Fraude à la carte bancaire : quelles solutions juridiques ? (Me Benwahoud)

Quels sont les risques de fraude à la carte bancaire ? Et quels sont les réflexes à adopter ? Voici les explications et recommandations de Me Nasser Benwahoud.

Fraude à la carte bancaire : quelles solutions juridiques ? (Me Benwahoud)

Le 21 septembre 2023 à 15h46

Modifié 21 septembre 2023 à 18h50

Quels sont les risques de fraude à la carte bancaire ? Et quels sont les réflexes à adopter ? Voici les explications et recommandations de Me Nasser Benwahoud.

Qu’elle ait été volée ou piratée, votre carte bancaire peut faire l’objet d’une fraude sous différentes formes. Dans ce genre de situations, la réactivité est primordiale pour limiter les possibles dégâts.

Voici les conseils de Me Nasser Benwahoud, avocat au barreau de Casablanca, managing partner à NB Law Firm.

Médias24 : Que faut-il faire lorsque l’on constate être victime d’une fraude à la carte bancaire ?

Me Nasser Benwahoud : Tout d’abord il convient de distinguer les types de fraudes à la carte bancaire. En effet, il existe des fraudes commises à la suite d’une dépossession de la carte – en cas de vol ou d’abus de confiance notamment – et d’autres ne nécessitant pas de dépossession. En cas de dépossession de la carte bancaire, deux cas de figure peuvent se présenter :

  • Le paiement sans contact : le fraudeur va utiliser votre carte bancaire en vue d’effectuer des paiements sans contact. Néanmoins, les montants pouvant faire l’objet de ce type de paiements sont limités et le plafond ne peut être augmenté qu’en contactant votre banque ou en accédant à votre application de banque en ligne.
  • Le retrait d’espèces ou le paiement à l’aide du code confidentiel : dans ce cas, il utilisera votre carte bancaire afin de retirer des fonds par le biais d’un guichet automatique bancaire (GAB) ou afin d’effectuer des achats auprès de commerçants.
  • Le paiement en ligne : cette possibilité est néanmoins mitigée par les mesures de sécurité mises en place par la plupart des établissements bancaires marocains : la double authentification. Cette mesure vise, par le biais de l’envoi d’un code de confirmation de la transaction par SMS ou via l’application bancaire, à s’assurer que l’auteur de la transaction est bien le titulaire de compte et non un éventuel fraudeur.

Par ailleurs, certains cas de fraude à la carte bancaire ne sont pas nécessairement précédés d’un vol :

  • Le skimming : ce procédé consiste à installer un lecteur à mémoire dans le terminal de paiement électronique (TPE) ou sur les GAB, en vue de copier la bande magnétique de la carte. Le code est ensuite capturé à l’aide d’une caméra ou par le détournement du clavier numérique. Les fraudeurs peuvent ensuite créer un "doublon" de votre carte bancaire et l’utiliser comme bon leur semble.
  • Le cash trapping : le fraudeur va bloquer les billets d’argent et les empêcher de sortir en installant une barrette munie d’adhésif sur la goulotte de sortie. L’utilisateur pense donc que la machine est défectueuse, s’en va, ou entre dans l’agence concernée pour signaler l’incident. Pendant ce temps-là, le fraudeur récupère les billets bloqués.
  • Le phishing : se faisant passer pour une banque ou un quelconque organisme (supposé être de confiance), le fraudeur envoie des mails contenant des liens de redirection vers de faux sites, destinés à collecter des données bancaires et personnelles. Les fraudeurs sont particulièrement ingénieux dans la mesure où pour vous tromper, ils utilisent des noms de domaine (autrement dit des adresses mail) dont le nom ressemble fortement à celui de la banque ou de l’organisme de confiance avec qui vous êtes déjà en contact.

A ce titre, dans le cas où vous détectez une fraude à votre carte bancaire ou si vous faites l’objet d’un vol de carte ou même en cas de perte de celle-ci, il convient d’effectuer dans les meilleurs délais deux opérations :

  • Une demande d’opposition de la carte bancaire ayant fait l’objet de fraude. La plupart des banques marocaines proposent un service d’opposition sur leur application de banque en ligne ou par le biais d’une hotline disponible 24h/24. La procédure d’opposition déclenche un blocage immédiat des paiements par carte bancaire. À noter également que cette procédure est une opération irréversible, même dans le cas où vous retrouveriez votre carte. Il vous faudra donc faire une demande pour obtenir une nouvelle carte bancaire. Il conviendra également de doubler cette demande d’opposition faite en ligne ou par téléphone d’un écrit à votre banque (idéalement par lettre recommandée avec accusé de réception ou remise contre décharge).
  • Une déclaration de perte, de vol ou de fraude auprès des autorités de police. Une fois que cette déclaration aura été faite, lesdites autorités vous remettront un procès-verbal qu’il conviendra également de conserver car il vous sera généralement demandé par votre banque (et pourra même servir en cas de contentieux).

- Y a-t-il un délai à ne pas dépasser pour faire une réclamation à la banque ou porter plainte ?

- Les délais à prendre en compte dépendront de votre convention de compte et de votre contrat d’assurance couvrant les fraudes à la carte bancaire. Néanmoins, la plupart des conventions de compte prévoiront que l’opposition à la carte bancaire doit être faite immédiatement à compter de l’évènement (vol, perte) ou de la détection de la fraude. Cette notion étant tout à fait subjective, il conviendra de déclencher l’opposition le plus vite possible.

S’agissant du délai de déclaration aux autorités compétentes, celle-ci doit être effectuée elle aussi dans les meilleurs délais afin de démarrer les recherches et enquêtes nécessaires à la poursuite de l’auteur de la fraude. Ici s’appliqueront les délais de prescription du code pénal.

La réactivité est primordiale dans la mesure où elle limitera les dégâts sur votre compte bancaire. En effet, lorsque l’on sait qu’il ne faut que quelques minutes ou heures aux fraudeurs pour atteindre le plafond de retrait ou de paiement d’une carte bancaire, plus vite vous aurez fait opposition à celle-ci et plus vite celle-ci sera désactivée par votre banque. Votre remboursement le cas échéant et la procédure y afférente en dépendent aussi fortement. En effet, la plupart des polices d’assurance couvrant la fraude, le vol ou la perte de carte bancaire limitent le remboursement des règlements effectués 72 heures avant et après l’enregistrement de votre demande d’opposition.

- En cas de difficulté à se faire rembourser par la banque, comment prouver qu’une ou plusieurs opérations sont frauduleuses ?

- Cette question nous ramène à l’importance des diligences à effectuer par le titulaire de la carte bancaire, à savoir l’opposition auprès de la banque et la déclaration auprès des autorités de police compétentes. Les opérations effectuées avec la carte bancaire après ces diligences seront réputées frauduleuses.

Quid des opérations précédant celles-ci ? Cela dépend du type d’infraction. Prenons l’exemple du vol de carte bancaire : ici la preuve découlera des faits ayant caractérisé le vol. Si celui-ci a été commis devant le GAB ou la banque, des caméras de surveillance sont généralement installées à ces endroits afin de préserver la sécurité des usagers, mais également comme moyen de preuve. Si ce vol a été effectué sans être filmé, sa preuve devra être apportée comme toute autre infraction ou agression (par exemple par le biais de témoignages concordants).

En cas de phishing − qui, rappelons-le, consiste pour le fraudeur à se faire passer pour une banque ou un quelconque organisme (supposé être de confiance) en vue d’envoyer des mails contenant des liens de redirection vers de faux sites destinés à collecter des données bancaires et personnelles. Ici la preuve est plus complexe dans la mesure où la banque pourrait invoquer le fait que vous auriez dû reconnaître la tentative de fraude et que vous avez fait preuve de négligence en transmettant vos données afin de refuser de vous rembourser les sommes en question. Contrairement au Maroc, la jurisprudence française fait peser la charge de la preuve de la négligence grave sur la banque. En pareille matière les juges français reconnaissent l’existence d’une négligence grave lorsque le piège est trop grossier, par exemple si la victime a répondu à un courriel comportant de nombreuses fautes d’orthographe. Soyez par conséquent très attentifs aux mails que vous recevez, y compris lors de conversations (ou boucles de mails) préexistantes.

- Comment se protéger pour ne plus faire l’objet d’une fraude à la carte bancaire ?

- Tout d’abord un certain nombre de bonnes habitudes sont à prendre ou plutôt de mauvaises habitudes à proscrire :

  • Conservez bien votre carte et préservez le code secret qui lui est attaché. Il est fortement déconseillé de divulguer son code à quiconque et/ou de le conserver à proximité de sa carte bancaire ou sur son téléphone. Il est également déconseillé de prêter votre carte à quiconque ;
  • Consulter très régulièrement votre compte bancaire, ce qui vous permettra de détecter rapidement des opérations qui n’auraient pas été effectuées par vous ;
  • Assurez-vous de récupérer votre ticket et votre carte à la fin d’une transaction ;
  • Vérifier que le site internet sur lequel vous allez effectuer vos paiements à distance est un site sécurisé : https, cadenas en bas du navigateur, orthographe du site, etc. ;
  • Communiquez à votre banque toutes les informations demandées en vue d’activer les mesures d’authentification dites "fortes" (par exemple l’envoi d’un SMS en cas de transaction en ligne).

Il est également pertinent de souscrire à une assurance couvrant le risque de vol ou de perte de la carte bancaire. Son coût reste marginal (entre 50 et 160 dirhams par an) et son intérêt non négligeable. En effet, ces assurances peuvent couvrir :

- Les paiements frauduleux : certaines banques couvrent jusqu’à 70.000 dirhams payés frauduleusement avec la carte et constatés sur le compte jusqu’à 48 heures après la date d’opposition ;

- Le retrait d’espèces par force ou sous la menace : parfois jusqu’à 15.000 dirhams pour tout retrait effectué ;

- Certaines banques couvrent même le vol d’espèces avec agression dans l’heure qui suivrait un retrait.

Néanmoins, la plupart des polices d’assurance conditionnent encore une fois le remboursement par la réalisation en temps et en heure des diligences requises (opposition, plainte, etc.). Il est donc très important de veiller à ce que les mesures postérieures à la fraude soient prises en temps et en heure.

- Que risquent les auteurs ?

- La fraude à la carte bancaire peut caractériser toute une série d’infractions tantôt régies par le code pénal, tantôt par d’autres textes.

En ce qui concerne le vol, celui-ci est puni par l’article 505 du Code pénal d’un emprisonnement d’un à cinq ans et d’une amende de 200 à 500 dirhams. En cas de vol avec la présence de deux circonstances aggravantes (avec violence ou menace de violence, de nuit, en réunion, à l’aide d’un véhicule motorisé, etc.), cette peine peut aller jusqu’à vingt ans de réclusion.

Il peut également s’agir d’une situation qui relève de l’escroquerie. Celle-ci est punie par l’article 540 du même texte, d’un emprisonnement d’un à cinq ans et d’une amende de 500 à 5.000 dirhams. A titre d’exemple, le phishing pourrait caractériser une escroquerie passible de ces peines.

Quant à l’abus de confiance, l’article 547 du code pénal prévoit une sanction d’emprisonnement de 6 mois à 3 ans et d’une amende de 200 à 2.000 dirhams. Dans le cas où une personne de confiance procéderait à des paiements avec votre carte bancaire sans votre consentement, ceci pourrait caractériser un abus de confiance.

L’intrusion frauduleuse dans un système d’information (autrement dit le piratage) est également réprimée par le code pénal (article 607-3) d’un à trois mois de prison et de 2.000 à 10.000 dirhams d’amende, ou l’une de ces deux peines.

La falsification ou la contrefaçon de moyens de paiement est quant à elle punie par l’article 331 du code de commerce qui prévoit une peine de prison d’un an à cinq ans et d’une amende de 2.000 à 10.000 dirhams. La contrefaçon ou falsification de moyens de paiement, leur usage ou même le fait d’accepter de recevoir un moyen de paiement contrefait ou falsifié. Le skimming, décrit plus haut, peut passer sous le coup de cet article, dans la mesure où il consiste à récupérer les données de votre carte bancaire pour en faire un doublon et l’utiliser par la suite.

- La demande de dommages-intérêts est-elle possible ?

- En effet, les peines citées ci-dessus sont sans préjudice de toute action civile pouvant être introduite par la victime à l’encontre des responsables (s’ils sont identifiés et arrêtés) en vue de voir leur préjudice matériel réparé. Néanmoins, en cas de remboursement par l’assurance de votre carte bancaire, celle-ci se substituera à vous – par le biais du mécanisme de la subrogation – en vue de poursuivre les responsables de la fraude en question.

- Lorsque la carte n’est pas perdue ni volée, la responsabilité de la banque peut-elle être engagée ?

- Oui, par exemple dans le cas où vous feriez opposition à votre carte bancaire et qu’un ordre de paiement serait validé après cette date, cela pourrait constituer une faute de la part de votre banque, susceptible d’engager sa responsabilité.

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