Loi sur les délais de paiement : gros doutes sur l’applicabilité de la nouvelle législation

À quelques jours du premier dépôt de la déclaration sur les délais de paiement pratiqués par les grandes entreprises, il paraît de plus en plus clair que la nouvelle loi est déjà dépassée par la réalité du terrain. Elle devient, selon plusieurs experts, inapplicable et peu efficace pour remplir sa fonction première : en finir avec les mauvais payeurs.

Loi sur les délais de paiement : gros doutes sur l’applicabilité de la nouvelle législation

Le 13 octobre 2023 à 14h53

Modifié 20 octobre 2023 à 16h06

À quelques jours du premier dépôt de la déclaration sur les délais de paiement pratiqués par les grandes entreprises, il paraît de plus en plus clair que la nouvelle loi est déjà dépassée par la réalité du terrain. Elle devient, selon plusieurs experts, inapplicable et peu efficace pour remplir sa fonction première : en finir avec les mauvais payeurs.

Entrée en vigueur en juillet dernier, la loi 69-21 avait pour principal objectif de réduire les délais de paiement inter-entreprises. Mais à quelques jours de sa première application, avec la déclaration trimestrielle que doivent faire au fisc les entreprises réalisant plus de 50 millions de DH de chiffres d’affaires, cet objectif paraît de plus en plus difficile à atteindre. Elle est même inapplicable, selon certains experts consultés par Médias24.

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Le problème, il faut le dire, n'est pas dans le texte de loi ; mais son application présente certaines failles qui ne feront que maintenir le statu quo, sans changer profondément les pratiques sur le marché.

Plusieurs raisons expliquent cet état de fait

D’abord, la normalisation du délai de paiement des 120 jours sur le marché, quand la loi visait comme premier objectif de ramener le délai de paiement normatif à 60 jours.

En effet, la nouvelle loi sur les délais de paiement a fixé le délai normatif dans les opérations commerciales à 60 jours, en donnant une possibilité aux entreprises d’appliquer un délai maximal de 120 jours. Mais dans la pratique, c’est ce délai maximal qui risque de devenir la norme ; de nombreux clients imposant à leurs fournisseurs de signer des avenants pour faire glisser les paiements de 2 à 4 mois.

Médias24 avait déjà consacré un article à cette problématique, relayant l’alerte donnée par plusieurs patrons de TPME.

LIRE : Paiement : quand le délai de 120 jours devient la norme sur le marché !

"C’est comme si la mauvaise foi allait être légalisée" (Mohamed Hdid)

Expert respecté en conseil, audit et fiscalité, Mohamed Hdid estime même que cette possibilité, concédée par la loi, de passer à 120 jours ouvre la voie à un rallongement des délais jusqu’à 7 mois…

"On voit bien que chez des entreprises, la référence est devenue un délai de 120 jours, et que ce délai est imposé aux fournisseurs. D’autres jouent ou vont jouer sur la réception des travaux. Si la réception des travaux demande 3 mois, et si vous ajoutez 120 jours pour payer, cela fait au bas mot 7 mois de délai... s’il n’y a pas d’autres tergiversations", explique Mohamed Hdid.

"Les 120 jours imposés par des clients, c’est déjà le retard de paiement moyen constaté sur le marché. Les entreprises sérieuses respectent déjà la loi et continueront de le faire. D’autres essaieront d’améliorer leurs délais. Malheureusement, les mauvais payeurs risquent de le rester. C’est comme si le retard de paiement allait être légalisé", ajoute Mohamed Hdid. L'expert émet de sérieux doutes sur l’efficacité de cette nouvelle loi, dont l’application se heurtera à des difficultés pratiques exigeant un changement radical dans la relation client-fournisseur, le mode de règlement des factures, leur établissement, leur transmission et réception, etc. Les comportements et les rapports de force entre commerçants ne peuvent être changés d’un coup et par une loi.

"Parallèlement, la loi, en voulant mettre fin à toute excuse pour ne pas payer son fournisseur à temps, sanctionne le retard de paiement même lorsqu’il est de bonne foi et justifié par une facture non conforme et contestée. La seule situation où l’amende est suspendue concerne les factures litigieuses et portées devant les tribunaux. Ainsi, un client contestant une facture doit intenter une action judiciaire pour éviter le paiement de l’amende. Un tel formalisme est disproportionné lorsqu’on sait par ailleurs que pour la déductibilité d’une provision pour créance, avec un enjeu fiscal majeur, un délai de 12 mois est accordé pour introduire un recours judiciaire."

Le rôle des commissaires aux comptes est l’autre sujet qui fait douter le marché de l’efficacité de cette loi.

Une brèche à la fraude reste ouverte dans la loi

Pour veiller à la bonne application des nouveaux délais de paiement réglementaires, la loi enjoint à toutes les entreprises de fournir une attestation d’un commissaire aux comptes (ou d’un expert-comptable pour les entreprises qui réalisent moins de 50 MDH chiffre d’affaires) sur la véracité de la déclaration faite au fisc.

Ce visa était censé être la garantie de l’authenticité des données fournies par les entreprises aux services des impôts et sur lesquelles se base l’administration des impôts pour appliquer les amendes prévues par la loi contre les mauvais payeurs. Or, la pratique dit autre chose selon une Directive de l’Ordre des experts-comptables, où il est indiqué que la mission dévolue au commissaire aux comptes n’est pas un audit ni une véritable certification du compte fournisseur.

Bien sûr, le fisc se réserve toujours le droit de vérifier les déclarations faites par les entreprises, mais quand on connaît la réalité du terrain, il sera difficile pour les services des impôts de balayer large. Un peu comme pour les vérifications fiscales…

Sur cette problématique fondamentale liée à la nature même de l’intervention du commissaire aux comptes, consistant en un visa  et non pas une certification, ce qui risque de remettre en cause tout le bien-fondé de cette loi, Mohamed Hdid indique que, "compte tenu des circonstances et des délais de déclaration et de réalisation de la mission, il ne peut en être autrement".

Et d’ajouter qu’un "gros problème de séquençage des délais de travail du commissaire aux comptes se pose" ; sachant que le  délai minimum fixé par l’Ordre des experts-comptables pour la vérification de l’attestation de l’entreprise ne doit pas être inférieur à 15 jours.

"Si l’entreprise livre au commissaire aux comptes la déclaration trimestrielle le 28 du mois, il ne pourra jamais dérouler les diligences minimales nécessaires pour la viser le 31 du mois. Il vaut mieux amender la loi pour prévoir un délai supplémentaire d’un mois pour la déclaration (la fin du 2e mois qui suit le trimestre), laissant ainsi à l’entreprise un mois pour la préparer, et au commissaire aux comptes un mois pour mener les diligences requises à son visa", précise-t-il.

"L'efficacité du visa du commissaire aux comptes nécessite un travail supplémentaire lors de son intervention dans le cadre de sa mission d'audit annuel. C'est à ce niveau qu'il pourra s'assurer réellement que les états visés sont conformes ou que des erreurs constituant ainsi des irrégularités sont commises par l'entreprise. C'est le cas des entreprises ayant déjà  un commissaire aux comptes (le cas de la population des sociétés réalisant plus de 50 MMAD, concernée par cette première déclaration d'octobre 2023 ). Le visa trimestriel restera donc incomplet tant que la mission de certification et d'audit légal n'est pas étendue", conclut notre interlocuteur.

"Il est impossible pour nous de faire la déclaration dans les temps" (DAF)

Un DAF d’une grande entreprise ne dit pas autre chose. Appelé à faire d’ici le 31 octobre une déclaration au fisc faisant état de la situation des paiements à ses fournisseurs, il estime que l’application de cette loi s'accompagne d’un grand flou.

"A 20 jours du délai final pour faire la déclaration aux impôts, on ne sait pas comment celle-ci doit se faire, sur quelle plateforme, ce qu’elle doit comporter… La circulaire du fisc n’a pas été encore publiée à ce jour [propos recueillis le 11 octobre], sans parler de la grande surprise que nous venons d’avoir sur le rôle du commissaire aux comptes dans cette procédure. Tout cela n’a pas été anticipé, et on se retrouve aujourd’hui dans une situation où il est impossible pour nous de faire la déclaration dans les temps", confie notre source.

"Un test grandeur nature" (Youssef Alaoui)

Président du comité ad hoc des délais de paiement au sein de la CGEM, Youssef Alaoui se dit toutefois optimiste quant à l'application de cette loi.

"Elle sera effectivement appliquée ce 31 octobre. La directive des experts comptables est sortie le 9 octobre, et la note circulaire de la DGI sera publiée au plus tard le 20. De toute façon, on parle aujourd’hui d’une population qui réalise plus de 50 millions de DH de chiffre d’affaires. Il n’y en a pas des dizaines de milliers. Ce premier dépôt va constituer un test grandeur nature de l’application de cette loi, où il y aura certainement de l’indulgence de la part de la DGI. On pourra alors rectifier le tir pour que tout entre dans l’ordre d’ici la deuxième déclaration."

C’est tout le mal que l’on souhaite…

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