Abdeljebbar Qninba : “L’Archipel d’Essaouira accueille la plus belle colonie de faucons d’Éléonore au monde”

Afalkaï, le "beau" en amazighe, est le nom donné au faucon d’Éléonore par les Souiris. Ce rapace méditerranéen s’est éloigné de son aire naturelle de reproduction pour s’installer dans l’Atlantique marocain. L’archipel d’Essaouira est ainsi devenu le lieu d’accueil de "la plus belle colonie de faucons d’Éléonore au monde". Abdeljebbar Qninba, ornithologue et enseignant-chercheur à l’Institut scientifique de l’Université Mohammed V de Rabat, revient dans cet entretien sur une véritable success story de conservation d’espèces au Maroc.

Faucons d'Eléonore, jeunes non volants. Photo: A. Qninba

Abdeljebbar Qninba : “L’Archipel d’Essaouira accueille la plus belle colonie de faucons d’Éléonore au monde”

Le 10 décembre 2023 à 9h23

Modifié 10 décembre 2023 à 9h23

Afalkaï, le "beau" en amazighe, est le nom donné au faucon d’Éléonore par les Souiris. Ce rapace méditerranéen s’est éloigné de son aire naturelle de reproduction pour s’installer dans l’Atlantique marocain. L’archipel d’Essaouira est ainsi devenu le lieu d’accueil de "la plus belle colonie de faucons d’Éléonore au monde". Abdeljebbar Qninba, ornithologue et enseignant-chercheur à l’Institut scientifique de l’Université Mohammed V de Rabat, revient dans cet entretien sur une véritable success story de conservation d’espèces au Maroc.

Les gnaoua, l’arganier, le port, la sqala de la kasbah, l'ancienne médina, la grotte de Bizmoune et ses coquilles, la plage, le vent… les atouts d’Essaouira sont innombrables. Un rapace nommé Afalkaï devrait intégrer, à l'avenir, cette longue liste des richesses culturelles, historiques et naturelles de Mogador.

Le faucon d'Éléonore, à qui les Souiris ont donné ce patronyme amazigh signifiant le "beau", s’est éloigné de son aire naturelle de reproduction qu'est la Méditerranée pour s’installer dans l’archipel de cette ville de l’Atlantique. Pas moins de 1.500 couples y vivent aujourd’hui en colonie, au lieu d'une cinquantaine recensée en 1980. En quatre décennies, l’effectif a ainsi été multiplié par trente.

L’histoire d’Afalkaï dans la ville d’Essaouira est donc une des plus belles réussites de conservation d’espèces à l’échelle mondiale. Le Pr Abdeljebbar Qninba, ornithologue et enseignant-chercheur à l’Institut scientifique de l’Université Mohammed V de Rabat, chapeaute depuis plus de dix ans la mission de conservation de cette espèce emblématique de la ville de Mogador.

Au cours de cet entretien, il évoque les particularités surprenantes de ce rapace et revient sur son histoire à travers les siècles.

Pr. Abdeljebbar Qninba chargé de la coordination des opérations de recensement de la population d'Afalkaï de l'Archipel d'Essaouira, en face d'un Faucon adulte (phase sombre)- Photo de Louis-Marie Préau

 

Médias24 : Vous avez travaillé récemment sur un document de vulgarisation sur le faucon d’Éléonore, ce rapace que vous considérez comme un des patrimoines naturels uniques du pays. Avant d'évoquer ses particularités, pourriez-vous d’abord nous expliquer pourquoi ce faucon est appelé "Éléonore" ?

Abdeljebbar Qninba : Il a été appelé "Éléonore" en référence à la reine Éléonore d’Arborée, qui régnait en Sardaigne au XIVe siècle. En son temps, elle avait promulgué une sorte de texte de loi pour protéger ce faucon du braconnage. Et depuis, on l’appelle le faucon d’Éléonore.

- Qu’est-ce qui fait que ce rapace soit unique en son genre ?

- Il faut d’abord dire que cet oiseau présente plusieurs particularités. Des particularités globales qui sont valables pour toute la population mondiale, et des particularités à l’échelle nationale avec un ou deux traits qui concernent spécifiquement le Maroc. De plus, le faucon d’Éléonore d’Essaouira montre quelques caractères bien particuliers.

Première particularité : c’est un prédateur colonial. C’est-à-dire qu’il vit en groupe. Généralement, quand on pense aux rapaces, comme les aigles, les buses, les milans etc., on pense à des prédateurs territoriaux qui vivent en couples isolés. Celui-là – et c’est assez rare chez les rapaces pour être signalé – fait partie des rares espèces qui vivent de manière coloniale. Ce sont donc des colonies qui sont composées de plusieurs couples, des dizaines ou des centaines de couples dans un même territoire.

La deuxième particularité de ce faucon est qu’il est insulaire. Il ne niche que dans les îles. Le faucon d’Éléonore est donc colonial, insulaire, mais aussi migrateur, puisque toute la population passe l’hiver à Madagascar. Elle remonte ensuite vers la Méditerranée pour sa reproduction. C’est un oiseau considéré comme typiquement méditerranéen.

Pour la première fois dans le monde, on découvre qu’un animal emprisonne vivant un autre animal. Du jamais vu !

Zones d'hivernage en bleu et de nidification en jaune du faucon d'Éléonore - Carte A. Qninba

 

- Mais quand on parle d’Essaouira, on n’est pas en Méditerranée…

- Justement, il y a trois exceptions au schéma global que je viens de présenter. Il existe en fait trois colonies qui ne sont pas méditerranéennes, deux au Maroc et une sur l’archipel des Canaries. Au Maroc, il y a la colonie de Salé et celle d’Essaouira.

Autre particularité à noter : il ne niche pas en période printanière comme la grande majorité des oiseaux des zones tempérées. Il décale sa période de nidification vers la fin de l’été et le début de l’automne, pour la faire coïncider avec les passages migratoires des passereaux. Sur la plus grande partie de l’année, il est insectivore, il se nourrit donc d’insectes, mais comme il a besoin de plus d’énergie pour la reproduction - se battre, pondre, couver, nourrir ses oisillons, etc. -, il modifie son régime alimentaire et se met à capturer et manger d’autres oiseaux. Or, la fin de l’été et le début de l’automne sont des périodes de migration importantes.

Il a développé une autre spécificité très intéressante : quand la météo est bonne, il chasse en groupe, et s’il capture beaucoup de proies, il constitue des garde-manger. Il stocke les cadavres de ses proies de telle sorte que si la météo se dégrade - beaucoup de vent, orages... - et stoppe la migration des oiseaux, le faucon d’Éléonore se rabat sur les garde-manger qu’il a constitués auparavant.

Mohamed Ber'ouz, un des rares pêcheurs sur l'archipel d'Essaouira et qui connaît bien les comportements d'Afelkaï, nez à nez avec le rapace - Photo Louis-Marie Préau

 

- Comment expliquer alors le fait que le faucon d’Éléonore ait quitté son aire naturelle de reproduction en Méditerranée pour s’installer sur l’Atlantique, au Maroc, et à quel moment cela s’est-il produit ?

- Au Maroc, nous avons deux des trois colonies atlantiques : Salé et Essaouira. La colonie de Salé est d’ailleurs la seule au monde qui ne soit pas insulaire. Là-bas, au nord de Salé, le faucon d’Éléonore niche sur des falaises marines, mais continentales. On ne sait pas pourquoi et à quel moment il est sorti de la Méditerranée pour établir des colonies sur l’Atlantique. On sait, en revanche, que le général et navigateur carthaginois Hannon, au VIIe ou VIe siècle av. J.-C., qui devait installer des comptoirs carthaginois le long des côtes méditerranéennes et atlantiques marocaines, avait décrit une île : Cerné ou Kerné, correspondant probablement à celle d’Essaouira, où un faucon établissait ses nids par terre ! Il est possible qu’il s’agisse du faucon d’Éléonore d’Essaouira. Si la correspondance est exacte, cela voudrait dire que l’installation de cette espèce d’oiseau en dehors de la Méditerranée est très ancienne. Sauf que le géographe andalou Abou Oubaïd Al Bakri, au XIe siècle, n’a pas parlé de faucon sur les îles d’Amagdoul, devenues plus tard Essaouira, alors qu’il avait bien rapporté la présence d’une grande colonie de pigeons sur l’une de ces îles, appelée pour cela Jazirate Al Hamam (île aux pigeons). Deuxième élément, l’artiste-peintre néerlandais du XVIIe siècle, Adriaen Matham, est passé dans la région et on lui avait parlé de "l’île aux pigeons", mais pas d’un faucon colonial. Donc, au moins du XIe au XVIIe siècles, il n’y avait pas de faucon d’Éléonore sur l’archipel d’Essaouira. L’installation serait ainsi plus récente, à partir du XIXe siècle, période durant laquelle la présence du faucon a été citée pour la première fois dans la région et au Maroc. Il y a cependant une troisième théorie : l’installation aurait été ancienne, conformément aux descriptions du navigateur carthaginois Hannon, puis le faucon aurait disparu pour ensuite réapparaître au XIX° siècle. On aurait donc trois hypothèses…

Aquarelle de Laurence Malherbe, illustrant l'archipel d'Essaouira.

 

- Dans l’archipel d’Essaouira, on compte aujourd’hui 1.500 couples de faucons d’Éléonore alors qu’ils n’étaient qu’une cinquantaine il y a quarante ans. On peut clairement parler d’une success story en termes de préservation et de protection de cette espèce…

- Les recensements et les visites de chercheurs anciens parlaient de 200 couples sur l’archipel d’Essaouira. L’archipel, sans protection à l’époque, était le lieu de dérangements et de braconnages qui avaient fait chuter drastiquement l’effectif des faucons ; en 1980, il n’y avait que 45 à 50 couples. Et c’est mon ami et collègue, mais également un de mes professeurs, M. Michel Thévenot, alors chercheur à l’Institut scientifique de Rabat, qui avait recommandé aux autorités compétentes (l’Administration des Eaux et forêts) de doter l’archipel d’un statut de protection : Réserve de chasse en 1979 et Réserve biologique en 1980. Un tournant extraordinaire qu’il convient de signaler. Car à partir de cette date, avec la présence d’un gardien sur place et le contrôle ferme de la fréquentation de l’archipel - seuls quelques pêcheurs et cueilleurs d’algues ou de pieds de biche bien connus des autorités étaient autorisés à accéder au site -, le faucon a retrouvé de la quiétude avec les résultats que l’on connaît actuellement. D’une cinquantaine de couples recensés en 1980, l’effectif est passé à environ 1.500 couples aujourd’hui. C’est tout simplement exceptionnel dans le domaine de la conservation des espèces à l’échelle mondiale. En quarante ans, l’effectif a été multiplié par trente. Et je trouve que les Eaux et forêts, qui sont pourtant à l’origine de cette action, ne communiquent pas suffisamment sur une des plus belles réussites en matière de conservation de la nature au Maroc et dans la région d’Essaouira, sinon au monde.

Une partie de l'équipe de recensement, en septembre 2019, avec, entre autres, Hassan Sahmoud (en costume officiel), agent des Eaux et forêts chargé du gardiennage et le Pr Abdeljebbar Qninba au premier plan à gauche - Photo Louis-Marie Préau

 

- C’est presque une évidence, mais la protection de l’archipel est idéale pour la préservation du faucon d’Éléonore…

- Oui. C’est pour cela que la conservation a réussi. C’est un territoire isolé, dont la fréquentation est vraiment contrôlée. Le reste s’est fait tout seul. À partir du moment où les Eaux et forêts ont déclaré le site Réserve biologique, la nature s’est occupée du reste.

- D’ailleurs à Essaouira, ce rapace porte un nom local…

- Absolument. Les initiés, les pêcheurs qui fréquentent l’archipel, les gens de la zone marine connaissent bien cet oiseau, au point de lui donner un nom local Afalkaï, de l’amazighe Ifoulki, qui signifie beau. Et il est effectivement très beau. D’ailleurs, c’est le titre que j’ai donné au document que je prépare : Afalkaï, le faucon d’Essaouira-Mogador.

Et là, je dois évoquer un autre phénomène biologique inédit dans le monde animal qu’on a découvert à Essaouira. Quand j’ai publié cette découverte, j’ai reçu beaucoup de demandes, des États-Unis, de Grande-Bretagne, des commentaires d’Afrique du Sud, d’Espagne, etc. Parce que pour la première fois dans le monde, on découvre qu’un animal emprisonne vivant un autre animal. Du jamais vu !

Quand il les capture, il ne les blesse pas, il leur arrache juste les plumes de vol, celles de la queue et des ailes    

Aquarelle de Laurence Malherbe illustrant le faucon d'Éléonore.

 

- Qu'est-ce qui vous a mis sur les traces de cette découverte ?

- On a trouvé des proies vivantes. Je vous avais dit au début de cet entretien qu’une des particularités de ce faucon est qu’il constitue des garde-manger de cadavres dès lors qu’il a trop chassé. Là, les proies sont vivantes. Quand il les capture, il ne les blesse pas, il leur arrache juste les plumes de vol, celles de la queue et des ailes. Puis il met les oiseaux dans un trou assez profond et les laisse ainsi emprisonnés. Pour lui, c’est une manière d’augmenter la durée de son stock. Dans les garde-manger ordinaires, les proies mortes sont exposées aux éléments : air, chaleur, vent, etc., ce qui les rend au bout de quelques jours impropres à la consommation. Soit elles se dessèchent trop, soit elles pourrissent. Alors que là, les faucons d’Éléonore disposent de proies à consommer sur plusieurs jours. Du jamais vu ! Même la BBC est venu d’Angleterre pour filmer ce phénomène, il y a quatre ou cinq ans, dans le cadre d’un projet de film documentaire sur les rapaces dans le monde. Le faucon d’Éléonore est tout simplement un cas d’école.

Le plus anecdotique, c’est que ce comportement inédit était connu - bien avant notre découverte "scientifique" en 2014 - par Messieurs Mohamed Ber’ouz, pêcheur local, et Hassan Sahmoud, agent des Eaux et forêts et gardien de l’archipel, depuis plusieurs décennies ! (voir la photo de l'équipe de recensement, ci-haut).

On peut voir Afalkaï au-dessus de la ville, à partir d’avril-mai, mais ensuite il va de plus en plus se concentrer sur l’archipel

Deux faucons d'Éléonore (phase claire et phase sombre) en train de se rafraîchir dans les eaux de l'oued Ksob - Photo de Halima Bousadik

 

- C’est fascinant. Pour ceux qui aimeraient observer ce rapace, sans nuire à son équilibre naturel, où et quand pourraient-ils le faire?

- Afalkaï arrive autour des sites de nidification vers avril, mais il n’est pas nécessairement lié à l’archipel pendant cette période-là. Il va rester dans les environs, aussi bien près de la ville que dans ses alentours, jusqu’à parfois 50 à 100 km d’Essaouira. Puis, lorsqu’il se prépare à la reproduction, il devient très lié à l’archipel. On peut le voir au-dessus de la ville, à partir d’avril-mai, mais ensuite il va de plus en plus se concentrer sur l’archipel. Sauf pour boire, et là il va aller chercher de l’eau douce dans l’oued Ksob, en face de l’archipel d’Essaouira, un oued permanent même si maintenant le débit a baissé à cause d’un barrage en amont. Les faucons y vont pour boire, mais aussi pour se nettoyer, se rafraîchir, etc.

On peut donc voir le faucon d’Éléonore en remontant à pied le cours de l’oued Ksob. On peut aussi l’observer au-dessus de la ville, souvent même, mais il faut être connaisseur pour le distinguer des autres espèces de faucons qui fréquentent Essaouira, comme le faucon crécerelle (Bouaamira en darija) qui est très répandu. Le faucon d’Éléonore est un peu plus grand, plus sombre et, avec une toute petite initiation, on peut le reconnaître facilement.

Sinon, pour observer le faucon d’Éléonore, il faut aller sur l’archipel. Sauf qu’il n’est pas ouvert au public. Il faut des autorisations spéciales de la part des autorités locales et des Eaux et forêts pour y accéder. Cette année, je vais y aller en septembre pour recenser, avec mes collègues, la population qu’on suit régulièrement depuis 2010. Et à chaque fois, on a besoin d’un permis scientifique qu’on présente aux autorités locales pour être autorisé à accéder à l’archipel.

En louant par exemple une barque et en faisant le tour de l’archipel, on peut voir et observer les comportements d’Afalkaï tranquillement sans devoir accoster sur les îles ; une activité qui pourrait générer, une fois réglementée et bien organisée, des revenus substantiels aux propriétaires de barques, et participer ainsi au développement de l’écotourisme dans la région.

Faucon d'Éléonore (Adulte Phase sombre) - Photo : A. Qninba

 

- Est-ce que des ornithologues étrangers s’intéressent à ce faucon et viennent l’étudier sur place?

- L’étudier, non. Sur sa biologie, en général, il est connu. Ils peuvent venir pour le photographier, ou pour le voir tout simplement. Actuellement, la seule étude menée sur le faucon d’Éléonore d’Essaouira concerne un suivi de la population en période de reproduction : détermination de l’effectif des couples nicheurs, leur répartition sur les divers îlots et îles qui composent l’archipel, calcul de la taille des couvées et du taux de succès de reproduction. Ce suivi est réalisé chaque année par l’Institut scientifique de Rabat, sous ma coordination, et en collaboration avec plusieurs chercheurs professionnels ou amateurs appartenant à des organismes gouvernementaux ou des associations.

- Justement, qu’est-ce qui vous a amené à vous intéresser autant à ce faucon et pas à une autre espèce ; et surtout à nourrir cette passion pour Afalkaï depuis plus de dix ans ?

- Je tiens à préciser d’abord que je travaille aussi sur beaucoup d’autres sujets et d’autres régions du Maroc, notamment le Sahara atlantique marocain, et je viens d'ailleurs de créer, avec mon ami Patrick Bergier, le Laboratoire d’étude de l’avifaune marocaine (LEAM).

>> Lire aussi notre entretien : Patrick Bergier : « Le moineau doré du sud du Maroc, une découverte scientifique fascinante » et l'article scientifique : Évolution de l'avifaune d'une zone de contact entre Maroc saharien et non saharien en 60 ans

Sinon pour répondre à votre question sur l’intérêt porté au faucon d’Éléonore d’Essaouira, je dois dire que c’est tout une histoire (Rires) ! Il y avait, à l’échelle de la Méditerranée occidentale notamment, une initiative lancée par le Conservatoire du Littoral français, un organisme étatique public, sur les îles méditerranéennes. Ces îles sont fragiles, mais présentent une biodiversité exceptionnelle : des espèces végétales et animales endémiques, d’autres rares, voire extrêmement rares. Le Maroc n’était pas intégré à cette initiative parce qu’il n’a pas d’île ou d’archipel qu’il administre en Méditerranée. Nos îles sur la Méditerranée sont sous administration espagnole. Donc, il y avait ce problème-là. J’ai été quand même invité par le Conservatoire du Littoral français qui me connaissait pour assister à un atelier, "L’Albatros", à Marseille sur les oiseaux insulaires de la Méditerranée. C’est là que j’ai pris connaissance de cette initiative et constaté que le Maroc n’y était pas intégré à cause de ce problème de gestion administrative des îles. Je leur avais alors proposé d’intégrer l’archipel d’Essaouira atlantique à cette initiative car celui-ci abrite une grosse colonie d’une des espèces phares de l’Initiative PIM (Petites îles de Méditerranée) : le faucon d’Éléonore. L’idée a été bien reçue, même applaudie, et c’est ainsi que le Maroc a intégré l’initiative PIM. Une fois cela fait, on a organisé ensemble la première mission pluridisciplinaire sur l’archipel en 2010. De là, j’ai été chargé par l’Agence nationale des eaux et forêts (ANEF), le Conservatoire du Littoral (CdL - France) et l’association PIM de coordonner le suivi de la population du faucon d’Éléonore à Essaouira, en tant que chercheur de l’Institut scientifique de Rabat. Ce que je fais jusqu’à maintenant. Voilà mon histoire avec ce faucon.

Faucon d'Éléonore (Adulte couvant) - Photo : A. Qninba

 

- Quelles sont les qualités en tant qu'ornithologue pour observer les oiseaux ?

- La passion. Il faut être passionné, c’est tout ! Tout le reste s’apprend et vient avec l’expérience, le temps, les amis, les collègues. Et c’est facile de se passionner pour les oiseaux. C’est plus difficile de l’être pour les insectes par exemple, sauf les papillons ! Avec les oiseaux, c’est plus facile parce qu’ils se voient, déjà. Je parle des oiseaux qui se voient en journée. C’est un peu plus difficile pour ceux qui sont actifs la nuit. Puis, ils sont colorés, et ils sont partout : en ville, dans les campagnes, en montagne, en mer, sur les plages… C’est pour cela que quand on lance des campagnes de communication sur la préservation de la nature, c’est plus facile d’activer le levier "oiseaux" que celui des insectes, ou même des mammifères, dont les activités sont principalement nocturnes, ce qui fait qu’on ne les voit pas. Par conséquent, comment voulez-vous faire passer un message autour d’un animal que personne ne voit ? L’oiseau est, pour nous, un outil pédagogique très important.

- Que nous apprend alors l’étude des oiseaux sur les équilibres naturels ?

- La première chose est que, comme ils sont faciles à voir, on peut étudier la nature et ses équilibres à travers les oiseaux. On le fait aussi à travers d’autres groupes d’animaux ou de végétaux, mais c’est plus facile avec les oiseaux. Je vous donne un exemple : je peux me rendre cet après-midi n’importe où, relever tous les oiseaux qui y sont et les comparer avec des observations antérieures (2, 5 ou 10 ans auparavant). Je serai alors en mesure de vous dire tout de suite si quelque chose ne va pas ou si, au contraire, tout va bien. Autrement dit, avec un minimum d’effort, on peut avoir un diagnostic très important, très significatif. Alors que si vous voulez passer par d’autres groupes – ce qui est bien aussi et nécessaire, il faut le faire – vous n’aurez probablement pas des résultats spectaculaires, voire évidents. Parce que suivre un animal nocturne, très difficile à voir, fait qu’on ne peut pas récolter beaucoup d’informations. Prenons l’exemple d’un marécage : vous sortez le matin avec des jumelles et un télescope, et vous pouvez aisément recenser toutes les espèces d’oiseaux aquatiques qui le peuplent. Et si vous trouvez que tel canard ou autre a disparu, vous pouvez donner l’alerte tout de suite. Alors qu’avec des insectes ou des reptiles, c’est moins évident. Donc, à travers les oiseaux, les diagnostics sont plus faciles à établir et ils sont fiables.

Le faucon d’Éléonore devrait être comme l’arganier du côté des plantes : l’emblème d’Essaouira

Couple mixte de faucons d'Eléonore (Phase claire et phase sombre)-Photo: A. Qninba

 

- L’année dernière a été organisée la 1re édition du festival dédié au faucon d’Éléonore à Essaouira. Une initiative qui devrait faire connaître cette espèce et rassembler les personnes qui s’y intéressent…

- Effectivement. On l’a initié et on y a participé, avec le Conservatoire du Littoral, une association internationale qui a été créée (PIM) et dont je suis membre, des ONG, avec bien entendu les autorités provinciales : la province, la Direction provinciale des eaux et forêts, puis l’Agence nationale des eaux et forêts au niveau central, à Rabat. On a créé ce festival justement pour attirer l’attention sur un patrimoine naturel très peu connu. On sait qu’Essaouira possède un patrimoine culturel et archéologique extraordinaire, mais la partie "naturelle" est très peu connue, notamment le faucon d’Éléonore. Les Souiris devraient être fiers d’avoir chez eux la plus belle colonie de faucons d’Éléonore au monde, surtout qu’ils lui ont donné un joli nom, Afalkaï, mais les gens ne le connaissent pas ou très peu. Pour moi, le faucon d’Éléonore devrait être comme l’arganier du côté des plantes, l’emblème de la ville. Et j’espère qu’il y aura d’autres éditions de ce festival.

Faucon d'Éléonore (Adulte Phase claire) - Photo : A. Qninba

 

- Qu’en est-il du faucon d’Éléonore de Salé ?

- Je rappelle qu’il s’agit là de la seule colonie de ce faucon qui soit continentale. Elle est installée sur des falaises marines mais continentales. Et alors que la colonie d’Essaouira connaît un essor extraordinaire, celle de Salé vit un problème : l’endroit où elle est établie est très fréquenté par les estivants et connaît de plus un fort développement urbain, ce qui apporte son lot de désagréments et de vandalisme. Cette colonie, qui résiste encore, est estimée aujourd’hui à une vingtaine de couples seulement.

 

Couverture du document Afalkaï, le faucon d’Essaouira-Mogador, écrit par le Pr Abdeljebbar Qninba.

 

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