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Dans les greniers de hauteur de la vallée d’Amtoudi

Les magasins collectifs de la vallée d’Amtoudi tutoient le ciel. Ces Igoudar, qui se fondent dans le paysage oasien de la région de Guelmim, sont une leçon d’architecture écoresponsable.

Grenier collectif de la falaise Aoujgal. © Direction du Patrimoine culturel

Dans les greniers de hauteur de la vallée d’Amtoudi

Le 4 juillet 2022 à 9h48

Modifié 4 juillet 2022 à 9h48

Les magasins collectifs de la vallée d’Amtoudi tutoient le ciel. Ces Igoudar, qui se fondent dans le paysage oasien de la région de Guelmim, sont une leçon d’architecture écoresponsable.

Dans la vallée d’Amtoudi, il faut bien ouvrir l’œil pour le distinguer. Le 'Agadir n’Uguelluy', comprenez grenier collectif d’Ugulluy, épouse parfaitement le sommet de la colline qui l'abrite.

« Tu penses regarder une montagne, mais au sommet tout en haut, il y a ce grenier, pareil à un nid d’aigle. C’est du camouflage. Il est difficilement repérable parce qu’il est construit avec la même pierre et s’inscrit donc dans la continuité de la montagne. C’est très beau à voir. Agadir n’Ugulluy est vraiment splendide », s’émerveille Khalid Alayoud, enseignant chercheur et auteur du livre Les Igoudar, un patrimoine universel valorisant à valoriser.

Dans la province de Guelmim, chez les Aït Herbil, que ce soit Agadir n’Ugulluy ou Agadir n’Id Aissa, l’autre grenier de la vallée d’Amtoudi, les deux appartiennent à la catégorie de grenier de hauteur, un édifice épousant généralement le pic d’une colline. On les trouve dans l’Anti-Atlas et le Haut Atlas occidental et central.

« Ils sont difficilement accessibles en raison de la disposition topographique du terrain sur lequel ils ont été érigés. Outre sa vocation initiale en tant que dépôt de denrées alimentaires, d’objets de valeur, de documents et d’armes, ce dispositif est un lieu de surveillance, de refuge et de repli lors des moments de siège et de crise », explique la Direction du patrimoine culturel, dans le projet d’inscription des greniers collectifs au patrimoine mondial de l’Unesco, publié en 2021.

Agadir n’Uguelluy dans la vallée d’Amtoudi. © Département de la Culture

De pierre et de laurier

Les deux greniers Ugulluy et Id Aissa sont des exemples représentatifs du type grenier de piton. Ces greniers se caractérisent, selon la Direction du patrimoine culturel, par une architecture impressionnante témoignant de l’habileté des habitants de l’oasis dans l’exploitation de la pierre. Ce matériau est utilisé aussi bien pour le sol que les fondations et les murs auxquels les blocs sont liés par un mortier d’argile.

« La charpente supérieure est en stipes de palmier ou de branches de laurier, recouverte d’une couche de terre mêlée à des gravillons. Ces choix techniques rendent moins visible de loin le bâtiment qui se fond dans le paysage », précise cette source ministérielle. D'où l’effet 'camouflage' de ces deux greniers. Leur construction respectait déjà à l’époque (entre le 16e et le 18e siècles) quelques-uns des concepts fondamentaux de l’architecture écologique.

Citons notamment, l’utilisation de produits locaux et respectueux de l’environnement, et un aspect extérieur qui s’insère parfaitement dans le paysage naturel, ne créant pas de décalage entre le bâti et la nature environnante. Autre spécificité de ces greniers, décrite par la Direction du patrimoine culturel, c’est le fait qu’ils soient, en plus d’être « entourés d’une enceinte, (…) dotés d’un réseau complexe de ruelles desservant les cases, d’un espace réservé à la prière et d’autres dépendances communes. Les citernes, quant à elles, sont alimentées par les eaux de pluie qui y sont drainées par des canalisations bien structurées ».

Grenier collectif de la falaise Aoujgal. © Direction du Patrimoine culturel

Les mots voyageurs

L’auteur de Les Igoudar, un patrimoine universel valorisant à valoriser tient par ailleurs à faire un point « étymologique » pour ne plus faire l’erreur en parlant « des Agadir ».

« Agadir, c’est le grenier au singulier ; au pluriel, on dit Igoudar », précise-t-il. Quant à sa signification, Agadir veut dire fort, fortification, forteresse ou grenier collectif. "Parfois, il désigne un village, une demeure fortifiée ou une kasbah. Il peut aussi indiquer un mur, une muraille ou un rempart. Le nom d’Agadir a voyagé dans le bassin méditerranéen, puisqu’il est répandu au Maroc, en Algérie, en Tunisie, en Libye et même en Espagne."

"La ville de Cadix porte toujours ce nom historique (Acadis, Agadir, Aga). D’autres édifices ont préservé pendant des siècles ce nom ; c’est le cas de la Kasbah des Almohade à Séville, la ville de Tlemcen en Algérie, ainsi que la ville d’Essaouira qui est connue sous le nom de Mogador, qui veut dire en amazighe la ville au rempart. La nouvelle ville d’Agadir était connue sous le nom d’Agadir Ighir ou Iguir, qui signifie le rempart d’épaule. Ce nom est répandu surtout dans la partie sud-ouest de la région Souss-Massa-Drâa, regroupant le Haut Atlas occidental, la plaine de Souss et l’Anti-Atlas", retrace Khalid Alayoud dans sa publication Agadir Inoumar, le grenier collectif qui a valorisé tout un territoire.

Se fondre dans le décor

La construction d’un Agadir est généralement réalisée par la communauté locale, appelée Jemâa. Son plan et son architecture suivent un schéma précis : un carré avec des tours de guet qui dominent les quatre coins d’Agadir. « Parfois, il prend la forme d’un rectangle sans tours de guet. Mais en règle générale, sa forme respecte et épouse la topographie des lieux qui l'accueille », précise Khalid Alayoud dans l'un de ses écrits sur Agadir Inoumar. Ce qui confirme d’ailleurs le tropisme précoce pour la chose écologique des bâtisseurs de greniers.

Si dans l'Atlas central, le grenier ou le magasin collectif est appelé Irherm, il est dans l'Anti-Atlas désigné par le terme Agadir. (Lire aussi Greniers collectifs. À Azilal, des magasins haut perchés). « Le plus grand nombre de ces greniers (Igoudar) se trouve situé sur le versant nord, dans un triangle compris entre Aït-Baha, Aït-Abdallah et Irherm. II y a là un groupe très important, d'une curieuse unité, ayant pour noyau la tribu des Idbuska Oufella de la Confédération des Illalen, et s'étendant à l'est jusqu'au Siroua, au nord et à l'ouest jusqu'à la plaine. C'est là qu'on rencontre les Igoudars les plus grands, de soixante à cent vingt chambres, quelques-uns seulement ont plus de deux cents chambres », décrivait en 1942 déjà Djinn Jacques Meunié, ethno-sociologue et chargée de mission à l'Institut des hautes études de Rabat, dans un compte rendu intitulé Greniers collectifs au Maroc.

De la transhumance à la sédentarité

Les greniers de la vallée d’Amtoudi sont situés dans une palmeraie où l’eau est abondante. Et c’est ce qui fait la différence avec les magasins collectifs construits dans des zones au climat aride, où l'on est plutôt dans une logique de gestion de la rareté. « L’agriculture est irriguée grâce aux sources utilisées dans une dynamique oasienne. La construction du grenier est donc faite dans une logique défensive. Et ces village bâtissent leurs greniers dans des endroits très difficiles d’accès pour mieux les défendre. D’ailleurs, ce sont les plus fantastiques au niveau des hauteurs. Le choix de construction est extraordinaire », nous explique Khalid Alayoud.

La Direction du patrimoine culturel abonde dans ce sens et précise, en faisant référence aux historiens et aux archéologues, que le grenier de hauteur correspondrait à une phase évolutive des greniers collectifs, liée à l’amélioration du mode de vie qui s’est transformé de la transhumance à la sédentarité. Ce type de grenier possède invariablement une enceinte, une citerne, des ruchers, des cellules et des tours de surveillance.

Quant aux produits qu’on y stocke, notre interlocuteur précise qu’il s’agit notamment d’orge puisqu’on est dans une géographie montagneuse. S’y ajoutent les huiles, notamment l’huile d’olive - « jamais l’huile d’argan qui ne se conserve pas » -, le beurre fondu ou smen, les figues de barbarie séchées, des figues séchées et les légumes séchés tels que les carottes, les navets, les oignons ou encore le maïs. « Là où il y a l’agriculture, on stocke les produits qu’on cultive, grâce aux procédés de séchage. Les produits stockés sont alors utilisés pendant une longue période », indique Khalid Alayoud.

En plus des aliments, il y a aussi les écrits tels que les titres fonciers, les actes de mariage et parfois les droits coutumiers, inscrits dans le Louh, une tablette ou une planche en bois sur laquelle on écrit des lois et des règles strictes qui incluent des procédures et des sanctions pécuniaires relatives à toute violation d’honneur, au vol, au conflit ou à tout délit portant atteinte à la sécurité interne et externe de la tribu. « Les textes de loi inscrits sur les tablettes sont encore plus sacrés que ceux de la loi moderne. On ne peut ni les violer ni les changer. Tout ajout ou modification ne peuvent être faits qu’en présence de la communauté et de ses Inflas (conseil de sages). Le texte modifié est ensuite inscrit de la même façon que l’original auquel il est annexé. La communauté juge punissable toute infraction et insiste sévèrement sur l’application de la loi. Les communautés amazighophones ont choisi la langue arabe comme transcription scripturaire sur les planches Louh », lit-on dans le projet d’inscription des greniers collectifs au patrimoine mondial de l’Unesco.

Page scannée du Louh original de l’Agadir Inoumar. © Khalid Alayoud
Tablettes ou Louh. © Khalid Alayoud

Course contre la montre

Les Igoudar Ugulluy et Id Aissa sont toujours en très bon état, depuis leur restauration. « Et ils sont accessibles. On peut les visiter sur place. Ces deux greniers jouent un véritable rôle touristique dans la vallée d’Amtoudi », indique Khalid Alayoud.

Dans cette région de Guelmim, il y a également un autre type de grenier, Agadir n’Tkida ou grenier de plaine, qui a également été restauré. Rappelons que pour cette typologie, les greniers sont des bâtisses à couloir de forme quadrilatère, consolidées par quatre tours. Et en raison de leur accessibilité, on peut y réaliser d’importantes extensions.

« Le point fort de ce grenier de la commune Boutrouch à Sidi Ifni, ce sont les associations à proximité qui ont fait des greniers et des gravures rupestres un symbole. Leurs membres tissent des tapis avec des symboles des gravures rupestres. Aujourd’hui, ils ont une grande valeur, puisqu’ils marient savamment l’histoire, l’art et les nouvelles techniques de commercialisation. Et cela donne de belles choses », souligne notre interlocuteur. Il signale en revanche l’urgence de l’inscription des greniers au patrimoine mondial de l’Unesco. « Il faut le faire au plus vite. Si on tarde encore, d’autres pays peuvent nous devancer sur ce volet. Et ce serait regrettable. Certes, l’Algérie et la Tunisie ont également des greniers, mais pas comme ceux que nous avons ici au Maroc, que ce soit sur le plan quantitatif (550 greniers) ou qualitatif avec différentes typologies (de falaise, de hauteur, de plaine, de village ou grotte). Il faut donc accélérer le processus d’inscription. »

Pour rappel, le projet d’inscription des greniers collectifs au patrimoine mondial de l’Unesco a été lancé en avril 2021 par le ministère de la Culture. Le processus devrait aboutir en 2025 ou 2026.

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