La nouvelle doctrine américaine du friendshoring place le Maroc en position favorable (Larabi Jaidi)

ENTRETIEN. Dans cet entretien avec l'économiste Larabi Jaidi, nous décryptons l'émergence en Occident, et aux Etats-Unis en particulier, du concept de friendshoring et des opportunités et menaces qu'il peut créer pour un pays comme le Maroc.

La nouvelle doctrine américaine du friendshoring place le Maroc en position favorable (Larabi Jaidi)

Le 3 mai 2023 à 18h20

Modifié 4 mai 2023 à 12h54

ENTRETIEN. Dans cet entretien avec l'économiste Larabi Jaidi, nous décryptons l'émergence en Occident, et aux Etats-Unis en particulier, du concept de friendshoring et des opportunités et menaces qu'il peut créer pour un pays comme le Maroc.

Sujette à un mouvement de fragmentation et de polarisation, la mondialisation change de visage. De plus en plus, les considérations géopolitiques prennent le dessus pour redessiner la carte mondiale des chaînes de valeur.

Un concept en particulier illustre le mieux cette tendance, celui du "friendshoring". Promu par l’administration américaine, il prend de l’ampleur dans la réalité économique. Selon le FMI, les investissements directs étrangers (IDE) sont de plus en plus orientés vers des pays proches sur le plan géopolitique.

Selon cette étude, la décélération de l’intégration économique dans le monde pourrait causer la perte de 2% du PIB mondial, alors que les pays émergents risquent d’être les plus impactés. En effet, la Chine et les autres pays asiatiques expérimentent déjà une régression sur le terrain IDE.

Après les pénuries occasionnées par les difficultés d’approvisionnement durant la crise du Covid-19, notamment les produits pharmaceutiques et les microprocesseurs, l’intérêt pour la souveraineté industrielle a été amplifié et plusieurs voix se sont levées en Occident pour réclamer une reconfiguration des chaînes de valeur mondiales.

Cela s’est traduit par des appels à la relocalisation (onshoring ou re-shoring) des activités industrielles dans les pays occidentaux, alors que d’autres ont estimé qu’il était plus réaliste de promouvoir la relocalisation dans des pays proches (nearshoring) afin de limiter les risques liés aux coûts et délais d’approvisionnement, au moment où le transport maritime vivait une crise sans précédent.

Mais depuis avril 2022, c’est le terme du friendshoring qui occupe le devant de la scène. Janet Yellen, secrétaire au Trésor américain, en a fait la première fois la promotion, à l’occasion de la présentation de la nouvelle stratégie commerciale de son pays. En juin de cette même année, la Maison-Blanche parlait de "ally and friendshoring" dans un rapport sur la construction de chaînes d’approvisionnement résilientes.

Soutenu par plusieurs experts, il est considéré comme plus réaliste, étant donné que la relocalisation ne peut se faire que dans certaines limites, et qu’une économie aussi forte soit-elle ne peut se suffire à elle-même, ni être compétitive, sans reposer sur des partenaires étrangers.

C’est en effet après le déclenchement de la guerre russo-ukrainienne que le concept a pris tout son sens. L’ère de la mondialisation heureuse, où il n’y a plus d’ennemis, mais que des clients et des fournisseurs, semble être révolue. Il n’est pas question donc pour les Etats-Unis d’aider des pays, qui n'entrent pas dans son cercle des alliés, à se développer et à se renforcer.

Autrement dit, ce qui s’est produit dans le cas de la Chine a été considéré comme une erreur. L'empire du Milieu, qui est devenu l’usine du monde, s’est taillé la part du lion dans les chaînes de valeur mondiales. Aujourd’hui les Américains, démocrates comme républicains, considèrent la Chine comme une réelle menace sur leur leadership. Ils s’accordent à mener contre elle une stratégie de containment, aussi bien militaire qu’économique.

C’est ainsi que le friendshoring peut favoriser d’autres pays, notamment ceux considérés comme des amis des Etats-Unis. Mais qui peut être considéré comme ami, dans un contexte géopolitique où les alliances sont mouvantes ?

Dans un récent article, The Economist souligne que plusieurs pays ont décidé de ne pas prendre position dans la polarisation qui s’est créée entre l’Occident d’un côté, et la Russie et la Chine de l’autre. Parmi eux, un panel de 25 pays avec les économies les plus importantes a été choisi. Le Maroc y occupe la deuxième place juste après le Mexique, frontalier des Etats-Unis, quant à la part de l’Occident dans son commerce extérieur.

Le Maroc, officiellement neutre, entretient des liens étroits avec l’Occident, notamment les Etats-Unis, tout en diversifiant ses relations avec les autres grandes puissances. Ainsi pourrait-on considérer que le Maroc coche les deux cases, celle du nearshoring et celle du friendshoring, notamment vis-à-vis de l’Europe.

Sollicité par Médias24, Larabi Jaidi, senior fellow au sein du Policy Center for the New South (PCNS) et professeur à l’Université Mohammed VI polytechnique (UM6P), a répondu à nos questions sur le sujet.

Médias24 : La promotion des Etats-Unis, à travers l’appel de personnalités comme Janet Yellen au friendshoring, est-elle rationnelle selon vous?

Larabi Jaidi : Toute rationalité est relative. Cela dépend des intérêts qu’elle est censée exprimer. A travers le "friendshoring" ou la "délocalisation chez les amis", la secrétaire américaine au Trésor, Janet Yellen, défend une nouvelle doctrine commerciale. Les États-Unis ne veulent plus dépendre de la Chine, veulent sanctionner la Russie et promouvoir un nouvel ordre commercial mondial.

Cette position s’inscrit dans le prolongement de la guerre commerciale entre la Chine et les États-Unis déclenchée depuis 2020 par l’administration Trump. La crise provoquée par le Covid-19 a révélé que les tensions entre les deux pays étaient loin d’être résolues. Des sujets sensibles ont émergé tels que la propriété intellectuelle, l’accès au marché ou encore la manipulation du taux de change.

Malgré des avancées diplomatiques par intermittence, les relations entre les deux premières puissances économiques mondiales ne se sont pas apaisées. Au contraire, la crise russo-ukrainienne a même ravivé ces tensions. Washington tente de créer certaines chaînes de valeur qui évitent les deux puissances rivales.

Les États-Unis veulent favoriser la localisation des chaînes d'approvisionnement chez des partenaires commerciaux de confiance, afin d’étendre en sécurité l'accès aux marchés, réduire les risques pour l’économie américaine. Les grands traits de la nouvelle stratégie commerciale américaine de la "relocalisation chez les pays amis" ont pour effet de recréer un bloc de pays alignés derrière les États-Unis, leurs valeurs et leurs règles.

Le friendshoring est un chemin semé d'embûches diplomatiques et économiques

Cette doctrine cherche à réviser l'approche multilatérale de l'intégration commerciale en vue de parvenir à un commerce libre mais sûr. De plus, elle s’inscrit dans un package plus large qui s’appuierait sur la mise en œuvre de l'accord sur les nouvelles règles fiscales internationales, sur la réforme des Banques multilatérales pour faire face aux crises mondiales plus fréquentes, sur  les  stratégies américaines, politiques et institutionnelles pour mobiliser et allouer les capitaux aux  pays en développement, sur l’accélération de la transition vers un avenir énergétique plus propre et, enfin, sur le renforcement de l'architecture sanitaire mondiale pour stimuler la riposte aux pandémies. Le concept fait donc partie d’une vision globale pour façonner le monde.

Mais la "relocalisation chez les amis" est un chemin semé d'embûches diplomatiques et économiques. La mise en œuvre de cette doctrine présente trois risques. Le premier suppose que l'Amérique ne peut gagner que si ses rivaux commerciaux perdent. Le second implique que ce qui est bon pour les Etats-unis - c'est-à-dire pour leurs entreprises, leurs investisseurs, leurs dirigeants et leurs financiers - est bon pour le reste du monde. Le troisième concerne la neutralité des dispositifs qui seront probablement utilisés pour encadrer son application.

Espérons que cette doctrine ne générera pas de heurts ni de pressions. Car le monde a besoin d’une Amérique prospère, mais un système économique mondial ouvert et non fragmenté est un enjeu vital aussi pour le reste du monde.Les entreprises ne répondent pas sans réticence aux injonctions des politiques

- Peut-on s’attendre à ce que le concept de friendshoring prenne plus d’ampleur et qu’il ait un écho dans le monde des entreprises ?

- Les États-Unis poussent des industriels à s’implanter ailleurs qu’en Chine. L’administration américaine fait pression sur des entreprises priées de déplacer leurs activités chinoises. Pour l’instant, ces incitations ont des effets limités. Les multinationales ne quittent pas la Chine, elles cherchent à se diversifier, à s’implanter dans des pays de proximité des grands marchés. Les implantations américaines dans d’autres pays d’Asie ne se limitent plus à des secteurs de base comme le textile. Apple fabrique au Vietnam des produits sophistiqués comme les AirPods et s’est mis à assembler une partie de ses iPhone 14 en Inde. Cela pourrait faire boule de neige, avec le développement de réseaux sur lesquels s’appuient les multinationales.

Les multinationales ont leurs propres stratégies de localisation, d’accès aux marchés, de partenariat et de coproduction. Il est difficile de déconstruire ce qu’elles ont mis du temps à établir

Néanmoins, dans la logique de fonctionnement de l’économie mondiale, les entreprises, ou du moins celles qui ont des stratégies internationales ne répondent pas sans réticence aux injonctions des politiques. L'époque où le directeur de cabinet du président Dwight D. Eisenhower déclarait que "ce qui est bon pour l'Amérique est bon pour General Motors - et vice versa" n’est plus totalement de mise.

Les États ont compris que les intérêts des actionnaires, des cadres dirigeants, des financiers, mais aussi des fournisseurs doivent être pris en compte. Les multinationales ont leurs propres stratégies de localisation, d’accès aux marchés, de partenariat et de coproduction. Il est difficile de déconstruire ce qu’elles ont mis du temps à établir à force d’investissements et de conquêtes de parts de marchés.

La tension avec les politiques devient plus exacerbée quand les activités concernées sont stratégiques et considérées comme vitales pour la sécurité du pays. Là les choses deviennent plus compliquées ; les États doivent mettre en place suffisamment d’incitations financières pour relocaliser les entreprises et se réapproprier la recherche technologique qui leur échappe.

- L’augmentation des risques géopolitiques est-elle désormais prise au sérieux par les multinationales industrielles ?

- Il est évident que les risques géopolitiques perturbent les entreprises multinationales. On peut prendre comme exemple, leurs réactions à la réponse très stricte de Pékin à la pandémie. L’inquiétude peut être encore plus ressentie face à un risque de confrontation militaire dans l’Indo-Pacifique. Mais selon des sondages, les firmes américaines opérant en Chine ne sont pas pessimistes, une minorité (13 %) compte réduire son allocation de ressources dans le pays. De grandes entreprises américaines et européennes font le choix non pas de quitter la Chine mais de dissocier leurs opérations en Chine de leurs opérations mondiales. 

Washington a aussi pris tout un arsenal de mesures pour priver la Chine de certains semi-conducteurs avancés et l’empêcher de les produire

Les multinationales ne quittent pas la Chine, elles cherchent à diversifier. On pourrait en dire autant des pays : ni la Chine, ni les États-Unis ou l’Europe ne veulent aller vers une rupture totale des liens économiques. Il n’est donc pas étonnant qu’ils se maintiennent dans certains domaines. C’est pour cela que les observateurs préfèrent parler de "réduction de la dépendance".

 Toutefois, les États-Unis ont considérablement renforcé depuis 2018 leur contrôle sur les exportations des entreprises américaines, étendu à des technologies émergentes où le leadership américain est considéré comme un enjeu de sécurité nationale. Une licence est ainsi requise pour exporter certains biens technologiques vers la Chine, ou les vendre à une liste de firmes chinoises qui ne cesse de s’allonger. Une forme d’embargo ciblé, auquel la Chine a répliqué en se dotant d’instruments de contrôle similaires.

Washington a aussi pris tout un arsenal de mesures pour priver la Chine de certains semi-conducteurs avancés, et l’empêcher de les produire. Les entreprises du monde entier ont notamment défense de vendre en Chine des semi-conducteurs utilisés dans l’intelligence artificielle s’ils sont fabriqués à l’aide de technologies ou de matériel américains. Une mesure puissante, qui avait déjà été employée pour affaiblir le géant des télécoms Huawei. Les Etats-Unis ont aussi renforcé le filtrage des investissements sur leur territoire. Huawei en a fait les frais en se voyant exclu du déploiement de la 5G sur le sol américain.

Aux États-Unis, l’optimisme qui régnait à l’adresse de la Chine il y a quelques années a fait place à la méfiance et à la volonté de freiner l’ascension d’un rival

Dans l’ensemble, les entreprises suivent de très près cet environnement difficilement prévisible.  La tendance au "découplage", d’origine économique et géopolitique se manifestera plus nettement dans des secteurs importants pour la sécurité nationale, et ce des deux côtés. D’autant que le rapport de force avec la Chine fait l’objet d’un consensus bipartisan assez fort aux États-Unis.

L’opposition à la Chine est un des rares points communs entre démocrates et républicains. L’imbrication étroite entre les deux premières économies mondiales est remise en cause, surtout dans certains secteurs de haute technologie. Pour autant, les relations entre les deux pays ne sont pas sur la voie d’un divorce économique. Aux États-Unis, l’optimisme qui régnait à l’adresse de la Chine il y a quelques années a fait place à la méfiance et à la volonté de freiner l’ascension d’un rival.

Les États-Unis ont largement tourné le dos à l'OMC pour rétablir un ordre commercial qui leur soit plus favorable et qui affirme leur prééminence

 - Le friendshoring est-il compatible avec les règles de l’OMC ?

- La pandémie de Covid-19, la guerre commerciale sino-américaine, les sanctions contre la Russie ont montré que les échanges commerciaux pouvaient s’enrayer très rapidement. Compromis entre mondialisation totale et isolationnisme, mais aussi entre délocalisation et production locale, le friendshoring laisse penser que l’on se dirige vers une réorganisation des chaînes d’approvisionnement et de logistiques mondiales.

Dans son discours annonçant la nouvelle doctrine, pas une seule fois la Secrétaire au Trésor n'a mentionné l'Organisation mondiale du commerce (OMC). Les États-Unis considèrent que plus de vingt ans après son admission dans le club défenseur du libre-échange en 2001, la Chine a capté l’essentiel des chaînes de valeur mondiales. Les États-Unis ont donc largement tourné le dos à cette enceinte multilatérale pour rétablir un ordre commercial qui leur soit plus favorable et qui affirme leur prééminence.

La division du monde commercial en deux blocs, les amis et les non-amis, aurait un coût économique non négligeable. Le commerce international serait pénalisé dans la mesure où les pays en développement non alignés risquent d’être exclus de l'orbite du friendshoring

Un certain nombre de principes simples et fondamentaux constituent le fil conducteur du système commercial multilatéral. La Clause de la nation la plus favorisée (NPF) ou l’égalité de traitement pour les autres ; le Traitement national ou l’égalité de traitement pour les étrangers et les nationaux. L’objectif évident est d’encourager les échanges, de réduire les obstacles au commerce, de donner plus de visibilité aux acteurs grâce à la transparence des règles et des normes.

Ces règles relatives à la non-discrimination ont pour objet de garantir des conditions commerciales loyales. Il s’agit de questions complexes, car les règles visent à définir ce qui est loyal et ce qui ne l’est pas sont toujours sujettes à des interprétations. Les Accords de l’OMC sont complexes car ce sont des textes juridiques portant sur un large éventail de domaines d’activité : agriculture, textiles et vêtements, activités bancaires, télécommunications, marchés publics, normes industrielles et sécurité des produits, réglementation relative à l'hygiène alimentaire, propriété intellectuelle, et bien plus encore. D’où les difficultés de l’Organisation à asseoir sa légitimité par des consensus. Aujourd’hui la tendance est d’aller vers un plurilatéralisme commercial, ou la définition de positions convergentes entre pays selon les thématiques de l’agenda. La nouvelle doctrine américaine vient compliquer ce schéma.

Toujours est-il que la division du monde commercial en deux blocs, les amis et les non-amis, aurait un coût économique non négligeable. Le commerce international serait pénalisé dans la mesure où les pays en développement non alignés risquent d’être exclus de l'orbite du friendshoring. L'OMC a d'ailleurs estimé que le commerce entre blocs réduirait d'environ 5 % le PIB mondial à long terme.

Les relations économiques entre le Maroc et les Etats-Unis sont sur un trend positif, mais encore insuffisantes au regard du potentiel exploitable

- Dans quelle mesure le Maroc peut-il profiter de cette tendance ?

- Les perspectives de développement des relations économiques entre le Maroc et les Etats-Unis d’Amérique sont cadrées par l’Accord de libre-échange qui lie les deux pays. Les relations économiques sont sur un trend positif, mais encore insuffisantes au regard du potentiel exploitable. Les États-Unis sont le 4e fournisseur du Royaume et son 6e client.

Le Plan d’Accélération industrielle et le Plan Maroc vert ambitionnaient de renforcer le positionnement du Maroc sur les marchés extérieurs, notamment le marché américain, à travers un suivi sans relâche du respect des dispositions de l’ALE existant. Mais nous sommes encore loin de tirer profit de l’ALE maroco-américain. Il faudrait lui assurer davantage de succès et d’équilibre pour hisser les échanges à la hauteur des réelles potentialités des deux pays. Les investisseurs américains pourraient contribuer à cette dynamique, en s’associant, notamment, au processus de structuration des secteurs industriels autour des écosystèmes dans des secteurs porteurs à fort potentiel, notamment l’automobile et les énergies renouvelables.

Plusieurs avantages procurent au Maroc un positionnement favorable, notamment sa stabilité politique, ses infrastructures modernes, l’ouverture de son économie ainsi que la visibilité qu’offrent aux investisseurs certaines stratégies sectorielles

L’accord de décembre 2020 relatif au Sahara avait donné lieu à une lettre d’intention de la part du gouvernement américain pour l’ouverture d’une antenne de son initiative Prosper Africa, destinée au continent africain, dans le Royaume. Il avait également été question d’un mémorandum d’entente visant à drainer 3 milliards de dollars d’investissements au Maroc. Les investissements américains ont constitué plus de 38% des IDE en 2021, c’est un progrès. Mais c’est peu si l’on considère le Maroc se présente comme un relais de croissance pour les investisseurs américains en quête de compétitivité et de marché.

Plusieurs avantages procurent au Maroc un positionnement favorable dans la nouvelle doctrine américaine du friendshoring, notamment sa stabilité politique, ses infrastructures modernes, l’ouverture de son économie ainsi que la visibilité qu’offrent aux investisseurs certaines stratégies sectorielles. Mais des progrès restent à faire pour en faire un site d’attraction des investissements américains. Le Département d'État américain a rendu public son rapport sur le climat des investissements 2022 qui couvre plus de 160 pays.

Les nouvelle doctrine de l’administration américaine risque d’accélérer la mise en place de la politique industrielle chinoise et européenne autonomes

Dans ce rapport, les avantages et opportunités offerts par le Royaume ont été mentionnés, mais ses auteurs pointent aussi ses fragilités, notamment la faible protection des droits de propriété intellectuelle, l'inefficacité des procédures bureaucratiques, la lenteur de la prise de décision dans les réformes, le manque de transparence dans les marchés publics, etc.

- Est-ce-que le frienshoring peut inciter les États à plus de polarisation en vue d’attirer ces investissements ?

- Les nouvelle doctrine de l’administration américaine risque d’accélérer la mise en place de la politique industrielle chinoise et européenne autonomes. La guerre commerciale menée contre la Chine a accéléré les efforts du géant asiatique pour développer l’innovation sur son sol.  Depuis 2015 et son plan "Made in China 2025", Pékin affiche sa volonté de monter en gamme et d’atteindre un maximum d’indépendance technologique. Cette stratégie vise à faire de la Chine une puissance technologique en devenant leader dans 10 secteurs stratégiques, dont les semi-conducteurs, les TIC, l’IA…

Les américains s’interrogent pour savoir si les "amis européens" feraient du friendshoring avec eux.  Mais les efforts de Joe Biden pour ramener l'industrie sur le sol américain, via des subventions dans les semi-conducteurs, les énergies renouvelables ou les véhicules électriques, ont alarmé les Européens. La loi sur la réduction de l'inflation (IRA, Inflation Reduction Act), adoptée aux États-Unis en août 2022, met en péril la compétitivité des fabricants européens sur le marché américain.

Les tensions commerciales entre grandes puissances risquent même d'entraîner sur le long terme des découplages des écosystèmes américains et chinois et des écosystèmes américains et européens

C’est le cas par exemple dans le secteur des véhicules électriques, une industrie stratégique ciblée par le friendshoring et mise en exergue dans l'IRA. Cette nouvelle loi américaine a suscité de vives inquiétudes au sein de l'UE et chez d'autres alliés des États-Unis, comme la Corée du Sud et le Japon. Ils veulent répondre à cette offensive protectionniste par des mesures concurrentes.

Le risque du friendshoring est qu'il peut favoriser une délocalisation d'activités d'Europe vers l’Amérique du Nord. L’Europe considère que c’est son indépendance par rapport à la Chine et aux Etats-Unis qui est en jeu, sur les biens les plus stratégiques que sont les médicaments, les batteries électriques, les semi-conducteurs, l'énergie ou encore les données numériques.

La France et l’Allemagne plaident pour un IRA européen, qui simplifie les Projets importants d'intérêt européen commun (PIIEC), qui accélère les procédures d'aides, qui favorise la production industrielle verte, qui mette en place la taxe carbone aux frontières. Conscients des risques encourus par son industrie du futur, l’Union Européenne travaille pour faire adopter par ses membres un assouplissement des aides d'État aux entreprises, ainsi que des subventions ciblées et des crédits d'impôt pour les secteurs stratégiques.

L'indépendance industrielle et la souveraineté sont les nouveaux leitmotivs de la politique mondiale

Sur fond de rivalité technologique, les tensions commerciales entre les grandes puissances sont donc loin d’être résolues. Elles risquent même d'entraîner sur le long terme des découplages des écosystèmes américains et chinois et des écosystèmes américains et européens. Reste à savoir quel sera le degré de dialogue, de coopération et d'ouverture des Etats-Unis dans cette "confrontation" mondiale.

Les États-Unis, voire l’Occident en général veulent prendre leurs distances vis-à-vis de la Chine. Ira-t-on vers une scission entre deux blocs économiques ? Rien n’est sûr. L’Europe se dit soucieuse de son non-alignement sur les Etats-Unis. La nouvelle mondialisation obéira à une géométrie variable. En réalité, aucun des acteurs ne souhaite ni ne plaide pour un "découplage" général. Tous, cependant, veulent limiter leur dépendance. L'indépendance industrielle et la souveraineté sont les nouveaux leitmotivs de la politique mondiale.

La position du Maroc dans les relations internationales a toujours été motivée par une volonté de consolider ses amitiés et de préserver son autonomie de décision sur les questions d’intérêt stratégique

- Qu'en est-il du Maroc, allié des États-Unis, qui tient cependant à diversifier ses relations, notamment avec la Chine et les autres puissances émergentes ?

- C’est une question de souveraineté politique. La position du Maroc dans les relations internationales a toujours été motivée par une volonté de consolider ses amitiés et de préserver son autonomie de décision sur les questions d’intérêt stratégique. Ses relations économiques avec les États-Unis, l’Union européenne, la Chine et la Russie sont définies par des accords et des engagements réciproques. C’est aussi le cas avec ses nouveaux partenaires, la Turquie, l’Inde, le Brésil, Israël et les pays africains.

L’autonomie stratégique est le maître mot qui permet aux pays de moyenne dimension de naviguer dans des eaux perturbées

Ces relations ouvertes permettent de renforcer ses relations politiques et économiques avec ses partenaires traditionnels et les pays émergents. Le Maroc n’a pas une position d’alignement sur les intérêts ou les positions d’un partenaire. Il fait du dialogue, de la négociation, les instruments qui lui permettent d’explorer en profondeur les opportunités pour accroître les investissements et les échanges commerciaux avec ses partenaires, dans le respect des valeurs de la paix et de la prospérité pour tous.

Notre économie a besoin de diversifier ses partenariats, de rester ouverte aux entreprises qui décident de se localiser sur le territoire national, pourvu qu’elles inscrivent leurs actions dans les choix et les priorités nationales. L’autonomie stratégique est le maître mot qui permet aux pays de moyenne dimension de naviguer dans des eaux perturbées, mais toujours sujettes à des flux et des reflux dans les alliances. Dans un environnement fragmenté et turbulent, le Maroc ne peut alimenter les tension d’une guerre froide économique. Il déploie son soft power économique, politique et culturel pour consolider son image d’un pays de paix, de dialogue  et de solidarité.

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