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Au Sahara, le mystère des géoglyphes

Les géoglyphes qui parsèment le sud du Maroc offrent aux archéologues un objet d’étude fascinant et une série d’énigmes que seules des campagnes de fouilles pourraient, en partie, élucider. Aïcha Oujaa, paléoanthropologue et spécialiste de l’archéologie funéraire et préhistorique nous donne quelques clés de compréhension.

À Aousserd, la paléoanthropologue et l’archéologue, Aïcha Oujaa

Au Sahara, le mystère des géoglyphes

Le 21 juillet 2022 à 9h41

Modifié 21 juillet 2022 à 9h41

Les géoglyphes qui parsèment le sud du Maroc offrent aux archéologues un objet d’étude fascinant et une série d’énigmes que seules des campagnes de fouilles pourraient, en partie, élucider. Aïcha Oujaa, paléoanthropologue et spécialiste de l’archéologie funéraire et préhistorique nous donne quelques clés de compréhension.

Et non, ce n’est pas l’œuvre de lointains extraterrestres. Avancer timidement cette hypothèse assez répandue, selon laquelle les géoglyphes seraient le fait de verdâtres créatures venues de Mars ou d’ailleurs, fait sourire Aïcha Oujaa, grande spécialiste des monuments funéraires.

« Non, non, non. Pas du tout. C’est humain, c’est anthropique. Ces géoglyphes ont été intentionnellement construits par les populations qui ont vécu ou qui passaient dans la région », rectifie l’archéologue, également enseignante à l'Institut national des sciences de l'archéologie et du patrimoine (INSAP) à Rabat.

Cette paléoanthropologue de formation connaît parfaitement ces zones désertiques. De 2014 à 2017, elle a coordonné, entre autres, le projet « Atlas du patrimoine culturel et naturel de la province d’Aousserd », dont font partie les monuments funéraires.

Rappelons d’abord que dans le monde, les plus célèbres géoglyphes se trouvent dans la province désertique de Nazca, au Pérou. Représentations d'animaux ou simples lignes sur plusieurs kilomètres, ils fascinent et interrogent les archéologues depuis près d’un siècle. Ces géoglyphes entraînent périodiquement certains « experts » dans des théories aussi délirantes les unes que les autres, comme celles en lien avec d’autres formes de vie intergalactiques.

En archéologie, un géoglyphe est un grand dessin ou un ensemble de lignes à même le sol. Ils sont parfois réalisés sur plusieurs kilomètres. Les géoglyphes peuvent être tracés en positif par entassement de pierres ou au contraire, en négatif, par leur soustraction.

Aicha Oujaa, professeure à l’Institut national des sciences de l'archéologie et du patrimoine (INSAP).

Le mystère reste entier

Les géoglyphes du Maroc sont certes moins célèbres que ceux de Nazca… pour l’instant. Ils sont également situés en plein désert. Les plus connus se trouvent à Tan-Tan, plus précisément à oued Chbika.

« L’année dernière, en essayant de visualiser par Google Earth le Moyen Atlas - parce qu’on a un programme là-bas -, je me suis rendu compte qu’il en existait. Ils ne sont pas aussi impressionnants que ceux de oued Chbika, mais ils existent aussi dans la région de Missour. Les mêmes. Exactement la même architecture. Et en 2017, on en a trouvé dans la région de Dakhla-Oued Eddahab, notamment dans la province d’Aousserd », nous confie Aïcha Oujaa.

Cela signifie-t-il qu'un même groupe d’individus itinérants les auraient bâtis ? Aucune piste ne confirme à ce jour cette thèse.

Ce qui est certain, en revanche, c’est qu’après le néolithique, les hommes sont devenus plus nomades. La paléoanthropologue nous décrit ce changement de mode de vie. « Pendant le néolithique, ils ont commencé à domestiquer les animaux et à faire de l’agriculture. Ils sont donc devenus un peu sédentaires. Une fois leurs troupeaux devenus plus importants, à ce moment-là, pour trouver d’autres prairies, ils ont à nouveau commencé à se déplacer. C’est comme cela, en cherchant les prairies, ils se déplaçaient pour aller vers des endroits de plus en plus éloignés, diversifiés. Et quand un des leurs décédait en route, il fallait l’enterrer. Il faut savoir que plus le monument est important, plus il s’agit d’une personnalité importante dans le groupe social. »

Les dessous de la terre

L’autre question qui se pose a trait à l'intention sous-jacente. La professeure à l’Insap avance qu’il s'agirait de monuments funéraires, qui ne sont pas très anciens. Plutôt de la période préislamique. « Il existe déjà des monuments funéraires qui sont nettement plus anciens, datant de la fin du néolithique, c’est-à-dire entre 7.000 et 1.200 ans av. J.-C. (Lire aussi "Aïcha Oujaa : la richesse et la diversité des monuments funéraires à Aousserd nous impressionnent"). Alors que ceux qu’on appelle monuments à antennes sont assez particuliers. Ils ont une architecture faite à l’horizontale. Et ils sont construits en petites pierres, mais à plat, un peu comme s’ils avaient été dallés », soutient-elle.

Les géoglyphes sont surtout célèbres pour la large surface qu’ils occupent, assurant ainsi un maximum d’effet. Ces monuments du Sud peuvent atteindre jusqu’à 125 mètres par « antenne ». Selon l’Encyclopédie berbère de 1988, les archéologues donnent le nom de « monument à antennes » à des structures étroites et allongées, des sortes de bras qui prolongent ou précèdent certains monuments protohistoriques en pierre sèche. Soit parce qu’elles y ont été mieux conservées, soit parce qu’il s’agit d’un fait culturel. Les antennes sont surtout connues au Sahara.

Pour l’instant, ces géoglyphes du Sud n’ont jamais été étudiés. « On a un programme de fouilles qui va débuter à l’automne prochain où l'on va essayer de fouiller un certain nombre de ces monuments. On va commencer par ceux de Tan-Tan, puis ceux de la région Oued Eddahab », nous révèle la paléanthropologue. Ces géoglyphes sont donc encore intacts. Car il faut savoir que s’ils sont construits à plat, l'architecture principale serait cachée sous terre. Et c’est cette partie souterraine qui intéresse davantage les spécialistes des monuments funéraires.

Salutation au soleil

Si l’antenne est une des ailes du géoglyphe, il y a aussi ce qu’on appelle le « corps ». Il s’agit de l’angle fermé de l’architecture du monument qui est, elle, beaucoup plus sombre. Disons que c’est la partie centrale.

« Parfois, une antenne peut faire beaucoup plus que 125 mètres. Alors, si l’on rajoute le corps qui doit faire autour de 60 mètres, ça nous donne une superficie globale de 20.000 m2. Généralement, la chambre funéraire est située à l’endroit du corps du monument funéraire, sous terre », indique Aïcha Oujaa. Une des nombreuses énigmes posées aux archéologues concerne la construction des antennes, sachant que le « corps » de l’architecture aurait suffi pour inhumer le défunt. À cette question et plein d’autres, les prochaines fouilles donneront peut-être des clés de compréhension.

On retient alors qu’un géoglyphe, au-delà de son architecture extérieure qui peut paraître intrigante, est avant tout une sépulture. Petite précision de Aïcha Oujaa : l’ouverture des antennes de ces géoglyphes est orientée vers l’est. Pourquoi ? Le lever du soleil, évidemment ! « Pour tous les monuments funéraires qui ont une structure ou une forme annexe, cette structure est orientée côté est. »

Comme un boomerang

Les géoglyphes à antennes, dont certaines sont en forme de « V », font penser à des boomerangs. À d’autres, cela fait penser davantage à un ovni, d’où la profusion de théories farfelues autour des extraterrestres. À cela l’archéologue répond avec la prudence des scientifiques : « Les boomerangs n’ont généralement pas d’angles pointus comme c’est le cas des monuments à antennes. En fait, on ne sait pas. On ne pourra pas répondre tant qu’on n’en aura pas fouillé un ou deux. »

Aïcha Oujaa souligne que « la bonne question à se poser est : 'Comment un peuple qui n’avait aucune visibilité aérienne pouvait construire des monuments avec une telle précision, des lignes vraiment droites ?' C’est incroyable. C’est le même type de figurations et d’architecture que chez les Mayas. Des formes extrêmement grandes, construites sans visibilité en altitude ». Cela démontre une grande capacité à se placer symboliquement à différents points de vue. Peut-être même à se dire que c’est le ciel qui est le principal spectateur...

Depuis, on a eu recours aux satellites et, plus récemment encore, aux drones. Mais on ne s'explique toujours pas comment ces hommes opéraient sur le plan technique pour réaliser des monuments aussi précis, sur des surfaces de cette importance. Cela ne saurait être l’œuvre d’une seule personne. Si Aïcha Oujaa pense qu'il s'agit nécessairement d'un travail de groupe, elle admet que « ces monuments sont toujours un mystère pour nous ». Et en attendant de l’élucider en partie, ces géoglyphes continuent de se tourner chaque jour vers le soleil. Vers cet éternel et unique témoin, hélas mutique, des circonstances énigmatiques de leur conception.

Boomerangs d'AssaZag

28°30'12.0"N 9°16'22.0"W

https://www.google.com/maps/@28.5032133,-9.2756243,794m/data=!3m1!1e3!5m1!1e4

Boomerang de Tata

29°08'50.0"N 7°59'23.0"W

https://www.google.com/maps/place/29°08'50.0%22N+7°59'23.0%22W/@29.1487331,-7.9888585,409m/data=!3m1!1e3!4m5!3m4!1s0x0:0x8bcb6813d19c73e8!8m2!3d29.1472222!4d-7.9897222!5m1!1e4

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