Une fausse bonne idée : un barrage pour fermer le détroit de Gibraltar
Multiplié par le réchauffement climatique, le risque d'inondations côtières fait remonter à la surface l’idée d’un immense barrage reliant l’Europe et l’Afrique via le détroit de Gibraltar. Mais la face du monde en serait tellement impactée et modifiée que, pour les experts, ce n’est qu’une fausse bonne idée.
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Chady Chaabi
Le 12 avril 2022 à 16h45
Modifié 12 avril 2022 à 17h55Multiplié par le réchauffement climatique, le risque d'inondations côtières fait remonter à la surface l’idée d’un immense barrage reliant l’Europe et l’Afrique via le détroit de Gibraltar. Mais la face du monde en serait tellement impactée et modifiée que, pour les experts, ce n’est qu’une fausse bonne idée.
Du point de vue de certains spécialistes, l’idée d’un barrage dans le détroit de Gibraltar, reliant l’Afrique à l’Europe, n’est pas une solution pour protéger les côtes méditerranéennes de la montée des eaux. Pour d’autres, un tel projet sonnerait le glas de la biodiversité du pourtour méditerranéen, et même au-delà. Tous s’accordent à dire que l'humanité y a plus à perdre qu’à gagner.
Le barrage hydroélectrique de 35 km de long et 300 mètres de haut dans le détroit de Gibraltar, imaginé en 1928 par l’ingénieur allemand Herman Sörgel, poursuivait l’idéal d’un monde pacifié à travers l’existence de trois continents équilibrés : l’Amérique, l’Asie et l’Atlantropa.
Dans l’imaginaire de Herman Sörgel, le continent de l’Atlantropa résulterait de l'assèchement de la Méditerranée. Supérieur à la superficie d’un pays comme la France, il se déploierait sur plus de 600.000 km2 de terre exploitable, à la suite d'une baisse du niveau des eaux allant de 100 à 200 mètres.
Une baisse qui serait la conséquence d’une fermeture de la Méditerranée, à travers un barrage dans le détroit de Gibraltar, et un second pour clore le détroit des Dardanelles entre la mer Égée et la mer de Marmara. Sans oublier un troisième édifice, beaucoup moins imposant, sur le fleuve Congo.
Si ce projet a récemment été ressorti des oubliettes, c’est pour protéger les côtes méditerranéennes contre la montée du niveau des mers. Préoccupé par ce sujet, le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec) a prévenu dans son dernier rapport : “Si nos émissions de gaz à effet de serre se poursuivent à ce rythme, les dégâts provoqués par les inondations côtières risquent d’être multipliés par dix à la fin du XXIe siècle.”
Également conçu pour développer une source d’énergie alternative en s’appuyant sur l’énergie des courants de surface qui circulent entre l’océan Atlantique et la Méditerranée, le barrage hydroélectrique du détroit de Gibraltar ne serait pas une mince affaire.
Un barrage instable à cause de la tectonique des plaques
“Le projet est techniquement faisable. Nous sommes dans une époque où la technologie a atteint des sommets, comme le prouve le spectaculaire pont-tunnel entre la Suède et le Danemark”, assure à Médias24, Ismail Bouidran, ingénieur civil.
Et de nuancer, “cependant, il peut y avoir des contraintes géologiques de taille, et notamment la tectonique des plaques qui pourrait menacer la stabilité du barrage”. “Un tel projet comporte effectivement des risques en termes de durée de vie et de stabilité des ouvrages,” corrobore Nacer Jabour.
Le chef de division à l'Institut national de géophysique (ING) évoque notamment l'aléa sismique et les tsunamis : “Un grand tremblement de terre dans l'Atlantique peut réduire toutes les installations à néant.”
Grande menace sur la biodiversité
Pour Mohammed Said Karrouk, climatologue et professeur universitaire, ce projet symbolise “une ingénierie folle qui risque de faire disparaître la Méditerranée et sera la plus grande catastrophe jamais vécue par l’humanité”.
“Cette ingénierie ne doit pas être permise puisqu’elle détruirait tous les systèmes écologiques méditerranéens, ainsi que l’ensemble des systèmes économiques et politiques des pays méditerranéens.”
“Les impacts positifs du projet sont certains, mais sa réalisation produirait des effets négatifs sur le milieu biologique et principalement la faune aquatique”, appuie un ingénieur paysagiste.
“Le changement du débit d'eau impactera inévitablement la biodiversité”, précise Ismail Bouidran. Car modifier le débit d’eau, c’est l’assurance de perturber les courants et la salinité de l’eau.
Il y a donc tout intérêt à laisser des ouvertures afin de garder une communication de la biodiversité entre la Méditerranée et l’Atlantique. Tout en laissant passer suffisamment d’eau pour compenser l’évaporation naturelle.
Mais est-on vraiment sûr que le barrage atteindra son objectif, à savoir stopper la montée des eaux ? “L'assèchement de la Méditerranée ne provoquera-t-il pas une montée des eaux dans d’autres littoraux ?”, s’interroge Ismail Bouidran. “Selon moi, c’est inévitable.”
Abdelkrim El Majoudi va dans le même sens, estimant que ce projet symbolise une tendance qui consiste à traiter les symptômes, et non les causes. “Tant que les causes existent, le problème ne sera jamais résolu,” conclut le chef de la Division de la conservation des eaux et des sols et de la protection des forêts.
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