LGV, réseau conventionnel, projets... Les révélations de Mohamed Rabie Khlie

ENTRETIEN. A la veille de la clôture du 11e Congrès mondial de la grande vitesse ferroviaire, tenu à Marrakech, qui a connu un grand succès en termes de fréquentation internationale, le directeur général de l’ONCF, Mohamed Rabie Khlie, revient pour Médias24 sur les grands chantiers prévus jusqu’à l’horizon 2030.

LGV, réseau conventionnel, projets... Les révélations de Mohamed Rabie Khlie

Le 9 mars 2023 à 18h34

Modifié 10 mars 2023 à 8h47

ENTRETIEN. A la veille de la clôture du 11e Congrès mondial de la grande vitesse ferroviaire, tenu à Marrakech, qui a connu un grand succès en termes de fréquentation internationale, le directeur général de l’ONCF, Mohamed Rabie Khlie, revient pour Médias24 sur les grands chantiers prévus jusqu’à l’horizon 2030.

Visiblement fier d’être le premier pays d’Afrique et du monde arabe à disposer d'une LGV et à accueillir la 11e édition du Congrès mondial de la grande vitesse ferroviaire, le directeur général de la compagnie nationale des chemins de fer a profité de cette occasion pour présenter tous les grands projets de l’ONCF.

Extension de la ligne à grande vitesse jusqu’à Marrakech et Agadir, prochaines villes connectées à la LGV, développement des moyens de transport de proximité (RER,  Aero-Express …), connexion du réseau ferroviaire national au continent, liaison ferroviaire sous le futur tunnel reliant le Maroc à l’Espagne, etc., Mohamed Rabie Khlie n’a éludé aucune de nos interrogations.

Médias24 : Toutes les grandes compagnies ferroviaires mondiales sont à Marrakech...

Mohamed Rabie Khlie : En effet, c’est la première fois que le Congrès mondial de la grande vitesse se tient dans un pays africain et arabe, grâce au choix de l’Union internationale des chemins de fer, dont je suis le vice-président mondial et le président de la région Afrique.

Cette instance, qui a réuni l’ensemble de la communauté ferroviaire mondiale, a porté son choix sur le Maroc en gage de reconnaissance du développement de notre secteur ferroviaire, qui s’est fait grâce à la vision éclairée de Sa Majesté le Roi depuis les vingt dernières années.

70 MMDH ont en effet été investis dans le secteur ferroviaire avec des extensions de lignes conventionnelles, des doublements et des triplements de voies conventionnelles, la mise en place de la ligne à grande vitesse entre Tanger et Casablanca qui a connu un franc succès depuis sa mise en service en 2018.

- Au départ, ce projet a été très critiqué, on a même parlé d’éléphant blanc... Cinq ans après, est-il rentable ? Qu’a-t-il apporté au Maroc ?

- Il est vrai qu’au départ, on s’est posé beaucoup de questions légitimes.

Un pays émergent comme le Maroc est-il capable, et a-t-il les moyens, de réaliser ce projet selon les standards internationaux ?

Et une fois ce projet réalisé, le Maroc serait-il capable de l’exploiter ?

On s’est aussi demandé s’il ne s’agissait pas, effectivement, d’un éléphant blanc qui nécessiterait des subventions publiques ad vitam aeternam ?

Conscients que cette aventure était risquée, nous avons fait en sorte que le CAPEX [dépenses d’investissement, ndlr] et le modèle d’exploitation soient optimisés, d’autant que la réussite de ce premier projet conditionne la continuité des extensions de la LGV jusqu’à Marrakech puis Agadir.

Cela a permis d’obtenir un coût au kilomètre de seulement 9 millions d’euros contre 22 millions d’euros au niveau mondial, et par conséquent, de tirer les coûts vers le bas.

D’autant que les deux tiers du coût du projet sont constitués par la partie génie civile et infrastructure (terrassement, rails, signalétique…).

Le fait d’avoir choisi des entreprises marocaines pour réaliser ces travaux à des coûts défiant toute concurrence, nous a également permis d’optimiser les coûts d’exploitation et d’entretien.

Pour la partie revenus, nous avons fait en sorte d’adopter une tarification modulaire accessible à tous les Marocains, qui a abouti à un taux d’occupation moyen de 65% pour tous les trains de la LGV.

Cela dit, si nos tarifs sont largement inférieurs à ceux pratiqués en Europe, notre modèle d’exploitation nous a permis de retirer des marges opérationnelles dans la fourchette supérieure de ceux des autres opérateurs ferroviaires de la planète, et qui sont parvenues à couvrir nos frais d’exploitation en seulement quatre ans.

Cela nous a permis de transporter 3 millions de passagers en 2019, 4 millions en 2022 après la période du Covid, et l’on devrait se rapprocher des 5 millions de passagers pour l’année 2023.

De plus, nous arrivons à supporter les coûts d’exploitation et à faire face à la dette du matériel roulant, et si les choses se poursuivent ainsi, nous serons bientôt en mesure de rembourser la partie superstructure.

- Combien d’années faudra-t-il pour amortir ce projet ?

- Ce sont là des projets capitalistiques dont le retour sur investissement se fait sur le long terme, à savoir cinquante années pour la partie génie civil et trente années pour le reste, à savoir le matériel roulant.

Il faut préciser néanmoins que la rentabilité socio-économique est plus importante que la seule rentabilité économique.

En effet, l’impact a été énorme en termes de réduction d’émission de CO2, de nombre de morts sur les routes, de temps de parcours, de développement touristique avec un taux de croissance à deux chiffres pour les nuitées à Tanger dès 2019, un an après la mise en service de la LGV Tanger-Casablanca.

Partant de ce constat, on peut donc dire que le projet Al Boraq est une véritable réussite qui a impressionné tout le monde, aussi bien en Afrique qu’ailleurs.

Ce projet marocain suscite d’ailleurs beaucoup d’intérêt chez les autres pays qui veulent s’équiper de la ligne à grande vitesse.

L’idée est de connecter la ligne à grande vitesse qui vient de Tanger à la ligne conventionnelle qui vient de Fès vers Kénitra.

- Quels seront les bénéfices de l’extension de la ligne à grande vitesse vers Marrakech ?

- Depuis la mise en service de la LGV en 2018 et malgré la période du Covid, nous n’avons pas chômé.

Nous avons en effet lancé un plan stratégique sur cinq années pour continuer à développer la grande vitesse ainsi que des lignes conventionnelles, et recenser les besoins en transport de proximité.

Grâce à notre expérience antérieure, nous avons avancé sur plusieurs études qui nous permettront d’aller jusqu’au stade de l’exécution après avoir libéré les couloirs nécessaires pour le foncier.

Elles montrent que l’extension de la LGV entre Kénitra-Casablanca puis Marrakech permettra de faire le trajet Tanger-Rabat en 1 heure, celui de Tanger-Casablanca en 1h35 et enfin Tanger-Marrakech en 3 heures.

Mais surtout, le fait de continuer la ligne jusqu’à Marrakech va permettre de libérer de la capacité sur la ligne conventionnelle entre Kénitra et Casablanca, très chargée en termes de fréquentation.

L’idée est de connecter la ligne à grande vitesse qui vient de Tanger à la ligne conventionnelle qui vient de Fès vers Kénitra.

Ainsi, les trains qui viendront de Fès-Meknès vers Kénitra pourront circuler à 200 km/heure et ceux de Kénitra à 160 km/heure en empruntant la ligne à grande vitesse qui vient de Tanger.

Au final, cette connexion de la LGV à une ligne conventionnelle permettra aux habitants de Fès de gagner un peu plus d’une heure sur le trajet Fès-Casablanca et de le faire en deux heures.

- Quid du projet de ligne métropolitaine à Casablanca ?

- Le hub de Casablanca sera traité de manière à avoir un métropolitain qui desservira Mohammedia-Faculté jusqu’à Nouaceur, avec des arrêts tous les quatre km au niveau des stations Zenata Sidi Bernoussi, Sidi Maârouf et Bouskoura, et une fréquence de 10 minutes avec des voies dédiées.

Hormis le développement de la LGV, des trains régionaux et des lignes conventionnelles, un Aéro Express connectera Casa-Port à l’aéroport Mohammed V avec un temps de parcours de 30 minutes.

Concernant l’extension de la LGV jusqu’à Marrakech et Agadir, les études techniques sont bien avancées, avant la phase des études de détail qui précèderont le lancement des appels d’offres.

- Quand aboutira ce processus ?

- Avant la fin de l’année, nous aurons assez de visibilité pour arrêter les couloirs fonciers nécessaires et engager le processus d’acquisition des terrains ou de ceux qui devront être expropriés.

Sachant que nous avons signé un accord avec l’Etat pour acquérir les terrains, le processus d’acquisition du foncier nécessaire devrait prendre environ un an et demi.

- Comment financer les interconnexions LGV-Lignes conventionnelles puis les extensions de la LGV ?

- Pour les trains régionaux et le métropolitain, on essaiera de faire jouer un rôle d’investisseur aux régions ; d’une part parce que le transport urbain relève de leurs compétences ; d’autre part parce que ces investissements dans le transport de masse leur permettra de réaliser des économies.

Sachant qu’ils se serviront de nos infrastructures déjà existantes, les régions n’auront pas à partir de zéro.

Le coût total de mise en œuvre sera beaucoup moins important avec l’ajout de certaines voies.

Au final, cela leur coûtera en effet 1/6e ou 1/8e de ce que cela aurait coûté en réalité.

Concernant l’extension de la LGV, nous sommes alignés avec le ministère des Finances pour trouver le montage financier le plus approprié à travers un partenariat public-privé.

Nous allons faire en sorte de trouver la bonne formule avec les pouvoirs publics pour rendre la chose la plus supportable possible pour les caisses de l’Etat.

 

- Le projet d’extension ne sera donc pas financé à 100% par l’Etat ?

- En effet, nous allons chercher des fonds d’investissement, mais ayant une première expérience avec la LGV Tanger-Casablanca qui draine déjà 3 millions de passagers par an, nous avons la compétence nécessaire pour mettre en place un modèle de financement adapté et optimal.

Ce projet étant très capitalistique, nous allons faire en sorte de trouver la bonne formule avec les pouvoirs publics pour rendre la chose la plus supportable possible pour les caisses de l’Etat.

Partant de là, je dirais que le train est déjà parti.

- Dans ce cas, quand arrivera-t-il en gare de Marrakech  ?

- Nous espérons avoir plus de précisions et de visibilité sur le montage financier à la fin de l’année 2023, après la signature d’un contrat-programme qui nous permettra de commencer à acquérir le foncier.

Après quoi, la phase des travaux entre Kénitra et Casablanca devrait prendre cinq ans, et la durée de ceux entre Casablanca et Marrakech environ quatre ans.

Une fois le foncier débloqué, cela prendra moins de 10 ans, soit à l’horizon 2030.

- Et pour Agadir, quel sera le délai nécessaire pour la connexion LGV avec Marrakech?

- En fait, ce qui est valable pour la ville de Marrakech l’est aussi pour Agadir, car si l’on parvient à trouver les bons montages financiers, il se peut que les deux projets soient terminés en même temps.

Si on arrive à trouver un fonds d’investissement qui s’intéresse à ce projet, les études d’exécution et la libération du foncier iront très vite.

Ce projet d’extension à Agadir se fera alors en parallèle et non en séquentiel.

- Quelles sont les autres grandes villes qui seront connectées à la LGV ?

- L’ONCF est une force de proposition de schémas directeurs, mais ce sont les pouvoirs publics qui ont le dernier mot sur le choix des villes à connecter au réseau de la LGV, qui sont des projets capitalistiques.

Aujourd’hui, nos schémas directeurs basés sur plusieurs considérations scientifiques (besoins démographiques, mortalité routière, bassin touristique) prévoient de connecter dans un premier temps la ville d’Agadir au reste du réseau LGV, puis Casablanca à Oujda, soit un parcours total de 1.500 km.

Le réseau conventionnel de chemin de fer atteindra Lagouira et la Mauritanie

Nous prévoyons aussi d’étendre le réseau conventionnel de Marrakech à Agadir puis à Laâyoune et ensuite à Lagouira, et même jusqu’à la Mauritanie.

Un total de 3.400 kilomètres seront couverts, mais il faut préciser que ce genre de planification, dont la décision finale appartient à l’Etat, se projette sur une durée comprise entre trente ou quarante années.

Son exécution dépendra de la volonté de l’exécutif d’entrer dans une logique d’aménagement du territoire avec une vision stratégique pour développer des pôles, en répondant à des besoins d’étendre les autoroutes ou le réseau ferroviaire existants.

Il y a aussi le projet d’une ligne qui nous connectera à l’Algérie et qui pourra desservir la Libye et l’Egypte.

- Quid des autres connexions nationales voire continentales ?

- Nous avons lancé plusieurs études pour construire de nouvelles voies ferroviaires entre Tanger et Tétouan ou Oujda et Nador via Berkane, mais là-encore, il faudra un partenariat avec les régions.

En tant que président de l’Union internationale des chemins de fer Afrique, nous avons lancé des études à l’horizon 2063 pour étendre à l’Afrique le réseau de la LGV afin d’être connecté à la Mauritanie puis vers le Sud du continent.

Il y a aussi le projet d’une ligne qui nous connectera à l’Algérie et qui pourra desservir la Libye et l’Egypte.

- Où en est le projet de ligne ferroviaire sous le futur tunnel du détroit de Gibraltar ?

- Etant administrateurs de la Société nationale d’études du détroit de Gibraltar (SNEDG), nous avons la responsabilité de réaliser les études pour une éventuelle liaison sous-marine.

Mais c’est un projet très complexe. Si l’on fait le parallèle avec le tunnel sous la Manche entre la France et l’Angleterre, on constate que la terre était à 40 mètres, alors qu’entre l’Espagne et le Maroc, on ne trouve de la terre pour une liaison fixe que sous 400 mètres.

De plus, comme les courants marins sont trop puissants, le tunnel ne s’étalera pas seulement sur les 14 kilomètres qui séparent les deux continents, mais sur un minimum de 40 kilomètres.

Avec toutes ces difficultés qui nous interrogent sur la faisabilité de ce projet, il n’est pas dans le scope de l’ONCF.

- Des détails sur le projet récemment annoncé de création d’un écosystème ferroviaire marocain ?

- Dans cet écosystème, il y a une partie infrastructure et une autre liée à la construction de matériel roulant.

Concernant la production de trains, le processus est bien avancé depuis des années, avec une vision claire pour faire en sorte de remplacer notre flotte de trains conventionnels qui commencent à vieillir.

Après la rénovation des voitures, qui a permis de prolonger leur utilisation d’une dizaine d’années, nous avons besoin de les remplacer par des trains bloc, où la partie motrice est intégrée à la partie remorque.

Pour les dix ans à venir, nos besoins sont de 100 trains, auxquels il faudra ajouter le matériel roulant pour les projets de RER et de trains de proximité, soit une cinquantaine de trains supplémentaires.

Cette quantité constitue une taille critique qui devrait inciter un ou deux constructeurs à s’installer au Maroc en bénéficiant de la Charte de l’investissement et du programme d’émergence industrielle.

Ils pourront installer un certain nombre d’unités de production de trains pour nos besoins, puis pour exporter dans le monde entier, à l’image de ce qui se fait dans le secteur aéronautique ou automobile.

Pour cela, nous avons lancé un appel à manifestation d’intérêt avec des objectifs d’installation et de création de valeur d’exportation avec un taux d’intégration qui démarrera à 10% pour finir à 60%.

Cet appel international a intéressé les plus grands constructeurs de la planète et la prochaine étape sera de les recevoir pour s’aligner sur la faisabilité de la chose, avant de lancer un appel d’offre qui retiendra entre un et trois constructeurs.

De plus, nous considérons que ce projet sera rentable financièrement car le fait de remplacer des anciens trains par de nouveaux nous permettra de le faire sans subvention publique.

Cette flotte homogène comportera de nombreux avantages ; elle coûtera moins cher et consommera moins d’énergie, avec un entretien avec des pièces de rechange moins coûteuses grâce au cahier des charges.

En effet, le constructeur retenu devra maintenir les trains durant vingt ans de manière à ce que le coût d’acquisition soit réduit et n’atteigne pas une fortune en frais de maintenance.

- Dernière question, à quel horizon sortiront les premiers trains des usines ?

- Nous pensons recevoir les premiers trains produits au Maroc dès l’année 2025.

- Aussi rapidement que ça ?

- Absolument, car dès que l’appel d’offres sera lancé et aboutira dans quelques mois, nous pourrons acquérir le foncier nécessaire, et à partir de là tout ira très vite.

Mais à l’image de ce que nous avons prévu pour étendre la LGV, la concrétisation de cet écosystème est en définitive le résultat de plusieurs années de réflexion qui sont en train d’aboutir.

Nous sommes convaincus que nous transformons l’essai dans les deux années à venir.

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