Délits boursiers: la grande inconnue de la politique pénale

Abdelali El Hourri | Le 30/10/2019 à 16:50

Délits d’initiés, manipulation de cours…Ces infractions boursières figurent dans les textes et dans les bouches. Mais pas dans les statistiques officielles. Ce sont les grands discrets de la politique pénale. 

Dans "politique pénale", il y a la partie "législation". Et en matière de délits boursiers, le droit marocain est bien servi. Ces faits sont incriminés et sanctionnés, entre autres, par la loi sur l’Autorité Marocaine du Marché des Capitaux (articles 42, 43 et 44). A la clé, des peines qui atteignent 2 ans d’emprisonnement pour le cas de la "diffusion d’informations fausses ou trompeuses".

Mais dans "politique pénale", il y a aussi la partie "exécution". Celle-ci est dévolue à la présidence du ministère public. Jetons un coup d’œil sur son dernier rapport (2018): Avec un souci du détail inédit, le document rend compte, infraction par infraction, du nombre des poursuites engagées durant l’année. A une exception près : Celles relatives à la bourse ne sont mentionnées nulle part. Ni parmi les infractions financières, ni parmi les comportements réprimés par des lois spéciales (délits de changes, banqueroute, données personnelles, propriété industrielles etc.). Ce même constat s’applique au rapport 2017.

L’absence de chiffres vaut-elle absence de cas ? Au ministère public, on préfère relativiser : "Ces délits existent dans les faits, mais il est difficile, vu l’effectif réduit de magistrats, d’attaquer un registre aussi pointu. L’institution se concentre sur des infractions qui constituent des priorités de la politique pénale (infractions contre les personnes, les biens, terrorisme etc.)", nous dit une source judiciaire. Le délit d’initié est pourtant évoqué dans la Constitution (article 36).  

Peu formés en la matière, les magistrats du parquet ne sauraient, par eux-mêmes, déceler d'éventuelles anomalies sur le marché boursier. En ce sens, l'enclenchement de l'action publique reste tributaire d’un renvoi initié par l'AMMC. Or, du côté du régulateur, il existe peu ou pas de communication faisant état de dossiers transmis aux procureurs.

L’AMMC s’explique

L’instantanéité des transactions rend particulièrement difficile l’identification des comportements délictueux. L’AMMC dispose d’une nouvelle solution de surveillance (Millenium Surveillance) qui relève annuellement un nombre important d’anomalies :

-  1.444 anomalies en 2016. Douze cas ont fait l’objet d’analyses plus approfondies, dont 7 cas de manipulation de cours, 4 pour intervention d’initiés et 1 cas de publication d’informations fausses. Trois enquêtes ont été ouvertes.

- Le bilan de l’année 2017 fait quant à lui ressortir 2.180 alertes émanant du système dont l’exploitation a permis de ressortir 20 cas pour des analyses plus approfondies. Quatre enquêtes portant sur des "comportements susceptibles d’être assimilés à des manipulations de cours".

Où en sont ces enquêtes ? Les faits relevés ont-ils donné lieu à des renvois à la Justice ? "Depuis l’institution de l’AMMC et du Collège des sanctions en 2016, divers dossiers d’infraction, se situant à des étapes différentes de la procédure, sont soit en cours de traitement par les services de l’AMMC, soit en cours d’examen par le Collège des sanctions", nous indique une source autorisée au sein du régulateur.

On en déduit que les 7 enquêtes ouvertes en 2016 et 2017 n’ont pas encore abouti. C’est que la simple détection de ces agissements "n’est pas synonyme de saisine automatique de l’autorité judiciaire", se justifie notre source. Une fois enclenché, le processus est long et complexe. "L’enquête est menée par des agents spécialement commissionnés à cet effet dont les conclusions peuvent donner lieu au déclenchement d’une autre procédure qui se déroule, cette fois-ci, devant le Collège des sanctions de l’Autorité. L’instruction menée par cet organe indépendant du Conseil d’administration est sanctionnée par un avis qui se prononce, d’une part, sur le caractère pénal des faits relevés et, d’autre part, sur la transmission éventuelle du dossier concerné à l’autorité judiciaire".

Le rôle de l’AMMC se poursuit après le renvoi du dossier aux juges. Le suivi qu’assure le régulateur ne se cantonne pas au simple "reporting" du procès. L’autorité "a la possibilité de se constituer partie civile" et d’exercer tous les droits que lui attribue ce statut. Elle peut en ce sens soulever ses moyens de défense et prétendre au versement de dédommagements.

Pour l’AMMC, "l’objectif ultime de la transmission de ces dossiers à la justice n’est pas quantitatif et ne vise pas à accroître le nombre de condamnations prononcées, mais tend plutôt à activer l’effet dissuasif des dispositions législatives régissant ces infractions et à préserver le bon fonctionnement du marché, son intégrité et la transparence des opérations qui y sont réalisées."

Une jurisprudence méconnue

Il faut remonter à 2012 - et donc à l’époque du Conseil déontologique des valeurs mobilières- pour repérer la dernière communication sur la judiciarisation d’un "dossier d’enquête relatif à des opérations susceptibles d’être qualifiées de manipulation de cours". En 2011, le CDVM avait transmis cinq autres affaires, cette fois-ci liées à des délits d’initiés.

Pour la période de 2006 à 2010, les statistiques du CDVM faisaient ressortir 37 dossiers de manipulation de cours et 18 cas de délits d’initiés. Or, moins d’une dizaine de cas avaient été transmis à la Justice. Ce qui laissait penser à un "traitement sélectif" des abus. C’est en tout cas ce que suggérait le rapport 2010 de la Cour des comptes, qui avait sévèrement critiqué le Gendarme de la bourse.  

Du reste, le sort des dossiers transmis n’a jamais été rendu public. De sorte qu’il est difficile d’en étudier les jugements. Où en est la jurisprudence en matière de droit boursier ?

Les juges "ont traité sévèrement les directeurs de sociétés impliqués dans les cas de manipulation des transactions liées aux actions en bourse", explique le Premier président de la Cour de cassation. Il s’exprimait le 21 octobre lors de la conférence internationale de Marrakech sur la Justice. Non contextualisée, la déclaration du haut magistrat reste à vérifier. Pour la plus haute juridiction du Royaume, cela passe aussi par la démocratisation de ces arrêts.

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