Martin Michelot

Membre des bureaux parisiens du German Marshall Fund

Dominik P. Jankowski

Responsable des Analyses internationales du Bureau polonais de sécurité nationale

Bâtir un “Triangle de Weimar” pour l’Otan

Le 16 septembre 2014 à 11h18

Modifié 16 septembre 2014 à 11h18

Il y a quelques mois, le Secrétaire général de l’Otan Anders Fogh Rasmussen déclarait considérer l’annexion de la Crimée par la Russie comme un "signal d’alarme" pour l’Occident. Depuis, Européens et Américains n’ont eu de cesse d’accentuer progressivement les sanctions économiques à l’encontre de la Russie.  

BERLIN – Malheureusement, par opposition à la cohésion dont ont globalement fait preuve les pays occidentaux sur le front des sanctions, leur réponse militaire face à une Russie ayant récemment affiché ses aspirations autour de ce qu’elle qualifie de "voisinage proche" s’est révélée hésitante et piètrement coordonnée.

En effet, selon un récent rapport de la Commission de la défense de la chambre des communes du Royaume-Uni, "l’Otan n’est à ce jour pas prête à faire face à une menace russe sur l’un de ses États membres." Cette question suscitant la plus grande inquiétude des pays membres de l’Otan géographiquement proches de la Russie, il incombe aux Alliés d’envoyer un message sans équivoque au président russe Vladimir Poutine lors de leur rencontre au Pays de Galles: l’intégrité territoriale des États de l’Otan revêt une nature inviolable.

Comme l’a souligné Rasmussen à maintes reprises, chacun des Alliés a certes contribué d’une manière ou d’une autre au renforcement de la défense commune. Néanmoins, là où certains ont affirmé leur engagement avec fermeté en déployant troupes de terrain et chasseurs supplémentaires, d’autres se sont contentés de ne fournir qu’un soutien mineur. Ainsi les États-Unis endossent-ils aujourd’hui l’essentiel de la responsabilité consistant à rassurer les États membres de l’Otan situés en Europe centrale et orientale.

S’exprimant à Varsovie au mois de juin dernier, le président Barack Obama s’est employé à rassurer l’Europe au travers d’une initiative d’1 milliards de dollars destinée à appuyer la défense des alliés de l’Otan les plus voisins de la Russie. Bien que cette annonce n’est pas été à la hauteur de ce que beaucoup attendaient en Pologne et dans les pays baltes, Obama a promis que ceux-ci pourraient compter sur la présence de "troupes américaines sur le terrain" – consistant en unités se relayant dans la conduite d’exercices réguliers.

Une initiative exclusivement américaine

Autrement dit, rien de particulièrement "européen" dans cette initiative. Non seulement la démarche est-elle "conduite" par les États-Unis, mais elle émane pour l’essentiel d’une initiative exclusivement américaine, qui ne fait intervenir aucun État européen, à l’exception des pays qui y participent dans la mesure où ils en font l’objet. Bien que la contribution américaine demeure indispensable à une dissuasion crédible face aux agressions russes, l’absence d’engagements clairs de la part de l’Europe en direction du déploiement de troupes sur place souligne la vieille problématique du partage de la charge entre les États-Unis et l’Europe. Si les Européens échouent à faire preuve d’implication autour d’une menace pesant sur leur propre sol, comment les Américains pourraient-ils y voir des partenaires fiables dans la perspective de défis qui surviendraient en d’autres lieux ?

Le prochain sommet de l’Otan offre à l’Europe l’opportunité de démontrer son engagement à l’égard de la défense commune, d’une posture de défense européenne plus solide, ainsi que de l’alliance transatlantique. Plutôt que de se contenter d’entreprendre ici et là quelques mesures de façade, il appartient à tout le moins aux États européens de l’Otan de s’engager à la hauteur de l’effort américain, en contribuant pour 1 milliard de dollars supplémentaire aux mesures destinées à rassurer les pays menacés. À titre de comparaison, un tel montant équivaudrait peu ou prou à ce que l’Allemagne a engagé à elle seule annuellement dans le cadre de sa contribution à la Force internationale d’assistance et de sécurité en Afghanistan ces dernières années.

Vers un partage plus équitable de la charge entre les États de l’Otan

Les États composant le fameux Triangle de Weimar – France, Allemagne et Pologne – apparaissent comme les plus à même de mener un tel effort. Il incombe à ces trois grands pays du centre de l’Europe de faire office de quartier général dans la région, susceptible de servir de base pour l’organisation de la défense et des exercices d’entraînement, ainsi que d’appuyer le roulement des troupes américaines.

La Pologne est depuis fort longtemps disposée à accueillir davantage de troupes sur son territoire, et serait tout à fait prête à servir de point d’ancrage à une telle contribution de la part de l’Europe. Ceci impliquerait probablement la remise à niveau des quartiers généraux du Corps multinational Nord-Est de Szczecin, qui pourrait également accueillir un contingent français en appui des forces danoises, allemandes et polonaises qui composent à ce jour l’essentiel de ce corps militaire. Sans pour autant accéder pleinement aux souhaits de la Pologne, il s’agirait d’une importante avancée en direction d’un partage plus équitable de la charge entre les États de l’Otan.

Bien que l’Allemagne – à qui l’on a longtemps reproché de faire preuve d’une trop grande "douceur" – se soit récemment montrée beaucoup plus ferme à l’égard de la Russie, les responsables allemands continuent de s’opposer à l’installation de nouvelles bases ou structures permanentes en Pologne et dans les pays baltes, craignant d’ajouter de l’huile sur le feu. Sans la présence de ces deux importants voisins à ses côtés, il est peu probable que l’Allemagne prenne part à une démarche impliquant le déploiement permanent d’unités de roulement.

Une Europe de la Défense

Or, une participation allemande permettrait d’envoyer un signal fort non seulement au Kremlin, mais également à ses alliés. La visibilité d’un tel engagement à l’égard de la défense permettrait également à l’Allemagne, parfois critiquée pour sa neutralité, d’entreprendre de nouvelles démarches diplomatiques auprès de la Russie.

Quant à la France, elle a fait l’objet de critiques virulentes autour de sa détermination à livrer deux navires de guerre Mistral au régime russe. En contribuant significativement à rassurer les Européens via une participation au renforcement de la présence de l’Otan à Szczecin, la France renouvellerait son attachement à la défense de ses alliés aux frontières de la Russie. Une telle démarche permettrait également de consolider la perception européenne d’une France leader en matière de défense, et contribuerait au façonnement d’une plus forte coalition dans le cadre d’un soutien supplémentaire au Triangle de Weimar. La création d’une telle force européenne constituerait en effet une avancée considérable sur le chemin d’une Europe de la Défense, concept auquel la France est depuis longtemps attachée.

Plus important encore, une telle initiative européenne, dont il s’agirait qu’elle demeure ouverte aux autres États, projetterait un message clair selon lequel l’Europe est prête à endosser sa juste part de responsabilité dans la défense commune – un signal que les États-Unis accueilleraient avec le plus grand enthousiasme. Au sein d’un monde actuellement agité, confronté à plusieurs crises sérieuses aux portes de l’Europe, il s’agirait là de l’une des rares évolutions positives de l’année 2014.

Traduit de l’anglais par Martin Morel

© Project Syndicate 1995–2014

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