Après avoir mis le focus sur l’archéologie de sauvetage sur la mosquée Al Quaraouiyine, c’est désormais aux tombeaux mérinides de Fès que nous consacrons un article. En décembre dernier, l’Académie du Royaume du Maroc avait dédié une journée scientifique exceptionnelle à l’archéologie de sauvetage sur Tinmel et autres monuments emblématiques du Maroc, dont les tombes monumentales de Fès, perchées sur la colline d’Al Qolla.

L’académie a invité Samir Kafas, enseignant-chercheur à l’Université Sultan Moulay Slimane de Béni-Mellal, pour illustrer le cas des tombeaux mérinides de Fès.

"Le Maroc, pays à fort potentiel archéologique, est confronté, depuis le milieu des années 1990, à la responsabilité de préserver son patrimoine culturel en général et archéologique en particulier", déclare cet archéologue de formation spécialisé dans la période islamique.

"La valeur universelle exceptionnelle qui justifie l’inscription de la ville de Fès au patrimoine mondial devait être préservée. Plusieurs projets de sauvegarde ont été menés sur plusieurs années. Plusieurs fouilles de sauvetage et fouilles préventives ont également été exécutées lors de la mise en œuvre de ces différents projets de sauvegarde qui ont intéressé, entre autres, des mosquées, des madrassas et des maisons traditionnelles", poursuit Samir Kafas.

"Les fouilles menées récemment dans la nécropole d’Al Qolla constituent l’une des actions qui consacrent l’importance capitale de l’archéologie préventive comme un préalable incontournable de la sauvegarde. En effet, les rares textes historiques qui se rapportent à ce site ne fournissent pas assez d’informations sur les événements qui l’ont marqué. Les quelques vestiges qui tiennent debout n’ont suscité que peu d’intérêt de la part des chercheurs, des historiens et des archéologues. L’histoire du site demeure encore énigmatique, voire obscure", explique l’enseignant-chercheur.

Une mission dépêchée pour mettre en valeur le site

"Les récentes fouilles de sauvetage qui ont intéressé le site des tombeaux mérinides de Fès, connu localement sous l’appellation Al Qolla, ont été dépêchées par l’ADER [l’Agence pour le développement et la réhabilitation de la médina de Fès, ndlr] pour effectuer des fouilles de sauvetage avant de procéder à la mise en valeur du site. La mission a été prise en charge par une équipe de chercheurs et d’étudiants doctorants", indique Samir Kafas.

Ces fouilles s’inscrivent dans le cadre des projets d’aménagement et de mise en valeur du site Al Qolla qui, aux côtés d’autres monuments historiques et sites archéologiques, est visé par la convention de partenariat et de financement relatif au programme complémentaire de mise en valeur de la médina de Fès 2018-2023.

Les objectifs de ce programme sont les suivants : diagnostiquer un terrain faisant l’objet d’un projet d’aménagement et de mise en valeur ; fouiller et documenter au maximum ces sites majeurs avant qu’ils ne fassent l’objet de travaux susceptibles de porter atteinte à leur intégrité ou à leur authenticité ; répondre aux questions archéologiques qui demeurent en suspens ; mettre en exergue les éléments archéologiques et architecturaux à sauvegarder et à valoriser ; mettre à la disposition des architectes restaurateurs les éléments essentiels leur permettant d’établir des solutions techniques adéquates et adaptées pour la sauvegarde du site.

17 sondages, 10 espaces de fouilles et une superficie fouillée de plus de 2.000 m²

Les fouilles de sauvetage sur le site des tombeaux mérinides de Fès ont été menées sur une superficie de 2.547 m². "Un véritable défi exécuté en un mois seulement ; vingt jours de fouilles et dix jours d’étude. Une dizaine de jours ont été consacrés aux études post-fouilles", précise Samir Kafas.

Au total, sept secteurs ont été individués à l’issue de la prospection. Le premier secteur est celui correspondant à la "mosquée", située à l’entrée du site, et qui a fait l’objet de cinq sondages. Le deuxième secteur est celui de la "qasbah", qui a subi un travail de dégagement à la pelle mécanique et connu l’ouverture de deux sondages et d’un espace de fouille.

Désigné sous le nom de "rempart", le troisième secteur, pour sa part, a fait l’objet de deux sondages.

Baptisé "Qoba 1", le quatrième secteur a vu l’implantation de quatre espaces de fouilles. Le cinquième secteur, dénommé "Qoba 2", a connu l’installation de cinq espaces de fouilles, tandis que le sixième secteur ("Qoba 3") a vu l’implantation de huit sondages de dimensions variées. Le septième et le plus petit des secteurs ("Qoba 4") a connu quant à lui un dégagement presque total.

Deux types d’intervention

Deux types d’intervention ont été appliqués au long du processus. "Une intervention rapide imposée d’urgence par les courts délais impartis à l’opération, qui consistait à recourir à l’usage de la pelle mécanique pour pouvoir dégager des surfaces importantes en un temps court et accélérer la cadence des travaux. Cette approche n’a concerné que deux secteurs vastes qui ne représentaient pas de risque important de destruction archéologique, à savoir les secteurs "mosquée" et "qasbah", explique Samir Kafas.

"Le deuxième type d’intervention appliqué est l’intervention méthodique et minutieuse, qui met en application la fouille stratigraphique basée sur l’analyse de la succession des unités stratigraphiques et de leur relation afin de répondre à la problématique de la chronologie et à d’autres questions scientifiques d’ordre fonctionnel, organisationnel, structurel et technique de l’espace fouillé", souligne-t-il.

"Elle a été appliquée aux zones jugées sensibles et à celles ayant révélé des vestiges importants en se servant de la main-d’œuvre et des outils conventionnels de la fouille."

Des résultats significatifs

Ces fouilles de sauvetage ont conduit à des résultats importants dans les divers secteurs étudiés.

"Le secteur 'mosquée' a livré des résultats très intéressants qui viennent éclairer l’histoire du site. La grande révélation des fouilles, c’est que dans cette partie du site, nous sommes face, non pas à un édifice religieux, mais à une résidence officielle."

"Il s’agit d’un bâtiment d’une grande harmonie qui atteste de son caractère de commande officielle. Le plan est dessiné préalablement à son exécution, comme le font ressortir les évidences archéologiques. Il répond par ailleurs à des exigences très strictes de symétrie et de rigueur planimétrique et altimétrique", décrit Samir Kafas.

"Sur le plan organisationnel, l’opération a été exemplaire. Elle servira d’exemple pour les futures fouilles. Sur le plan scientifique, les résultats ont pu corroborer les données textuelles et permis de remettre en question les anciennes données communes sur les tombeaux mérinides de Fès. Les nouvelles données qui se dégagent des fouilles concernent l’origine almohade du site, l’occupation continue depuis le XIIe siècle, la fonction funéraire et celle d’apparat et du pouvoir", conclut-il.