Analyse du deal CIH-BMCI Asset Management

L’acquisition de BMCI AM par CIH soulève des questions sur la valorisation de la transaction. Elle met aussi le projecteur sur un secteur qui a souffert en 2022. Décryptage.

Ph. MEDIAS24

Analyse du deal CIH-BMCI Asset Management

Le 23 février 2023 à 19h13

Modifié 23 février 2023 à 19h49

L’acquisition de BMCI AM par CIH soulève des questions sur la valorisation de la transaction. Elle met aussi le projecteur sur un secteur qui a souffert en 2022. Décryptage.

L’annonce de la cession de BMCI Asset Management à CIH Bank continue d’interpeller le marché. Au-delà de l’aspect stratégique aussi bien pour le vendeur que pour l’acquéreur, c’est aussi l’annonce du montant de la transaction qui suscite des questions.

La cession est consentie pour un prix de 70 MDH, ont annoncé BMCI et CIH dans un communiqué conjoint, le 17 février dernier.

"Dans ce genre de transaction, l’annonce du montant n’est pas fortuite. En général, ce sont les cessions de petites entreprises qui procèdent de la sorte, comme un accomplissement et une source de fierté de leur promoteur. Dans d’autres cas, c’est une obligation légale. Qu’une transaction aussi institutionnelle fasse l’objet d’une telle communication est intrigant, d’autant que dans la même semaine, une autre transaction concernant DIGIFI (la filiale technologique de BMCI) a été annoncée sans déclarer de prix de cession", confie à Médias24 un banquier d’affaires basé à Paris.

Selon notre banquier d’affaires parisien, en se basant sur la méthode DDM (Discounted Dividend Model), une des méthodes de pricing les plus utilisées, la valorisation de BMCI Asset Management tourne autour de 45 millions de dirhams. Celle des multiples des fonds propres est encore plus basse.

"A 70 millions, on serait à quelque chose comme 18 fois les fonds propres, ce qui est assez important comme valorisation de BMCI AM". Une de nos sources affirme que l’offre initiale de CIH tournait autour de 8 fois les fonds propres de BMCI AM.

Qui des deux partenaires avaient intérêt à faire connaître le montant du deal ?  BMCI a-t-elle conclu une très bonne affaire au détriment de CIH ?

La BMCI cède mais ne brade pas !

Pour nos différentes sources, cela pourrait être à l’avantage de la BMCI, qui donne ainsi le signal que bien qu’elle se désengage de ses activités annexes, la filiale de BNP Paribas ne les brade pas pour autant. Cela dans un contexte où tout porte à croire que la banque française prépare un désengagement en douceur du Maroc comme en attestent plusieurs signaux.

La BMCI s’est restructurée au niveau de ses effectifs et de ses activités, elle a vendu ses murs en les plaçant dans un OPCI ; et aujourd’hui, elle cède une à une ses filiales. Selon une de nos sources bancaires, cela est renforcé par le fait que globalement, la BNP se retire de la région, que ce soit de Tunisie ou de Côte d’Ivoire.

"Les règles baloises, notamment les règles de consolidation et leur impact sur les fonds propres, rendent de plus en plus difficile pour les banques internationales la possibilité de détenir des actifs partiellement, puisqu’elles sont automatiquement consolidées à 100% au niveau de leurs comptes. BNP fait partie des banques qui sont aujourd’hui les plus strictes sur les règles de conformité, notamment après sa sanction record aux Etats-Unis. Il est donc tout à fait normal qu’elle songe à se retirer du Maroc, d’autant  qu’elle ne détient pas 100% de la BMCI et que son apport globalement aux résultats de la BNP est faible."

La cession de son actif par petits morceaux contribue ainsi à rendre plus accessible la société-mère pour une cession éventuelle tout en boostant ses résultats.

Valorisation justifiée ?

Quid alors de CIH ? A-t-il payé trop cher sa nouvelle filiale d’Asset Management ?

Les avis sont contrastés. Pour un gestionnaire de fonds indépendant (non filiale d’une banque), "cette valorisation est incompréhensible, à part si dans l’accord, il y a aussi l’achat d’une infrastructure IT onéreuse et un accord sur les ressources humaines, qui pour la plupart ont une grande ancienneté".

Notre gestionnaire est d’autant plus surpris de cette valorisation au vu de la nature des fonds gérés par BMCI AM. Pour lui, "BMCI AM a vu son activité baisser depuis une dizaine d’années de près de 50% alors que le marché s’élargissait. De plus, une grande partie de son portefeuille est constituée de fonds dédiés concentrés sur deux gros clients, à savoir AXA et Atlanta. Avec les changements en cours, il est possible que ces clients changent de société de gestion, ce qui constitue un risque pour l’acquéreur censé minimiser la valorisation".

En revanche, un vieux routier de la finance marocaine (actif depuis le début des années 2000) estime que le montant de la transaction est justifiable.

"Tout le marché s’attendait à ce que ce soit une banque qui reprenne BMCI AM dans cette conjoncture compliquée. Il est vrai que le montant annoncé semble élevé, mais dans une logique d’institutionnel, payer 20 ou 25 MDH de prime est normal. On achète du temps et des frais d’établissement."

Un son de cloche partagé par notre source bancaire. "Qu’est-ce que représentent 70 MDH d’investissement pour une banque ? Avec une activité normale, elle devrait rentabiliser la surcote dans 3 à 4 ans..."

Et d’ajouter : "L’AMMC est très claire, elle veut avoir des sociétés de gestion solides, elle exige de plus en plus de capitaux propres pour les nouveaux entrants, d’autant que les niveaux de rentabilité ne sont pas très élevés. C’est une protection offerte aux clients. En payant un premium, CIH étoffe son activité avec la gestion de fonds en achetant avant tout un agrément, des process, des fonds agréés et une équipe aguerrie. In fine, elle achète des ressources qu’elle aurait mis au minimum une à deux années à constituer si elle était partie de zéro, d’autant que CIH n’est pas très expert dans le domaine."

L’activité de CIH dans la gestion de fonds était "sous-traitée" chez un gestionnaire indépendant, Atlas Capital, qui a codéveloppé avec CIH des OPCVM, avec un portefeuille de près de 1 MMDH. En intégrant la gestion de fonds à son offre globale, elle complète sa gamme de produits et peut diversifier sa base de clientèle.

Selon nos sources, en tant que filiale de la CDG, elle pourrait aussi profiter de certains fonds en dépôt, bien que pour cela, elle entrerait en concurrence avec la banque d’affaires de sa maison-mère. Elle peut aussi profiter des nouveaux fonds qui devraient être générés par le Fonds Mohammed VI pour l’investissement.

Marché en mutation

Toutefois, en s’attaquant à la gestion de fonds, le CIH met les pieds là où la concurrence est de plus en plus rude et dans un contexte compliqué pour la gestion de fonds au Maroc.

Ainsi, selon les données de l’Association des sociétés de gestion et fonds d’investissement marocains (ASFIM), l’encours du secteur tous produits confondus est passé de 593 milliards de dirhams en 2021 à 501 milliards de dirhams en 2022, soit une baisse de plus de 15,5%.

OPCVM investissement ASFIM

Selon nos sources, une partie de cette baisse est issue de la contre-performance, aussi bien du marché action (-19,34%) que du marché obligation (-1,9%). Une première depuis au moins vingt ans que de voir les baisses toucher les deux marchés la même année. En parallèle à la contre-performance, le secteur a connu une décollecte importante de plus de 65 milliards de dirhams, les investisseurs préférant le cash, plutôt que de perdre de l’argent dans les instruments financiers.

"En gros, cette baisse des encours est due pour 30% à des pertes de valeurs et pour 70% à la décollecte de l’épargne", estime notre source bancaire. Il faut dire que la baisse des rendements des obligations de l’Etat de 2% a fait beaucoup de mal au marché, puisqu’il est essentiellement concentré (57%) sur cette classe d’actifs (contre seulement 10% sur le marché action et 21% sur les obligations privées).

Le marché est constitué de 19 acteurs mais il est extrêmement concentré. Ainsi, seuls quatre gestionnaires constitués des filiales des trois premières banques nationales et de la CDG détiennent 80% des actifs sous gestion.

OPCVM investissement ASFIM

BMCI AM, avec ses 8 MMDH, fait office de Petit Poucet du secteur. Le secteur est ainsi très concurrentiel où, selon nos sources, les frais de gestions moyens sont autour de 0,4% des actifs sous gestion, toute classe d’actif confondues. Les OPCVM obligation d’Etat sont les moins rémunérateurs (autour de 0,2%) alors que ceux "actions" ou mixtes (actions/obligations) sont mieux rémunérés et peuvent dépasser les 1%. Toutefois, selon nos sources, la récente remontée des taux que connaît le marché devrait augmenter ces frais de gestion, ce qui offre des opportunités intéressantes pour un nouvel entrant.

"Il est plus facile de convaincre un investisseur de facturer des frais de gestion de 0,4% ou 0,5% quand les rendements moyens sont de 4% plutôt que 2%", explique notre source bancaire. Et d’ajouter : "Il est vrai que l’année dernière, le secteur a connu pas mal de perturbations, ce qui structurellement peut pousser vers des effets de concentration. Mais les augmentations récentes des taux donnent du mou aux gestionnaires de fonds."

Contacté par nos soins, le management de CIH n’a pas souhaité s’exprimer sur nos questions, arguant "l’attente des autorisations règlementaires ainsi que la réunion annuelle du conseil de la banque". Quant à la communication de la BMCI, elle est restée injoignable.

Voici pourquoi la BMCI performe en Bourse 

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