Ahmed Faouzi

Ancien ambassadeur. Chercheur en relations internationales.

Choc de civilisations ou monde multipolaire ?

Le 3 mars 2022 à 12h07

Modifié 3 mars 2022 à 18h03

A la fin du sommet des pays industrialisés qui se tenait en juin 1987 à Venise en Italie, le président américain Ronald Reagan consulte ses conseillers pour évoquer l’étape suivante de son périple européen. Fallait-il maintenir sa visite à Berlin Ouest pour célébrer le 750e anniversaire de la ville, ou alors annuler ce rendez-vous ? On lui conseille de maintenir la visite. Du côté du bloc soviétique, des lueurs d’espoir commencent à apparaître depuis l’arrivée au pouvoir de Mikhaïl Gorbatchev. La visite de Reagan pourrait s’avérer utile.

En relisant le discours qu’il devait prononcer devant la porte de Brandebourg qui séparait la ville entre ses côtés Est et Ouest, certains de ses proches collaborateurs ont voulu bannir une phrase de son discours qui pouvait prêter à confusion et avoir un effet négatif sur les relations avec Moscou. Jugée trop conflictuelle, elle risquait de nuire aux relations naissantes avec Gorbatchev. L’idée fut maintenue par le président américain qui la prononça devant une foule enthousiaste et acquise.

"Il y a un signe qui ferait progresser considérablement la cause de la liberté et de la paix, Gorbatchev si vous recherchez la paix, si vous recherchez la prospérité pour l’Union Soviétique et l’Europe de l’Est, venez ici à cette porte, abattez ce mur". Cette phrase prononcée le 12 juin 1987 a été conservée pour l’histoire. Elle fût déterminante car, quelques mois après, les gouvernements des pays du bloc de l’Est commençaient à relâcher, l’un après l’autre, leurs emprises sur leurs peuples. Personne en ce temps-là, n’imaginait les bouleversements géopolitiques qui s’annonçaient.

Ce mur, que certains qualifiaient de mur de la honte ou rideau de fer, long de 160 kilomètres, haut de 3,60 mètres, était surveillé par 14.000 gardes-frontières. Il est devenu avec le temps le symbole de la division de l’Europe et des éternelles confrontations entre ses peuples. Sa chute le 9 novembre 1989 fut la fin des certitudes des uns, et l’euphorie pour ceux qui ont cru qu’ils étaient définitivement du côté des vainqueurs de l’histoire.

Devant les caméras du monde entier, les gardes-frontières cèdent ce jour-là, le passage à des citoyens longtemps sevrés de liberté. Ceux de l’Occident sont sur un nuage. Les autres, de l’Europe de l’Est, sont essoufflés et amoindris, cherchant tout simplement à rattraper le temps perdu. En même temps, la Chine, a déjà entamé sa mue sous la houlette de Deng Xiaoping en introduisant une gestion libérale de l’économie, sous la dénomination du socialisme aux caractéristiques chinoises.

De cette époque, restent les théories développées par des intellectuels américains Francis Fukuyama et Samuel Huntington. Le premier prévoyait la fin de l’histoire et l’avènement de la démocratie libérale, de l’économie du marché, et de l’improbabilité des guerres dans l’avenir, théorie sévèrement critiquée notamment par Jacques Derrida. Huntingdon par contre prévoyait le choc des civilisations, principalement entre l’Occident d’une part et la Chine et le monde musulman de l’autre.

Une guerre qui risque de contaminer le reste de l’humanité

Avec la grave crise actuelle entre la Russie et l’Ukraine, on peut déduire que ni Fukuyama ni Huntington n’avaient totalement raison, car voilà une guerre qui prend source entre européens, chrétiens de surcroît, et qui risque, si ce foyer de tensions n’est pas éteint, de contaminer le reste de l’humanité. Alors pourquoi les pays européens sont arrivés à ce point de non-retour dans un conflit qui pourrait leur être fatale ?

Tous les dossiers déclassifiés de cette époque laissent apparaître des promesses faites aux autorités russes de l’époque de ne pas étendre l’Otan vers leurs frontières. C’était la célèbre assurance pas un pouce vers l’Est qu’on attribuait au Secrétaire d’État américain James Baker. En contrepartie, Gorbatchev promettait la réunification des deux Allemagnes. Malgré ces promesses, la République tchèque, la Hongrie, la Pologne, la Bulgarie, l’Estonie, la Lettonie, la Roumanie, et la Slovaquie, se joignirent à l’Alliance Atlantique au grand dam de la Russie.

Mais l’Otan ne s’est pas arrêtée en si bon chemin. L’invasion irakienne du Koweït en 1990 a donné l’occasion aux Américains d’intervenir pour chasser les troupes irakiennes du Koweït avec l’aval du Conseil de sécurité. L’Irak, allié de Moscou, est d’abord affaibli. Après les attentats du 11 septembre 2002, le régime de Saddam Hussein fût balayé en 2003 par Georges Bush, sous des prétextes fallacieux et mensongers et sans autorisation des Nations-Unies. Des milliers de morts et de déplacés, et un pays ramené à l’âge de pierre.

Quelques années après, sous l’instigation de la France cette fois-ci, la Libye est elle aussi dans le point de mire de l’Otan. La résolution 1970 du 26 fevrier2011 met en place un embargo sur les armes à destination de la Libye et bloque les avoirs du régime à l’extérieur. L’autre résolution 1973 instaure une zone d’exclusion aérienne. Les troupes de l’Otan sont en œuvre à côté des troupes françaises pour opérer les changements nécessaires au-delà de ce que stipulent les résolutions. Moscou, comme les autres capitales, contemple encore une fois l’œuvre et les manœuvres, et ajoute la Libye à la longue liste des pays amis perdus au profit d’un Occident conquérant.

C’est ce même scénario qui a failli se répéter en Syrie en 2011 suite aux révolutions de ce qu’on a voulu appeler le printemps arabe. Les relations entre Damas et l’Occident n’ont jamais été au beau fixe en raison de l’opposition syrienne à la guerre en Irak et de ses soutiens aux groupes considérés comme terroristes par les américains. Barack Obama appelle à la fin de la répression contre les civils et le départ de Bachar AL-Assad. Hésitant, l’Occident crée un vide vite rempli par Poutine qui s’installe définitivement dans ce pays.

Choc entre européens et occidentaux

Aguerri, Poutine déploie ses forces dans la région pour imposer ses alliés et combattre, sans états d’âme, le terrorisme dont souffrent notamment les pays occidentaux. Il a maintenant un pied au Moyen-Orient et en Méditerranée, il peut vaquer à autres choses en Afrique et ailleurs. La Crimée sera annexée en 2014, mais ses regards sont toujours portés sur les frontières avec l’Europe et la propension de l’Otan à grignoter davantage sa zone d’influence.

Les dangers que prévoyaient les théoriciens au lendemain de la chute du mur de Berlin, entre l’Occident et les mondes musulman et confucéen, se sont avérés faux. Le choc des civilisations est désormais entre le même monde et la même culture occidentale. Ni l’Islam ni la Chine ne menacent l’humanité de disparition comme le font actuellement les pays européens et occidentaux.

Nos ancêtres sont venus libérer vos terres durant les conflits du vingtième siècle, sans demander obole. Cette fois-ci, essayons ensemble de construire un monde multipolaire, plus juste et plus solidaire, pour faire face aux vrais problèmes de l’humanité que sont le climat et le développement. Notre sang ne viendra pas abreuver vos sillons.

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