre d'affaires, non corrélé à une amélioration des résultats, induira pour les détaillants les moins performants une augmentation de la cotisation minimale au titre de l'impôt sur les sociétés.

D'après l'annonce faite par Mme Leila Benali, ministre de la transition énergétique et du développement durable au parlement le 13 avril 2022, le stock national de gasoil serait de 437.000 tonnes et couvrirait 26 jours de consommation.

L'on en déduit que la consommation quotidienne de gasoil est de l'ordre de 20 millions de litres et que par conséquent, la hausse du prix de cet intrant indispensable aura coûté aux consommateurs marocains pas moins de 2.8 milliards de Dirhams depuis le début de l'année.

Que faire alors pour limiter les dégâts?

Plusieurs mesures sont à l'étude par le gouvernement et certaines ont même été enclenchées. Nous nous arrêterons sur celles qui nous semblent les plus pertinentes :

- L'octroi de subventions directes et ciblées aux ménages les plus vulnérables, sur le modèle de ce qui a été entrepris lors de la crise sanitaire et sur la base d'un registre social unifié ;

- La poursuite dans la voie de l'aide ciblée et provisoire aux transporteurs de marchandises et de personnes, afin d'éviter que les consommateurs marocains, surtout au sein des classes défavorisée et moyenne, ne voient leur pouvoir d'achat réduit à néant ;

- L'assistance aux détaillants les moins structurés, maillon faible de la chaîne de distribution, notamment en prévoyant des abattements sur la cotisation minimale à l'IS et ce proportionnellement aux pertes liées à la hausse récente des prix ;

- L'étude de l'intérêt de mettre en place un barème dégressif de la TIC qui garantirait les recettes fiscales à l'État lorsque les cours des matières premières se situeraient autour des cours de référence de la loi de finance, mais atténuerait l'impact sur le consommateur en cas de hausse imprévue des cours ;

- L'application stricte, sous peine de sanctions, de l'obligation pour les importateurs d'assurer un stock national de sécurité de 60 jours de consommation ;

- Le règlement au plus vite et par une intervention régalienne de l'Etat, du contentieux de la raffinerie de la Samir. Car en plus de priver le secteur des hydrocarbures d'une capacité de stockage d'environ 2 millions de m3, l'incapacité du Maroc à produire ses propres produits raffinés coûterait au consommateur final entre 1.5 et 2 Dh/litre de carburant. Ceci sans compter l'effet régulateur, pointé d'ailleurs par le Conseil de la Concurrence, de la présence d'un raffineur national qui ferait contrepoids à la domination des grands distributeurs.

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