Ahmed Faouzi

Ancien ambassadeur. Chercheur en relations internationales.

Espagne, quarante ans dans l’OTAN

Le 8 juillet 2022 à 10h35

Modifié 8 juillet 2022 à 10h35

Il y a un an, lors du sommet de l’OTAN à Bruxelles, Pedro Sanchez n’a eu que trente secondes de marche dans un couloir pour parler au président américain Joe Biden des relations bilatérales. L’opposition et la presse espagnoles lui ont tenu grief pour cette attitude qu’elles ont jugée humiliante pour le pays. En ce temps, la Russie n’avait pas encore envahi l’Ukraine, mais l’Espagne s’était embrouillée avec le Maroc en raison de l’hospitalisation, sous une fausse identité, du chef du polisario.

Le sommet de l’OTAN qui a eu lieu en juin dernier à Madrid, est certainement une revanche sur l’histoire pour le chef de gouvernement espagnol. Le président américain Joe Biden, venu participer au sommet de l’OTAN, a passé avec lui plus d’une heure pour parler de la coopération bilatérale en matière de sécurité et de défense. Deux piliers importants des relations entre les deux pays. Ce sommet a été aussi l’occasion de fêter les quarante ans d’adhésion de l’Espagne à l’OTAN.

L’Espagne et les États-Unis se sont mis d’accord d’augmenter la présence navale américaine en déployant deux nouveaux destroyers sur la base de la Rota à Cadiz qui vont s’ajouter aux quatre déjà opérationnels depuis 2014. Pour sa part, Sanchez a informé Biden des efforts que mène Madrid au sein de l’OTAN, notamment le doublement du nombre des soldats espagnols stationnés en Lettonie. Il a tenu aussi à rappeler au président américain, les dangers qui guettent l’Espagne du sud.

Les relations entre l’Espagne et les États-Unis datent d’avant la naissance de l’État américain. En 1513 les troupes espagnoles découvrent et s’installent en Floride, deux décennies après le voyage de Christophe Colomb. Ils coloniseront après le Texas, le nouveau Mexique et la Californie. Toutes ces régions n’étaient pas des comptoirs, mais bel et bien des territoires de l’empire espagnol.

On peut aisément dire que l’esprit de l’inquisition, toujours en vigueur en Espagne de l’époque contre les andalous musulmans a bien été pratiqué contre les populations locales, dans ce qui allait être les États-Unis. Pour compléter leur colonisation, les espagnols se sont appuyés sur des troupes de mercenaires pour convertir par masse les autochtones. Plusieurs villes portent toujours des noms chrétiens donnés par les espagnols comme Los Angeles et San Francisco et bien d’autres.

Quand une puissance est en devenir, les États-Unis, et l’autre en déclin, l’Espagne, la cohabitation n’est plus possible. La guerre entre les deux pays éclate et le jeune État américain récupère plusieurs territoires des espagnols comme la Floride. La rivalité s’amplifie dans la deuxième moitié du 19e siècle et se cristallisera sur Cuba. Washington offre l’achat de l’île que l’Espagne décline. L’attaque contre un navire américain a été le bon prétexte pour Washington de clore définitivement la présence espagnole aux Amériques.

Le sentiment anti-américain est resté ancré depuis dans le subconscient espagnol. Ce n’est qu’avec la première guerre mondiale qu’on note un réel rapprochement entre les deux pays par l’adhésion de l’Espagne à la Société Des Nations, SDN. Quand éclate la guerre civile espagnole en 1936, Washington reste neutre et interdit les ventes d’armes aussi bien aux républicains qu’aux nationalistes espagnols.

Le président Roosevelt, démocrate, penchait pour apporter son aide aux républicains, mais les hommes d’affaires comme une grande frange des chrétiens américains, l’alertent sur la proximité de la gauche espagnole avec les communistes, et arrachent une forme de neutralité par rapport aux belligérants. Le général Franco écrase sans pitié les républicains, et instaure une dictature après une guerre civile sanglante. En soutenant l’Allemagne nazie, Franco se trouve isolé face aux alliés. Les américains lui refusent de bénéficier du plan Marschall qui allait reconstruire l’Europe d’après-guerre.

Rapprochement

C’est la guerre froide entre les deux blocs qui réchauffera plus tard les relations entre Washington et Madrid. Pour contenir les prétentions soviétiques, les américains reprennent langue avec le général Franco qui continuait à mener une guerre totale contre la gauche espagnole. La position géostratégique de la péninsule ibérique sur la Méditerranée, l’Atlantique, et le détroit de Gibraltar, ne pouvait laisser indifférents les américains.

Ils saisissent donc  l’isolement de Franco en Europe, et l’hostilité que lui opposent la France et la Grande Bretagne, pour se rapprocher de l’Espagne. Lorsqu’éclate la guerre de Corée, Madrid propose ses services à Washington en envoyant des forces armées en soutien aux américains. Ces derniers, en guise de reconnaissance, aident à annuler la résolution de l’Assemblée Générale des Nations Unies condamnant le régime franquiste.

Le chemin est donc libre pour renforcer la présence militaire américaine en Espagne. Les deux pays signent les accords de Madrid en 1953 qui leur permettent de s’installer définitivement à travers des bases terrestres et navales. Le gouvernement américain de l’époque a préféré la signature d’accords, au lieu d’un traité qui n’avait aucune chance d’être adopté par le Sénat qui voyait le régime de Franco infréquentable. Les accords englobaient trois aspects : fourniture d’armements, aide économique, et enfin la défense.

Les américains se déploient sans tarder en Espagne à travers quatre bases. Trois aériennes et une navale où on compte des milliers de militaires avec leurs familles. La base navale, la Rota, est la plus importante en termes de superficie. 2.400 hectares, trois quais de 2.400 mètres, un aérodrome militaire composé d’une piste de 3.700 mètres de long. Il va sans dire que pour la région de Cadiz, ces activités, initialement contestées, représentent une manne et des opportunités pour la région.

On comprend aisément pourquoi le président américain Biden, lors de sa rencontre avec son homologue espagnol, a tenu à mettre en avant la coopération militaire et le renforcement du rôle des bases américaines dans la péninsule ibérique. Les risques qu’encourt l’Europe dans son flanc Est, à travers le conflit russo-ukrainien, en est pour quelques choses. La présence russe en Méditerranée, qui arme intensément la Syrie comme l’Algérie, indiquent d’où proviendront les défis de demain.

Aux yeux des américains, le mare nostrum restera, pour longtemps encore, une zone de grands défis. La concentration de leurs forces en Indopacifique, pour contrer le velléités chinoises est, pour le moment, remise en sourdine par la gravité du conflit entre européens en Ukraine, et les risques d’instabilité qu’il peut générer sur le vieux continent.

La présence des autres alliés américains en Indopacifique au sommet de l’OTAN de Madrid, comme l’Australie la Nouvelle-Zélande le Japon et la Corée du Sud, venus en renfort, est un signal fort. Les forces installées dans une zone peuvent facilement basculer en cas de conflit majeur contre les russes en Europe, ou contre les chinois en Indopacifique. De même la demande d’adhésion de la Finlande et de la Suède à l’Alliance Atlantique, inscrit définitivement ces deux pays, longtemps neutres, dans le giron américain.

Le sommet de Madrid a permis donc à ses membres de mesurer les dangers que représente la Russie, mais aussi d’évoquer les autres menaces comme le terrorisme et le changement climatique. Dans cette perspective, il a lancé un fond pour l’innovation afin d’aider l’Alliance à renforcer ses avantages technologiques par rapport à la Russie et à la Chine dont le rapprochement avec Moscou commence réellement à inquiéter l’OTAN.

L’opinion publique espagnole semble loin de partager l’enrôlement tous azimut du gouvernement Sanchez et son alignement sur la politique américaine. C’est ce qui ressort en tout cas des débats publics et des analyses de spécialistes. Pour beaucoup d’espagnols, la stabilité du monde ne saurait être tributaire d’un seul bloc, et encore moins d’une seule puissance. La multipolarité lui parait le chemin qui pourrait empêcher le contrôle des affaires internationales par une seule puissance. Mais l’Espagne a-t-elle les coudées franches pour agir dans ce sens ?

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