Après avoir été séquestré au Myanmar, un rescapé marocain raconte

Après trois mois de séquestration au Myanmar en tant que travailleur forcé dans la cybercriminalité, un rescapé raconte à Médias24 son calvaire. Du piège qui lui a été tendu aux séances de torture, voici le récit de trois mois de captivité.

Après avoir été séquestré au Myanmar, un rescapé marocain raconte

Le 29 mai 2024 à 15h34

Modifié 29 mai 2024 à 16h26

Après trois mois de séquestration au Myanmar en tant que travailleur forcé dans la cybercriminalité, un rescapé raconte à Médias24 son calvaire. Du piège qui lui a été tendu aux séances de torture, voici le récit de trois mois de captivité.

Le calvaire se passe au Myanmar, un pays en guerre qui partage ses frontières terrestres avec la Chine et la Thaïlande, entre autres. C’est cette dernière qui servira à la fois d’appât et de passage pour des ressortissants marocains, mais aussi d’autres étrangers rêvant d’une vie meilleure.

Ces personnes sont généralement “invitées” par des connaissances, voire des amis, qui leur proposent de faire “comme eux” et de s’installer en Thaïlande où une société leur versera un salaire important en contrepartie d’un travail légal.

Pour commencer, passage obligé par la Malaisie qui ne requiert pas de visa pour les Marocains. C’est là qu’ils obtiennent leur visa pour la Thaïlande. En tout cas, il en était ainsi au moment des faits. Car à partir du 1er juin 2024, les Marocains seront exemptés du visa pour la Thaïlande.

Ces Marocains se retrouvent finalement piégés, puisque la réalité ne correspond pas au rêve qu’on leur a vendu. Conduits contre leur gré au Myanmar, ils sont livrés à des groupes armés qui les séquestrent dans une sorte de forteresse bien gardée.

Ils sont alors forcés à commettre des arnaques. À défaut, ils sont torturés. C’est ce qu’a vécu ce Marocain de 22 ans qui, contacté par Médias24, décrit trois mois de séquestration vécus comme “90 ans de détention”.

Une offre de travail sur mesure

Tout commence en décembre 2023. Celui que nous appellerons “Hassan”, pour préserver son anonymat, réside à l’époque aux Émirats arabes unis. Il décide de se rendre en Thaïlande pour une nouvelle aventure professionnelle, après qu’un ami marocain rencontré aux Émirats lui a parlé de son expérience réussie dans cette contrée aux paysages époustouflants.

Cet “ami” indique travailler en Thaïlande pour une société chinoise opérant dans la cryptomonnaie. Il lui fait savoir que cette société recherche un graphic designer qui maîtrise l’anglais, en contrepartie d’un salaire alléchant.

Ça tombe bien, c’est son domaine d’activité. Et la langue ? Pas de problème ! Plus aucun obstacle pour entamer cette nouvelle aventure. Mais avant d’arriver en Thaïlande, il fait un arrêt en Malaisie. C’est au niveau de l'ambassade de Thaïlande qu’il dépose sa demande de visa. Aussitôt reçu, il décolle vers sa nouvelle vie.

Mais dès son arrivée, il remarque des comportements douteux. D’abord, il se fait escorter à l'aéroport. En fait, on ne le laisse pas se déplacer seul. Peut-être en raison du prestige de la société ? Après tout, c’est ce qui lui a été vendu par son “ami”. Donc rien d’alarmant jusque-là.

À sa sortie de l’aéroport, un chauffeur le récupère et roule en direction de la ville de Mae Sot. Ils s’y arrêtent et Hassan pense être enfin arrivé à destination. Erreur ! Il doit remonter en voiture, où il s’endort. Pensant se rendre au siège de son employeur, il réalise trop tard que la voiture a roulé vers le Myanmar, où il est livré à un groupe armé.

Pris au piège

“Je me retrouve dans une situation non enviable. Je n’avais pas le choix. J’étais seul face à une mafia. Il n’y avait rien à faire”, confie-t-il.

Selon Hassan, le groupe armé lui confisque son téléphone. Il leur en remet un et cache le second. Ensuite, il est forcé à traverser une rivière et est livré à un autre groupe armé. Celui-ci l’embarque dans une voiture, escortée par un autre véhicule dans lequel se trouvent plusieurs hommes armés. Selon lui, il s’agit de soldats.

“On arrive dans une sorte de petit village, protégé par un mur très haut. À l’intérieur, se trouvent des entreprises et des résidences”. C’est là qu’il est enfermé.

“Il était interdit d’en sortir. De toutes les façons, il était impossible d’y accéder. Tout était sécurisé par des soldats armés. Il n’y avait pas comment faire. Même si l’on arrivait à sortir, à l’extérieur c’était la guerre. L’on pouvait facilement se faire tirer dessus”, poursuit Hassan.

Arnaqueur forcé

Commence alors le “travail”. Un ordinateur lui est fourni avec un dossier présentant plusieurs personnalités fictives, en plus d’un script pour le guider au fil des jours. Le guider à jouer la comédie, faire semblant d’être une de ces personnalités fictives sur les réseaux sociaux, en montrant qu’il mène une vie de rêve dans le but d’attirer les futures victimes. Il s’agit des abonnés de ces comptes sur les réseaux sociaux, notamment sur TikTok.

“On se rend vite compte qu’il s’agit d’escroquerie. Le principe est d’échanger avec les followers de ces comptes fictifs pour les convaincre – de manière indirecte – d’investir leur argent via un site web ou une application. On les persuade que c’est grâce à ces plateformes que l’on a réussi à faire fortune. Or, en réalité, ces sites et applications appartiennent à la société qui nous fait travailler. Elle peut faire croire aux victimes qu’ils gagnent de l’argent, avant de les arnaquer et de prendre tout leur argent”. Selon Hassan, des sommes astronomiques sont soutirées via cette méthode.

“La victime pense échanger avec une personne réelle, alors qu’en réalité elle parle à une grande ‘société’ organisée”, explique Hassan qui dit être forcé à atteindre des objectifs financiers chaque deux jours, chaque semaine et chaque mois.

“Si l’on n'atteint pas ces objectifs, on se fait torturer. Finalement, on se rend compte que l’on se fait torturer et battre quotidiennement”. À moins d’adhérer à cette bande criminelle… Mais ce n’était pas le cas de Hassan qui indique avoir subi plusieurs sévices, notamment des coups et des électrocutions.

“J’ai vu deux Marocains prendre goût à tout cela. En fait, ça leur rapportait de l’argent”, explique notre interlocuteur.

Bien mal acquis

Il était possible de gagner de l’argent en piégeant d’autres personnes. Certains n’avaient pas de conscience et attiraient leurs proches pour les piéger à leur tour. Il était possible d’être libéré après en avoir ramené un certain nombre (5 ou 6). Ou bien, il était possible de recevoir de l’argent en contrepartie. Entre 10.000 et 30.000 DH.

“Un Marocain a ramené 25 personnes à lui seul. Il a, au minimum, gagné 250.000 DH en contrepartie. Cet argent facile en a attiré certains qui ont rejoint la bande criminelle qui les récompensait. Ceux qui n’y adhèrent pas finissent par souffrir”.

Hassan, lui, a refusé de faire subir à quelqu’un d’autre ce qu’il était en train de vivre. Il a tenté, durant ces trois mois, de communiquer en cachette avec les autorités marocaines, les associations locales, etc.

C’est ce qui animait le peu d’heures de répit dont il bénéficiait après 17 à 18 heures de travail forcé quotidien. De toutes les façons, les conditions n’étaient pas propices au repos. Ils étaient plusieurs à vivre dans une seule chambre, une vingtaine pour une douche qui manquait d’eau… Les conditions d’hygiène étaient désastreuses.

Les soins médicaux aussi. “En cas de maladie, ils laissaient mourir les gens qui ne rapportaient pas d’argent. Ceux qui étaient productifs pour eux étaient soignés par un médecin militaire”, raconte Hassan.

Libre mais détruit

Ses différentes tentatives de communication avec l’extérieur ont fini par porter leurs fruits. En fait, ses bourreaux ont découvert qu’un Marocain essayait de prévenir du monde. Ils l’ont torturé avant de lui demander de payer, via sa famille, une rançon de 6.000 dollars en contrepartie de sa libération.

Après trois mois de souffrance, Hassan est libéré et reconduit à Mae Sot. C’est là qu’une association thaïlandaise, qui œuvre en faveur des victimes de la guerre du Myanmar, lui vient en aide.

À son retour au Maroc, Hassan se sent “détruit psychologiquement”. Il a du mal à créer des liens avec les gens. “Je suis devenu solitaire et renfermé sur moi-même. La majorité du temps, je préfère être seul car j’ai peur de tout le monde, et j’ai l’impression que n’importe qui peut me vouloir du mal”.

Hassan a collaboré avec les autorités en étant séquestré, mais aussi à son retour sur le territoire national. Il nous indique avoir déposé plainte et apporté plus de précisions sur ce qui se passe là-bas.

Selon lui, 20 Marocains au moins se trouvaient exactement au même endroit que lui. Mais le complexe résidentiel compte 32 résidences. Il lui est donc impossible de quantifier exactement les ressortissants marocains sur place. “Rien qu’à Burma, il y avait 220.000 étrangers séquestrés, dont la majorité sont des Sri Lankais et Éthiopiens”.

Aujourd’hui, les familles des Marocains séquestrés au Myanmar continuent d’appeler les autorités à l’aide. Ces dernières ont annoncé l’ouverture d’une enquête le 15 mai dernier. Pour l’instant, aucune communication n’a suivi.

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