Forte hausse des prix de la tomate au Maroc : les explications de la profession

Au cœur de l’agriculture marocaine, la culture de la tomate émerge d’une rude saison estivale. Marquée par des conditions climatiques extrêmes et des contraintes de production qui ont entraîné une flambée historique des prix, cette période met à l’épreuve la résilience des agriculteurs marocains. La tomate est victime de deux fléaux: les caprices climatiques et le nouveau virus.

Forte hausse des prix de la tomate au Maroc : les explications de la profession

Le 4 novembre 2023 à 11h49

Modifié 7 novembre 2023 à 10h24

Au cœur de l’agriculture marocaine, la culture de la tomate émerge d’une rude saison estivale. Marquée par des conditions climatiques extrêmes et des contraintes de production qui ont entraîné une flambée historique des prix, cette période met à l’épreuve la résilience des agriculteurs marocains. La tomate est victime de deux fléaux: les caprices climatiques et le nouveau virus.

La conjoncture de ce début de campagne agricole, marquée par des défis de production substantiels, a provoqué un report notable de la phase de croissance des cultures. Ce décalage a mis la campagne en retard et tiré les prix à la hausse sur les marchés.

Cependant, les agriculteurs ont surmonté ces obstacles, précise Amine Amanatoullah, producteur et exportateur aguerri de tomates dans la région Souss-Massa . "En recourant à des initiatives propres pour l’importation de semences ou en patientant le temps que les circonstances s’améliorent, les exploitants agricoles ont pu, au bout d’un mois environ, reprendre leur rythme de production habituel. Les premières coupes de récolte ont été effectuées et nous prévoyons d’approvisionner le marché jusqu’en avril", précise-t-il.

Production insuffisante >>> Hausse des prix

Le retard dans le calendrier agricole s’est fait ressentir sur le marché local. "En octobre, nous assistons généralement à un afflux de production en raison d’un démarrage lent des exportations ; phénomène qui exerce une pression à la baisse sur les prix des tomates dans nos marchés de gros. Cette année cependant, une hausse significative des prix a été observée, conséquence directe d’une offre insuffisante", explique le producteur.

Et d’ajouter : "L’intervention gouvernementale, par des subventions ciblées sur la production de légumes spécifiques, a également joué un rôle déterminant dans la préservation de l’équilibre des surfaces cultivées". En effet, le ministre de l’Agriculture, Mohamed Sadiki, a annoncé en octobre dernier une mesure inédite : le gouvernement allouera des subventions couvrant 40 à 50% pour les semences des tomates, oignons et pommes de terre. Au total, 600.000 tonnes d’engrais phosphatés seront mobilisées pour la saison en cours, accompagnées d’un soutien financier aux engrais azotés entre 30% et 50% selon le produit : l’ammonitrate sera subventionné à 33% (vendu à 240 DH/quintal), l’urée à 46% (vendu à 330 DH/quintal) et le sulfate d’ammonium à 21% (vendu à 150 DH/quintal).

Des prix très variables

Au marché de gros de Casablanca, les prix varient en ce début de mois de novembre entre 2,50 et 6 DH/kilo. Au détail les prix se situent entre 7 et 20 DH/kg, avons-nous constaté. Le pic des prix a été enregistré en février dernier lorsque le kilogramme de tomates a coté entre 5 et 9 DH au marché de gros.

Interrogé sur la disparité observée entre les prix à la sortie de la ferme et ceux affichés au détail, Amine Amanatoullah invoque la complexité des chaînes de distribution. Il insiste sur une problématique profonde : "Les défis auxquels nous faisons face ne sont pas seulement conjoncturels ; ils s’ancrent dans les fondements structurels du système de commercialisation des fruits et légumes, où l’influence de 6 à 7 niveaux d’intermédiation se répercute inévitablement sur les prix finaux".

La mise en place d’un système de traçabilité devient donc impérative pour instaurer une transparence accrue sur le marché. Ce mécanisme vise à éclairer les consommateurs sur la justesse des prix et sur les marges appliquées à chaque étape de la filière.

"Dans l’hypothèse d’une qualité insatisfaisante, la traçabilité faciliterait l’identification précise des responsabilités. Ce processus inciterait ainsi les producteurs à maintenir un standard élevé de qualité tout en pratiquant des prix raisonnables, sous peine de voir leur réputation ternie", soutient Amine Amanatoullah.

La tomate au défi de la chaleur et de la sécheresse

La région Souss-Massa a été confrontée cette saison à un coup de massue environnemental : une sécheresse persistante et une canicule historique qui a vu les thermomètres grimper jusqu’à un pic inédit de 50,8°C en août dernier.

De plus, cet épisode de chaleur extrême a coïncidé avec la phase critique de mise en terre de diverses cultures maraîchères à cycle court, parmi lesquelles les tomates. La brutalité et l’intensité de la vague de chaleur ont eu pour effet de brûler littéralement les jeunes plants. "Les dommages ont été considérables : entre 22 et 25% des cultures de la région ont été ravagées, nécessitant une opération d’urgence de replantation pour sauver la saison agricole", nous rappelle Amine Amanatoullah.

Les réserves des barrages (sauf ceux du nord) ont atteint un niveau critique ; il faut également creuser de plus en plus profond pour atteindre la nappe phréatique. Dans la région Souss-Massa, le forage de puits est soumis à une réglementation stricte, nécessitant l’approbation des autorités compétentes qui, toutefois, se montrent réticentes.

Des concessions peuvent être accordées dans des cas spécifiques, notamment pour les détenteurs de vastes étendues de terres déjà exploitées, qui se trouvent dépourvues de toute source d’eau.

Par ailleurs, même si l’installation de dessalement locale est opérationnelle et représente une alternative aux sources naturelles d’eau, le coût élevé de l’eau traitée reste un obstacle majeur. "Le tarif appliqué est de 5,50 DH marocains par tonne d’eau consommée, avec des frais d’adhésion s’élevant à 5.000 DH par hectare, ce qui peut être prohibitif pour de nombreux agriculteurs", souligne Amine Amanatoullah. Une tonne d'eau, c'st environ 1.000 litres.

"Le problème de l’eau est une préoccupation majeure pour les producteurs et limite la superficie disponible pour la culture des tomates", poursuit-il.

Des semences résistantes pour contrer les virus

Aux prises avec les ravages causés par des virus dévastateurs, les agriculteurs ont entrepris une transition vers des variétés de semences vantées pour leur résistance accrue. Ce changement s’est déroulé dans un contexte particulièrement tendu : les fournisseurs de semences, écrasés par une demande urgente, se sont retrouvés dépourvus de réserves, en partie à cause de mesures fiscales défavorables à la constitution de stocks importants. Les délais d’attente pour l’acquisition de nouvelles semences se sont avérés insoutenables pour les producteurs, contraints de remplacer en urgence leurs cultures endommagées. Afin de pallier cette carence, certains sont allés jusqu’à initier des importations en propre, processus lui-même alourdi par des démarches administratives et des contrôles phytosanitaires de l’ONSSA de plus en plus rigoureux, venant coïncider avec cette période de crise.

Notre interlocuteur évoque les difficultés liées à cette transition semencière : "L’adoption de nouvelles semences résistantes n’a pas été efficace. En dépit de leurs promesses, toutes n’ont pas tenu tête aux virus. Nous sommes souvent contraints de procéder à l’arrachage des plants infectés, entraînant inévitablement une réduction de notre production". Les estimations professionnelles précédentes font état de pertes de l’ordre de 15% attribuables aux virus durant la saison écoulée, reflétant la gravité de la situation pour le secteur agricole.

Une vision mesurée mais optimiste de la campagne agricole

Parvenir à maintenir une superficie cultivée constante est un succès notable pour l’industrie de la tomate, surtout au regard des multiples épreuves endurées lors de la difficile saison écoulée. Cependant, l’optimisme reste teinté de prudence.

"Le simple maintien de la superficie ne saurait être un indicateur fiable de réussite, car les enjeux dépassent la question des ressources pour toucher des aspects techniques. C’est le rendement qui constitue le critère fondamental. Bien que nous disposions désormais d’une quantité suffisante de production en ce début de novembre, notre parcours n’est pas achevé. L’expérience nous a enseigné que superficie et volume de récolte ne vont pas de pair, surtout au moment crucial de la collecte", fait observer Amine Amanatoullah.

La menace persistante des pertes engendrées par le virus constitue un défi majeur, pouvant compromettre les rendements à un stade avancé. "Nous exerçons un contrôle strict sur la diffusion des nuisibles en cours de production, grâce à l'instauration d'un protocole de quarantaine et à l'intervention d'un personnel restreint, permanent et hautement qualifié. Cependant, lors de la récolte, l'emploi de main-d'œuvre saisonnière ou le recours à des prestataires extérieurs, tels que les transporteurs, peuvent accroître les risques de contamination entre les exploitations, entraînant des pertes de volume potentiellement importantes", explique M. Amanatoullah.

La menace de restrictions à l’exportation pèse également sur les volumes d’exportation et a incité certains producteurs à redimensionner leurs cultures de tomates ou à réorienter leurs serres vers d’autres productions, à l’instar des fruits rouges dans la région Souss-Massa. "Il n’est pas impensable que de nouvelles restrictions soient imposées cette saison, bien que celles de l’an dernier se soient avérées inefficaces. Les producteurs majeurs de la région Souss-Massa ont donc choisi de conserver prudemment leur superficie actuelle, anticipant une possible répétition des contraintes".

"La saison actuelle ne devrait pas être plus difficile que la précédente", affirme l’agriculteur, qui préconise des solutions à long terme pour l’avantage des producteurs et du marché local. "Les subventions gouvernementales accordées aux agriculteurs marquent un tournant positif pour notre secteur économiquement vulnérable. Cependant, pour assurer une production abondante et des prix stables sur le marché domestique, il sera crucial d’augmenter significativement nos superficies cultivables tout en gardant sous contrôle la menace parasitaire", précise encore notre interlocuteur.

"Notre besoin essentiel réside dans des semences authentiquement résistantes aux virus et dans l’expansion de nos espaces cultivables afin de garantir une production suffisante pour les marchés intérieurs et internationaux. Cela contribuerait à une stabilisation naturelle des prix. En attendant, nous faisons face aux défis présents avec détermination et nous adaptons du mieux possible dans un contexte difficile. Je suis confiant dans le fait que la présente saison saura tenir ses promesses, à l’instar de la précédente", conclut Amine Amanatoullah avec espoir.

D'autres sources au sein de la profession restent très circonspectes sur l'approvisionnement régulier du marché local au cours des prochains moins. Une source estime que la production retrouvera un rythme normal en décembre, et jusqu'au début du mois de Ramadan "sauf impondérable, tel que les aléas climatiques". Le secteur et l'agriculture en général sont entrés dans une  période marquée par l'incertitude.

Ci-dessous, l'évolution du prix de la tomate ronde au marché de gros de Casablanca, depuis avril 2020 (dashboard de Médias24).

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