Santé : un bilan mitigé de la réforme selon Saâd Taoujni

Généralisation de la couverture médicale, renforcement des infrastructures hospitalières ou encore valorisation des ressources humaines, sont autant de chantiers ambitieux annoncés dans le cadre de la refonte du secteur de la santé. Quel est leur état d'avancement ? Et, surtout, sommes-nous sur la bonne voie ? Saâd Taoujni, expert dans les affaires de la santé, enseignant et consultant en stratégie et management de la santé, nous livre son avis.

Santé : un bilan mitigé de la réforme selon Saâd Taoujni

Le 16 octobre 2023 à 16h48

Modifié 16 octobre 2023 à 17h23

Généralisation de la couverture médicale, renforcement des infrastructures hospitalières ou encore valorisation des ressources humaines, sont autant de chantiers ambitieux annoncés dans le cadre de la refonte du secteur de la santé. Quel est leur état d'avancement ? Et, surtout, sommes-nous sur la bonne voie ? Saâd Taoujni, expert dans les affaires de la santé, enseignant et consultant en stratégie et management de la santé, nous livre son avis.

La 2e Conférence africaine sur la réduction des risques en santé, organisée fin septembre, a été l'occasion pour le ministère de la Santé et de la protection sociale de présenter ses réalisations phares en 2022-2023. Un livret d'une quarantaine de pages où le département de Khalid Ait Taleb présente son bilan d'étape :

- l’extension de l’assurance-maladie de base obligatoire à 22 millions de bénéficiaires, avec un taux de couverture maladie d’environ 90% à fin 2022 ;

- l’inscription d’environ 3,8 millions d’assurés à la CNSS ;

- l’inscription automatique de plus de 9,6 millions de bénéficiaires à la CNSS au nouveau régime d’assurance maladie obligatoire de base des personnes ne pouvant s’acquitter des droits de cotisation, leur permettant de conserver tous les actifs dont ils bénéficient dans le cadre du RAMED tout en ayant accès au même panier de soins que les salariés du secteur privé ;

- le nombre de dossiers de soins pour la catégorie des personnes ne pouvant s’acquitter des droits de cotisation pour le mois de juin 2023 a atteint 1,6 million d’admissions dans les hôpitaux publics et 85.000 dossiers de soins dans le secteur privé ;

- plus de 5 millions de personnes, dont les professionnels, les travailleurs indépendants et les travailleurs non salariés, ont bénéficié d’une couverture santé ;

- le total des cotisations de l’Etat au profit de cette dernière catégorie (professionnels...) à la CNSS s’élève à 9,5 milliards de DH.

Des chiffres encourageants. Est-ce suffisant ? L'impact sur les citoyens est-il palpable ? Pouvions-nous faire mieux ? "Il y a une très grande différence entre les annonces et les réalisations, ces dernières étant ressenties par les Marocains dans leur vécu, au sein de leur famille, dans le voisinage... C’est un écart qui ne peut être caché", nous répond Saâd Taoujni, expert dans les affaires de la santé, enseignant et consultant en stratégie et management de la santé.

Dans sa lecture, Saâd Taoujni estime que ce chantier évolue, mais très lentement, soulignant que le démarrage a été marqué par de nombreuses difficultés, dont la principale est liée au manque de ressources humaines, qu’il estime alarmant, mais aussi à la mauvaise répartition de l’offre de soins.

Le déficit en ressources humaines est "catastrophique"

Le renforcement des ressources humaines est un des piliers de la nouvelle politique de réforme engagée par le ministère de la Santé afin de remédier à la pénurie dans le secteur. À cet égard, le ministère dit avoir mis en œuvre la valorisation des ressources humaines en promulguant la loi relative aux garanties essentielles accordées aux ressources humaines des métiers de santé, et à encourager ces derniers par la mise en place de formations. Le ministère a également encouragé les médecins marocains résidant à l’étranger à retourner dans leur pays d’origine, et les professionnels étrangers à s'y installer.

Le ministère estime par ailleurs que les ressources humaines ont connu une augmentation significative de 37% entre 2018 et 2023 en termes de postes budgétaires créés. En 2022, sur 5.500 postes budgétaires ouverts, 5.198 ont été utilisés, soit un taux de 95%. 5.500 nouveaux postes budgétaires ont également été ouverts en 2023, dont 4.615 sont destinés au corps médical et infirmier et 885 au corps administratif et technique. Mais ces postes sont-ils suffisants pour faire face au déficit actuel dans le secteur ?

"Non", regrette Saâd Taoujni. "5.500 postes budgétaires sont ouverts chaque année durant les trois dernières, alors que le départ à la retraite représente les deux tiers de ce chiffre. Cela signifie que les deux tiers de ces postes servent à remplacer les départs à la retraite. Par ailleurs, quelle est la répartition de ces postes, alors que le ministre lui-même estime le déficit actuel en termes de ressources humaines à 100.000 personnes ?"

Et notre expert d’ajouter : "Les médecins ne participent pas aux concours, parce qu’ils sont obligés de signer un contrat de 8 ans avec le ministère. Il y a également une mondialisation des médecins, infirmiers et techniciens de santé, qui sont très demandés partout dans le monde, avec des avantages que le secteur public marocain ne peut pas offrir, notamment en ce qui concerne les conditions de garde, d’alimentation, d’infrastructures et autres. Je ne parle pas des grandes villes, telles que Casablanca ou Rabat, mais des villes lointaines, comme Chefchaouen par exemple."

Notre source tire également la sonnette d’alarme quant aux conditions de travail dans certaines régions.

"Dans certaines villes, médecins et infirmiers sont en grève parce qu’ils n’ont pas touché d’indemnités d'astreinte depuis près de deux ans. Pour certaines spécialités, notamment la gynécologie, dans des villes où il n’y a qu’un seul ou deux médecins, ces derniers sont amenés à travailler de 8h30 à 16h30 et d’être en astreinte de 16h30 à 8h30 du matin du lendemain, avec un montant d’indemnisation dérisoire, alors qu’en France par exemple, un réanimateur peut toucher jusqu’à 1.300 euros pour une garde, et on ose parler de motivation de ressources humaines ?"

De plus, "il cite le consommable et le matériel qui manquent ou qui ne marchent pas, l’absence de techniciens ou encore des personnes chargées de lire les clichés d’examen".

Ce que l’on peut dire, c’est que "le manque de ressources humaines est catastrophique. Les professionnels sont très nombreux à démissionner pour rechercher des conditions de travail meilleures dans d’autres pays, en France et au Canada ou autres, où les avantages sont nombreux, notamment en termes de fiscalité et d’indemnisation. On ne peut pas attendre que le secteur privé s'installe dans des régions qui ne sont pas solvables. Il n’y a que le secteur public pour sauver ces populations".

Manque d'infrastructures

En termes d’infrastructures, le ministère de la Santé évoque dans son livret le renforcement de la capacité litière des structures de santé, avec plus de 2.000 lits mis en place au niveau des nouveaux hôpitaux.

Saâd Taoujni critique, lui, le manque de pharmacies et l’éloignement des centres de santé dans certaines régions. À titre d’exemple, "entre Ouirgane et Ijoukak (dans la région d’Al Haouz, ndlr), il faut parcourir 40 km pour trouver une pharmacie. Comment feront les habitants de ces communes pour se procurer des médicaments quand certains vivent avec à peine 20 DH par jour ?"

"Par ailleurs, de Ouarzazate ou M'hamid El Ghizlane au futur CHU d’Errachidia, il y a huit heures de route. Dans certains cas qui nécessitent des actes chirurgicaux spécialisés, les habitants de régions éloignées (Tinghir ou Merzouga par exemple) se déplacent jusqu’à Rabat ou Casablanca. Ces conditions poussent les gens souffrants à abandonner leurs soins", regrette notre source.

TNR, un dossier qui bloque encore

L’autre dysfonctionnement évoqué par Saâd Taoujni concerne le remboursement des patients. "Depuis qu’il est arrivé il y a quatre ans, le ministre actuel promet chaque année la révision du tarif national de référence (TNR), et rien n’a encore été fait sur ce volet. C’est d’ailleurs un sujet hérité des précédents gouvernements, que plusieurs ministres ne sont pas arrivés à résoudre."

"Il faut souligner que pour le TNR, il n’y a pas que les augmentations des tarifs de référence des consultations qui sont mal remboursées. Il y a également des actes de cardiologie et en cancérologie qui sont plus chers au Maroc que dans certains pays à revenus élevés, où ils sont bien remboursés, et pour lesquels parfois les cliniques demandent le 'noir' aux patients."

"Pour ce qui est des actes mal remboursés à revaloriser, l’exemple le plus courant est celui de la réanimation. Celle-ci, dont l’acte est estimé par le TNR  de 2006 à 1.500 DH, est remboursée à hauteur de 70% par la CNSS, soit 1.050 DH, alors qu’elle est facturée à 7.000 ou à 8.000 DH par les cliniques. Le taux de couverture s’élève donc à peine à 10% ou à 20%. Le reste à charge du patient est très élevé."

"L’Organisation mondiale de la santé (OMS) et la Banque mondiale définissent la couverture sanitaire universelle par le fait que quand quelqu’un tombe malade, il ne doit pas devenir pauvre, ni être amené à faire des arbitrages tels que vendre un bien pour se faire soigner, ou encore hypothéquer l’avenir de ses enfants. Et au Maroc, on est encore loin de ce concept, dans la mesure où l’essentiel des dépenses médicales sont faites par les ménages. Depuis près de vingt ans, l'Etat contribue à hauteur de 25% des dépenses totales de la santé", conclut notre interlocuteur.

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