Livre scolaire: un marché concentré, verrouillé et dépassé (Conseil de la concurrence)

Le Conseil de la Concurrence vient de livrer un avis sur le fonctionnement concurrentiel du marché du livre scolaire. Voici ce qu'il en ressort.

Livre scolaire: un marché concentré, verrouillé et dépassé (Conseil de la concurrence)

Le 30 septembre 2023 à 21h08

Modifié 2 octobre 2023 à 7h32

Le Conseil de la Concurrence vient de livrer un avis sur le fonctionnement concurrentiel du marché du livre scolaire. Voici ce qu'il en ressort.

A travers une saisine d’office, le Conseil de la concurrence a réalisé un diagnostic de l’état du fonctionnement concurrentiel du marché du livre scolaire au Maroc, dont il a livré les conclusions dans un rapport publié ce samedi 30 septembre.

"L’analyse effectuée au niveau du présent avis se focalise sur l’examen des questions relatives au domaine de la concurrence, vu que l’évaluation des aspects pédagogiques et éducatifs ne rentre pas dans les prérogatives du Conseil", explique-t-il dans son rapport. Cela dit, "l'analyse concurrentielle ne négligera pas l’examen des croisements entre les deux conceptions, ainsi que l’impact direct et indirect des aspects de concurrence du point de vue pédagogique sur l’évolution de la concurrence au niveau du marché du livre scolaire", précise l'institution dirigée par Ahmed Rahhou.

Le constat de départ

Le Conseil de la concurrence dresse le contexte  : "Le marché du livre scolaire au Maroc fait face à plusieurs contraintes et challenges qui se sont accrus depuis l’avènement de la pandémie de Covid-19, se déclinant en partie par l’augmentation du coût de revient du livre scolaire notamment en raison de l’accroissement des prix des intrants (papier, énergie, transport...), sans que ces hausses n’aient été répercutées sur les prix de vente du livre scolaire dont les prix continuent d’être fixés dans un cadre relativement régulé et qui n’a pas été révisé depuis 2002".

A cela s’ajoute :

- "une vraie crise d’adaptation du secteur, provoquée par l’arrivée massive du digital et du numérique qui ont bouleversé les modèles économiques des opérateurs".

- "un niveau de concentration du marché qui reste élevé malgré la multiplicité apparente des acteurs

- "une ouverture partielle et timide du marché de livre scolaire en amont à la concurrence au niveau de l’édition qui a été suspendue en 2008"

- "les prix des livres scolaires fixés par l’Etat n’ont pas été révisés depuis 2002 et ne reflètent plus la réalité du marché ;

- "l’Etat prend en charge le coût d’acquisition des livres scolaires dans le cadre de l’opération « Un million de cartables ». Ceci représente une manne importante qui a atteint 550,5 MDH au titre de l’année scolaire 2022- 2023"

- "l’existence d’une dualité de traitement entre le segment du livre scolaire de « base » destiné aux écoles publiques et privées marocaines et celui destiné aux écoles privées et aux missions étrangères".

- "les évolutions des conditions du marché du livre scolaire dans notre pays ne correspondent plus à celles qui ont justifié sa réglementation par l’Etat en 2002."

Un modèle économique contre-productif

Après analyse de plusieurs axes, le Conseil de la concurrence a conclu que "le modèle économique sous-tendant le marché du livre scolaire est devenu contre- productif reposant sur une offre et une demande artificiellement soutenue par des fonds publics et semi-publics et en total déphasage avec les réalités économiques du marché".

Le Conseil fait également remarquer que la production du livre scolaire est massifiée oscillant entre 25 et 30 millions d’exemplaires de manuels « jetables » programmés et conçus à être utilisés une et une seule fois, soit une « consommation » de 3 à 4 livres en moyenne par élève et par an. "Ceci occasionne un énorme gaspillage de ressources, de matières et d’énergie pour le pays".

Cette production est dominée par le manuel papier imprimé qui occupe une place primordiale dans le processus d’apprentissage au sein de l’école publique marocaine. Il a encore la particularité d’être un manuel unique sans outils auxiliaires tels que les CD-Rom, clés USB, etc. En effet, aucun manuel scolaire sur le marché n’est doté d’un support numérique complémentaire, et ce, contrairement à d’autres pays où le manuel imprimé est souvent accompagné d’un ensemble de supports numériques.

Les 4 premiers groupes d’éditeurs contrôlent plus de 53% du marché

Par ailleurs, l'institution constate que "le niveau de concentration du marché du livre scolaire est élevé, malgré une multiplicité apparente des maisons d’édition".

Il relève également une forte concentration géographique au niveau de Casablanca et subsidiairement au niveau de Rabat. En effet, les 4 premiers groupes d’éditeurs contrôlent plus de 53% du marché du livre scolaire et si on y intègre le 5ème, cette part monte à 63%.

En plus, ce marché du livre scolaire est entièrement verrouillé en amont, donnant lieu à la création de véritables positions de rente acquises par les mêmes éditeurs sélectionnés depuis une vingtaine d’années. Leurs parts de marché sont restées quasiment inchangées durant cette période.

Le Conseil de la concurrence fait remarquer que ce qui devait être une ouverture du marché en amont du livre scolaire, même partielle, "a transformé, dans les faits, le livre scolaire d’un outil pédagogique en un produit essentiellement commercial, constituant la première source de revenus des éditeurs et des libraires". Sur un chiffre d’affaires global du marché de l’édition estimé à 800 MDH, plus de la moitié provient du marché du livre scolaire (400 MDH).

Ce qui accentue ce phénomène de dépendance des maisons d’édition au livre scolaire, c'est le récent octroi de subventions par l’État, à hauteur de 101 MDH, en vue de réduire la hausse des prix de vente publics des manuels scolaires à seulement 25%, et ce, pour répondre aux demandes d’augmentation des prix formulées par les éditeurs suite à la hausse des coûts de leurs intrants, comme en témoignent les prix du papier qui ont connu une augmentation de plus de 103%.

Cette forte dépendance se situe également du côté de la demande du livre scolaire qui est largement supportée par des fonds publics et semi-publics mobilisés dans le cadre de l’opération « un million de cartables » de l’INDH. Sur un budget total de 550,5 millions de dirhams au titre de l’année scolaire 2022-2023, une enveloppe de 370 millions de dirhams a été consacrée à l’acquisition du livre scolaire.

Un développement au détriment de la qualité

Pour le Conseil,  le développement quantitatif du marché du livre scolaire s’est effectué au détriment de la qualité de sa forme et de son contenu. Il est réduit à un simple produit commercial où les considérations du coût de production l’emportent largement sur le contenu. Les droits d’auteur récompensant la production intellectuelle du contenu de ces livres ne dépassent guère une moyenne de 8% du prix du livre scolaire.

Sur la question des prix des livres scolaires, le Conseil estime que les prix ont été maintenus artificiellement bas au détriment de leur qualité « physique » et de leurs contenus, comme en témoigne la mauvaise qualité du papier avec un grammage de plus en plus réduit, occasionnant des surcharges de pages et des illustrations en deçà des standards. De fait, les livres scolaires sont devenus peu attractifs pour les élèves, voire répulsifs pour certains, ce qui les prive des apprentissages fondamentaux que ces livres sont censés leur apporter.

Un dirigisme administratif qui inhibe la créativité

Par ailleurs, le Conseil relève que "le « dirigisme » administratif" a engendré un manque de créativité pédagogique dans la mesure où il a poussé les éditeurs à maintenir les mêmes outils pédagogiques à l’exception de quelques changements à la marge.

Le Conseil relève également un frein à la continuité pédagogique : "la répartition et le choix des livres scolaires, édités par différentes maisons d’édition portant sur les mêmes matières par les différentes académies relevant du MEN, ne permettent pas aux élèves de continuer normalement leurs apprentissages s’ils changent d’écoles relevant d’une même académie ou s’ils changent d’académie. Ceci représente un sérieux frein à la mobilité de leurs parents et impacte négativement le développement économique des régions".

Ce que recommande le Conseil de la concurrence

Voici ci-dessous les recommandations du Conseil :

- Réviser radicalement le modèle économique sous-tendant le marché du livre scolaire en l’intégrant en tant qu’élément central des politiques publiques de réforme de l’enseignement. Ce recentrage doit se faire sur la base de logiques économiques stimulant la créativité et l’innovation, tout en tenant compte des spécificités culturelles et sociétales du pays.

- Réviser en profondeur les rôles et missions du ministère chargé de l’Éducation nationale en matière du livre scolaire. Le livre scolaire doit être considéré comme une affaire d’intérêt national où l’Etat et le secteur privé, en plus du monde académique, doivent y être pleinement impliqués.

- Mettre en oeuvre un nouveau cadre légal et réglementaire permettant d’offrir la visibilité et la lisibilité aux acteurs concernés.

- L’Etat se doit de s’approprier la production des manuels scolaires officiels destinés notamment au cycle primaire et secondaire comme étant un acte constitutif de la souveraineté nationale. Leur élaboration ainsi que les droits d’auteurs y afférents doivent rester la propriété de l’Etat et doivent viser la création d’un socle servant l’unité, l’identité et les valeurs de la Nation.

- Réviser profondément les curricula et les programmes scolaires qui en découlent en tenant compte des recommandations précitées. Il est recommandé au MEN de faire participer l’ensemble des parties concernées par ces curricula, notamment les associations des parents d’élèves, les professeurs et académiciens spécialisés et les représentants des éditeurs. Les programmes scolaires qui en sortiront devront être rendus publics au moins une année avant leur entrée en vigueur afin de permettre aux maisons d’édition de se concurrencer et de présenter les meilleures offres pour confectionner les outils qui répondent le mieux auxdits programmes, sachant que le choix doit revenir, en dernier ressort, aux professeurs pour les livres « adaptés ou parallèles ».

- Les professeurs sont à responsabiliser pour le choix des livres scolaires autres que les livres « officiels ».

- Réviser et réorienter substantiellement les mécanismes d’allocation des ressources financières publiques et semi-publiques destinées au livre scolaire. Il est proposé de faire contribuer le RSU à travers une allocation ciblée et dédiée au livre scolaire parallèlement au processus de dynamisation de la concurrence sur ce marché.

- Mettre en place un programme de réduction et de lutte contre les gaspillages des ressources rares allouées à la production du livre scolaire.

- Elaborer une politique publique visant la modernisation du livre scolaire en l’adaptant sans cesse au monde des nouvelles technologies de l’information et de la communication, où le livre électronique doit trouver une place de choix.

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