Ahmed Faouzi

Ancien ambassadeur. Chercheur en relations internationales.

L'Algérie, toute honte bue

Le 11 juin 2022 à 12h03

Modifié 11 juin 2022 à 13h30

Suspension par Alger du traité d'amitié, de bon voisinage et de coopération avec l'Espagne. Puis rétropédalage. L'analyse d'Ahmed Faouzi.

Mercredi dernier le gouvernement algérien, poussé par les militaires qui dirigent réellement le pays, décide de suspendre le traité d’amitié de bon voisinage et de coopération qui lie Alger à l’Espagne. On aurait pensé que la raison de cette suspension a trait à un aspect bilatéral de leur relation, ou à un manquement politique de Madrid à l’égard de la souveraineté algérienne. Non. Alger proteste tout simplement contre une position, somme toute souveraine, du gouvernement espagnol par apport à un autre pays qu’est le Maroc.

En soutenant la proposition marocaine d’autonomie pour nos provinces du sud, pour sortir d’une crise larvée qui a duré plus d’un demi-siècle, Madrid s’est attiré les foudres de notre voisin de l’Est. Après avoir rappelé son ambassadeur, l’Algérie décide subitement, non pas de rompre ses relations diplomatiques, ou de fermer son espace aérien, comme à son accoutumé, mais de rompre tout bonnement les relations économiques avec Madrid, sans tenir compte ni des intérêts des entreprises algériennes ni celles espagnoles.

Alger qui a toujours tenu un discours se basant sur un argumentaire figé, que la question du Sahara ne regarde que le Maroc et le front Polisario, se trouve en porte-à-faux face à la communauté internationale. Ses prises de positions dévoilent, à peu de frais, sa vraie nature, qui consiste à être l’acteur principal d’un conflit qui n’a que trop duré.

Faut-il rappeler que la décision algérienne de rompre les relations économiques avec l’Espagne survient deux jours après que le général Said Chengriha, homme fort de l’armée et faiseur de président, menait des manœuvres militaires nocturnes pour illuminer le ciel de Tindouf au sud du pays, tout proche de la frontière avec le Maroc?

Ces manœuvres étaient sans doute une réponse prématurée aux exercices militaires African Lion que le Maroc organise habituellement et qui ont lieu ce mois de juin. Mais fallait-il aux autorités militaires algériennes de commettre tout ce tapage médiatique autour de cet événement, et d’arrêter tout lien économique avec l’Espagne, au moment où l’Algérie vit dans une situation politico-économique délicate avec des frontières inflammables de la Libye au Mali en passant par le Maroc ?

En réalité, ce n’est aussi qu’après avoir assuré des contrats gaziers avec l’Italie, lors de la visite du leur président à Rome en mai dernier, que les autorités algériennes ont estimé le temps opportun pour disqualifier Madrid du marché algérien, et de basculer subitement vers l’autre partenaire européen. Elles auraient pu prendre cette décision au lendemain de la reprise des relations entre Rabat et Madrid en mars dernier. Pourquoi ne l’ont-elles pas fait en son temps, alors qu’elles aiment tant prendre leurs décisions à chaud ?

Sous le choc du changement de cap de Madrid dans ses relations avec Rabat, les responsables algériens se sont octroyés, pour une fois et contre leur propre nature, le temps de préparer leur riposte. Les manœuvres militaires de Tindouf, comme la rupture économique avec Madrid, ne répondaient à aucun critère objectif. Elles étaient les manifestations bruyantes d’une puissance en perdition,  un show pour amuser la galerie, une communication à l’égard d’une société déboussolée, avide de ce genre de comportement sensationnel.

Cette attente de plusieurs semaines pour réagir à la position espagnole de cette manière brutale et irréfléchie laisse pantois quand on sait combien les entreprises et les économies de deux pays sont imbriquées au-delà des contrats gaziers. Mais les militaires algériens ne sont pas des managers pour comprendre cette dimension. Des milliards de dollars ont été engloutis depuis longtemps dans l’achat d’armement et le financement du Polisario, au détriment du bien-être des algériens, et sans retour sur investissement. Une grande frustration.

L’Algérie ne veut plus s’asseoir autour de la table des négociations, comme le lui demande l’Organisation des Nations Unies, pour résoudre le conflit saharien, sous prétexte qu’elle n’est pas concernée. Le communiqué de la présidence dévoile tout le contraire, qu’elle en est l’instigatrice, la responsable et la bénéficiaire. La présidence algérienne qualifie la position souveraine prise par l’Espagne, dans un cadre bilatéral avec le Maroc, de violation des obligations juridique morale et politique, de Madrid.

Face à cette attaque frontale, Madrid a réagi au communiqué algérien en regrettant cette annonce, et en réaffirmant que l’Espagne considère l’Algérie comme un pays voisin et ami, et réitère sa disponibilité entière pour continuer à maintenir et à développer les relations spéciales de coopération entre les deux pays. Mais ce langage, tout feutré et diplomatique qu’il est, peut-il être bien compris par les militaires algériens qui ne perçoivent la relation avec l’autre que dans la l’hostilité et la confrontation. ?

C’est effectivement sous cet aspect que l’Union Européenne a mis en garde le 10 juin les autorités algériennes contre les conséquences des restrictions commerciales imposées à l’Espagne, menaçant même Alger de mesures de rétorsion si aucune solution n’est trouvée pour régler ce contentieux. Dans un communiqué commun, le chef de la diplomatie de l’UE, et le vice-président de la Commission du commerce, ont jugé la décision algérienne extrêmement préoccupante.

Face à cette position ferme de Bruxelles, qui s’est inscrite dans un registre strictement économique pour préserver ses relations avec Alger, le gouvernement algérien a délégué cette fois-ci à sa Mission auprès de l’Union Européenne de formuler la réponse alors que son communiqué initial émanait de la présidence. De Bruxelles, Alger déplore la précipitation avec laquelle la Commission européenne s’est rangée du côté de Madrid.

Le ton du communiqué algérien a diamétralement changé comme par miracle. S’agissant de la prétendue mesure d’arrêt par le gouvernement d’Alger les transactions courantes avec un partenaire européen qu’est l’Espagne, le communiqué annonce naïvement qu’elle "n’existe en fait que dans l’esprit de ceux qui la revendiquent et de ceux qui se sont empressés de la stigmatiser."

C’est certainement parce que l’UE l’a exigé, que le communiqué algérien a rassuré sur la poursuite des livraisons de gaz à l’Espagne qui continuera comme prévu, alors que les responsables algériens ne cessaient de menacer de couper des gazoducs ou d’augmenter des prix, jouant ainsi avec les nerfs de ses partenaires et de ses clients espagnols.

Pour des raisons psychologiques propres à leur histoire, les responsables algériens, obligés d’avaler une couleuvre de plus, ne laisseront pas passer cette humiliation. Ils feront tout pour rendre la vie difficile au gouvernement Sanchez tant que ce dernier est au pouvoir. Ils mobiliseront leurs alliés de la gauche à la droite extrême, et les membres du polisario qui portent la nationalité espagnole, pour le déstabiliser davantage. Ils joueront les Italiens contre les Espagnols pour favoriser les premiers. C’est leur sport favori et c’est aussi leur ADN.

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