Samir Chaouki

Président d'OMEGA Center for Economy & Geopolitics Researchs

Attaque terroriste au Mali. Ph. AFP

Feuilles d'Afrique. Les enjeux géopolitiques de l’Afrique de 2022

Le 4 janvier 2022 à 18h29

Modifié 4 janvier 2022 à 18h29

En plus des multiples variants du Covid-19, l’Afrique devra faire face en cette année 2022 à plusieurs défis d’ordre géopolitique, économique, sécuritaires et alimentaire. L’optimisme est malheureusement loin d’être de mise.

L’Afrique a laissé filer l’année 2021 sans aucun regret, les douze derniers moins n’ayant pas marqué le continent d’une pierre blanche. Les mêmes fléaux de toujours ont continué à la frapper et les mêmes espoirs ont été nourris sans aucune conviction de les voir exaucés. Pourquoi alors croire que les choses vont changer en cette année 2022 ? Et quels sont les enjeux qui vont dominer son économie et sa géopolitique ? Voici quelques pistes d’illustration.

L’UMA, toujours la même désillusion

Depuis plusieurs mois, la guerre froide entre le Maroc et l’Algérie a pris des formes d’affrontement direct notamment après la rupture diplomatique unilatérale décidée par Alger. Les relations bilatérales ne connaissent depuis aucun répit. Pis, l’Algérie refusant les propositions de bonnes offices de plusieurs pays notamment la Tunisie et la Mauritanie, ne fait que souffler sur les braises. Aucun espoir n’est envisageable pour que les choses s’améliorent cette année.

Cette rupture est malheureusement partie pour s’éterniser et durer des décennies, emportant avec elle tous les espoirs de voir l’UMA migrer du rêve à la réalité. L’escalade militaire de part et d’autre réconforte les partisans des bruits de bottes et relègue les plus optimistes au dernier rang.

En Tunisie, Kais Saied continue de verrouiller les libertés individuelles et collectives emboitant le pas au général Al-Sissi. Au nom d’une lutte anti-prévarication, il se permet tous les dépassements de la constitution, renvoyant les élections parlementaires à décembre 2022, soit un gouvernement constitutionnel en 2023, en d’autres termes ; circulez, il n’y a rien à voir en 2022 !

La Libye, quant à elle, subit toujours les tiraillements des forces étrangères sur son sol et les confrontations doctrinales des clans de Tripoli et de Benghazi. Les élections présidentielles reportées sine die risquent de ne pas voir le jour en 2022 tant les convoitises sont fortes. La Russie et la Turquie s’y disputent le leadership pour des raisons géopolitiques, l’Égypte veut sécuriser ses longues frontières en imposant un allié (ndlr: Khalifa Haftar), les Émirats Arabes Unis s’impliquent pour empêcher les courants islamistes de s’emparer du pouvoir, la France et l’Italie interviennent sous la table afin de conserver leurs intérêts économiques quitte à s’opposer aux valeurs universelles qu’elles affichent !

Pendant ce temps-là, la Mauritanie observe impuissante cet espace de l’UMA, plus disloqué que jamais, en essayant de continuer à jongler sur la corde raide de neutralité. L’UMA continuera hélas à perdre 2,1 points de PIB chaque année pour chacun de ses pays. Le prix fort d’une  honteuse désintégration.

Le Sahel, instabilité encore et toujours

Quand le monde accueillait l’année 2022 avec les feux d’artifice et surtout avec de l’espoir, les forces mercenaires « Vagner » débarquaient du matériel militaire lourd dans leur nouvelle zone de prédilection, le Mali du Colonel Assimi Goïta.

La Russie est plus que jamais décidée à investir cette région dans un plan gigantesque qui englobe la Libye, le Sahel et la Corne de l'Afrique. Poutine voudrait contrôler l’Occident et surtout l’Europe depuis cette zone sans s’afficher directement. Et le retrait de la France du nord du Mali en ramenant ses forces, déployés dans le cadre de l’opération Barkhane, de 5.100 militaires à seulement 1.500, conjugué au changement de pouvoir à Bamako, dresse un tapis rouge à la géostratégie de Moscou.

Paris ne voudrait plus endosser seule la responsabilité d’assurer les intérêts européens au Sahel, surtout la sécurité des flux de matières premières notamment un certain uranium qui sert à alimenter les centrales nucléaires en France, en Allemagne et en Angleterre. Ce retrait français, logique et attendu soit-il, contribuerait à une recrudescence du terrorisme avec le retour d'Aqmi et la montée en puissance de Boko Haram. Ainsi, les effets du désengagement français toucheraient la stabilité de plusieurs pays hormis le Mali comme le Niger, le Bénin, le Burkina-Faso et le Nigéria.

La présidence française de l’Union Européenne lors du premier semestre 2022 va-t-elle peser sur une décision européenne en faveur du Sahel ? Rien n’est moins sûr surtout avec l’avènement d’Olaf Scholz, nouveau chancelier allemand, dont les priorités sont plutôt d’ordre économique. Quant aux États-Unis, depuis que Donald Trump a renié publiquement tout intérêt à l’égard de l’Afrique, Washington se contente d’observer le continent en dépit de certaines déclarations de Joe Biden qui ne dépassent guère les bonnes intentions. Une attitude corroborée par le budget 2022 qui ne prévoit rien de particulier pour le continent, laissant le terrain au géant chinois.

L’Afrique, empire consacré de la  Chine

En 2018, la Chine consacrait 60 milliards de dollars pour l’Afrique dont 15 milliards en dons  et prêts sans intérêts. Elle avait commencé par dominer la Corne d’Afrique avant de s’étendre sur le reste du continent et imposer sa domination par le poids de ses investissements. En effet, l’argent chinois coule à flot et partout en Afrique. Le siège de l’Union Africaine à 200 millions de dollars, une ligne ferroviaire entre l’Éthiopie et le Djibouti à 3 milliards de dollars, une ligne entre Nairoubi et Mombassa à 600 millions de dollars …et les exemples n’en finissent pas !

Il y a quelques mois, en 2021, le président Xi Jinping annonçait des investissements en faveur de l’Afrique pour 40 milliards de dollars dans des projets en agriculture, en économie numérique et en changement climatique notamment. Les Occidentaux ne trouvent mieux que de crier au scandale accusant Pékin de corrompre les dirigeants du continent noir pour cautionner son opacité et aggraver le niveau d’endettement de l’Afrique. Ce à quoi répond Pékin par une volonté de construction d’infrastructures favorisant le développement africain dans une logique win-win.

En chiffres, les projets sous contrats des entreprises chinoises en Afrique représentaient 383 milliards de dollars en 2020 et la Chine s’impose comme premier partenaire de l’Afrique avec 187 milliards de dollars d’échanges commerciaux en 2019, loin devant la France à 57 milliards, et les États-Unis à 42 milliards.

En 2022, Pékin continuera à jeter son dévolu sur le continent noir et creusera davantage l’écart avec l’Occident, qui se contenterait de constater et de se lamenter. Les dirigeants africains devraient en revanche faire attention à leur niveau d’endettement qui, en moyenne,  commence à inquiéter alors que pris par pays, il relèverait dans certains cas de perte pure et simple de souveraineté.

Sécurité alimentaire, les ambitions d’OCP

En 2050, l’Afrique abritera 2,5 milliards d’habitants soit 27% des Terriens. Le défi majeur du continent sera d’assurer sa sécurité alimentaire. Mais cette préoccupations hante les dirigeants déjà depuis des années face à une démographie galopante et non maitrisée.

Déjà, de nos jours la pauvreté bat son plein, 20% de la population souffre de la malnutrition et 45% vivant au-dessous du seuil de pauvreté, l’agriculture contribue faiblement au PIB du continent qui importe pour 35 milliards de dollars en nourriture.

Des pays comme l’Éthiopie (110 millions d’habitants) ou encore le Nigeria (200 millions d’habitants) mettent la sécurité alimentaire au-dessus de toutes leurs priorités. Leur alliance avec le groupe OCP n’est pas fortuite et les réponses apportées par le premier groupe industriel marocain à ces pays est un cas d’école.

2022 sera une année décisive pour l’ancrage du rôle d’OCP dans la sécurité alimentaire du continent et sa responsabilité pour y contribuer concrètement. Ainsi, l’usine de l’Éthiopie (une JV à 50/50) verrait le démarrage de sa chaine de production dans sa première tranche à un million de tonnes d’engrais par an ce qui chamboulerait la cartographie agricole dans la région. Cependant, les régions qui subissent de plein fouet les aléas climatiques et les effets d’instabilité politique ou de terrorisme continueront à manger leur pain noir en attendant des jours meilleurs. La démographie du continent, faut-il le reconnaitre, ne facilite pas les choses pour une gouvernance alimentaire efficace.

En tous cas, l’Afrique de 2022 fera face aux mêmes défis qu’aux années précédentes sauf que des millions de jeunes s’ajouteront au marché de travail sans trouver un emploi digne et stable, un bon nombre de désespérés afflueront sur les côtes méditerranéennes quitte à y laisser leurs vies, et que des millions de pauvres africains quitteront leur patrie ou leur régions pour fuir du terrorisme et des guerres civiles, avec des centaines de milliers de victimes civiles … Pendant ce temps-là, le monde développé et prospère continuera à regarder ailleurs, sauf quand il s’agit de richesses naturelles du continent.

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