Activité sismique à Al Hoceima : “La multiplication des secousses n’est pas inquiétante” (expert)

Après la survenue, ce mercredi 5 janvier, d’une nouvelle secousse à Al Hoceima d’une magnitude de 4,4 sur l’échelle de Richter, Médias24 a interrogé le sismologue Nacer Jabour sur les risques posés par la recrudescence de l’activité sismique dans une région qui a déjà connu deux catastrophes meurtrières. Réponses.

Activité sismique à Al Hoceima : “La multiplication des secousses n’est pas inquiétante” (expert)

Le 6 janvier 2022 à 10h46

Modifié 6 janvier 2022 à 11h12

Après la survenue, ce mercredi 5 janvier, d’une nouvelle secousse à Al Hoceima d’une magnitude de 4,4 sur l’échelle de Richter, Médias24 a interrogé le sismologue Nacer Jabour sur les risques posés par la recrudescence de l’activité sismique dans une région qui a déjà connu deux catastrophes meurtrières. Réponses.

Médias24 : Depuis quelques semaines, il y a une activité sismique croissante dans la région d’Al Hoceima. Faut-il s'inquiéter pour l'avenir, sachant que la dernière a eu lieu ce matin à 10 heures ?

Nacer Jabour : Le suivi de l'activité sismique des dernières semaines de décembre montre en effet une croissance des secousses sur la terre ferme à Al Hoceima, mais en réalité l’essentiel se passe en offshore au large de la province de Driouech.

Ce phénomène n'a rien d'inquiétant, car les magnitudes ressenties des mini-séismes varient de quelques degrés à 4,4, comme celle qui a été enregistrée ce matin [mercredi] vers 10 heures dans la province de Driouech.

Ces secousses sont tout à fait normales et montrent simplement que le phénomène de réactivation des failles continue, et devrait se poursuivre encore pendant un moment. À ce jour, nous n’avons constaté aucune baisse, mais une migration des foyers sismiques parfois vers les localités sur la terre ferme et, plus souvent, au large des côtes terrestres.

En effet, il y a beaucoup plus d’événements sismiques dans la mer, mais qui ne sont pas ressentis par la population.

- Certains sismologues affirment que la multiplication des secousses telluriques sont salutaires pour libérer l'énergie souterraine et éviter des tremblements de terre meurtriers. Est-ce que c'est le cas ?

- Non, ce n'est pas le cas de la région d’Al Hoceima où on assiste plutôt à un phénomène appelé essaim sismique, à l’image d’un essaim de criquets qui s'attaquent à une récolte. C'est un groupe de chocs qui vient sans entraîner d’événement majeur comme un séisme.

En fait, ce phénomène devrait se poursuivre dans le temps, et nous n'avons pour l'instant aucun indicateur qui nous permette de mesurer la fin de ce cycle.

- Pourquoi cette multiplication de secousses dans la région et pas ailleurs au Maroc ?

- La géologie conditionne la manifestation des tremblements de terre, et c’est simplement une zone de contact des plaques africaine et eurasienne, sans qu'il y ait toutefois d'événements majeurs.

De plus, cette zone actuelle de contact des plaques africaine et eurasienne a connu une grande activité volcanique dans un passé lointain.

- Des siècles ou des millénaires ?

- Le passé géologique de cette zone date plutôt de plusieurs millions d'années. Il subsiste encore des poches chaudes volcaniques avec des remontées de matières bouillantes des profondeurs terrestres, auxquelles il faut ajouter des failles géologiques qui donnent à l’arrivée ces fameux phénomènes d’essaim sismique.

- Comment faut-il donc interpréter la multiplication des secousses même si elles sont de faible intensité ?

- Cela signifie simplement qu’il existe une structure géologique qui est hétérogène.

- Et en termes plus profanes ?

- Que les structures géologiques ou terrestres juxtaposées ne sont pas de même nature.

- Alors à partir de quel moment faudra-t-il vraiment s'inquiéter ?

- Pour les sismologues, il faut observer la tendance générale pour surveiller les moyennes quotidiennes et voir s'il y a une tendance à la baisse, à la stagnation ou à la hausse du taux de sismicité des secousses.

- Sachant que cette région enregistre deux à trois secousses par jour, quel chiffre devra sonner l’alarme ?

- Si nous avons deux ou trois secousses ressenties par jour, en réalité il y en a au moins une trentaine qui sont détectées, mais pas ressenties par la population, et c'est cette moyenne qu'il faudra suivre et surveiller.

- Faut-il s'inquiéter au-delà de trente secousses par jour ?

- Non, car nous avons déjà enregistré, il y a quelques mois, une quarantaine voire une cinquantaine de secousses quotidiennes qui ont fini par décroître avant de revenir.

Pour arriver à un stade d'alerte, il faut attendre que le changement soit net et sur une longue durée. Tant que nous n’avons pas observé une hausse très importante du taux quotidien de sismicité sur plusieurs semaines, on ne peut pas être fixé sur le danger réel de la zone.

Pour répondre à votre question, il faut dépasser les cent secousses par jour pendant au moins trois mois pour s'inquiéter et conclure que des structures majeures entrent en jeu et peuvent provoquer un séisme important.

- Comment prévenir un grand séisme ?

- À notre niveau, si nos stations GPS montrent des déformations importantes de la croûte terrestre, de l’ordre de plus d’un centimètre, cela peut être le signal d’un séisme imminent.

- Dans ce cas, que faut-il faire, alerter la population ?

- Ce n'est pas notre rôle mais celui des autorités, car la mission des sismologues est de leur donner des informations fiables sur l’évolution d’un phénomène sismique.

- Aujourd'hui, malgré la multiplication des secousses sismiques dans la région d'Al Hoceima, est-on encore loin d’un scénario catastrophe comme ceux de 1994 et 2004 ?

- Absolument, car nous sommes très loin d'avoir atteint un chiffre quotidien de cent secousses.

- Les sismologues n'ont pourtant pas été en mesure de prévoir les deux grands séismes d'Al Hoceima ?

- La situation était totalement différente, car ce n'était pas ce que l'on observe aujourd'hui, à savoir un ensemble de petits tremblements de terre sans événement majeur.

En effet, il y a une différence fondamentale entre un essaim sismique et une crise sismique, qui commence par quelques dizaines de chocs précurseurs et, enfin, un choc majeur qui avoisine ou dépasse les 6 degrés sur l’échelle de Richter, et des milliers de répliques ensuite.

- Vous voulez dire qu’une crise sismique est par essence imprévisible...

- Absolument. Et c'est la raison pour laquelle nos laboratoires multiplient les expériences de prédiction et contrôlent tous les champs de contrainte magnétique, les changements du niveau de l’eau dans les puits, les déformations de la croûte terrestre et d’autres techniques.

Mais, pour l’instant, il est impossible d’annoncer à l’avance l’occurrence d’un séisme majeur. En effet, les chocs précurseurs qui sont isolés dans le temps n’ont pas la même signature que les essaims sismiques.

- Alors que font exactement vos stations de veille pour prévenir une activité sismique majeure ?

- L’institut national de géophysique a mis en place un réseau de stations au niveau national.

Elles sont une trentaine à surveiller l’activité sismique 24 heures sur 24, et au cas où l'on soupçonne un événement imminent, nos équipes se rendent sur place.

Dans la région d’Al Hoceima, il y a plusieurs stations autonomes qui disposent de capteurs sismiques, qui envoient par satellite et en temps réel à Rabat toutes les données nécessaires.

- Y a-t-il d’autres régions à risque qui nécessitent une surveillance permanente ?

- Oui, et cela s’explique par le fait que l’histoire de la sismicité au Maroc nous signale des tremblements de terre très anciens disséminés sur l’ensemble du territoire national.

- Tout le Maroc est donc sujet à des risque de séismes importants...

- En effet, on se rend compte que, depuis plusieurs siècles, aucune région n’a été vraiment épargnée avec des séismes parfois très meurtriers sur des villes comme Meknès, Fès…

Ces villes n’ont cependant pas été rasées comme dans le cas du grand tremblement de terre d’Agadir, qui est le pire jamais connu par le Maroc.

- Comment expliquez-vous la gravité de ce séisme par rapport à ceux d’Al Hoceima ?

- Tout simplement parce que le foyer de la faille était situé sous la ville et pas dans ses environs.

- Pourtant Agadir est très éloignée de la plaque eurasienne avec laquelle il y a des chocs...

- La ville est en effet éloignée de la zone de contact des deux plaques, mais les déformations antérieures arrivent à traverser des distances de plusieurs centaines de kilomètres.

En fait, le pire qu’il puisse arriver est d’avoir un foyer situé sous une zone de peuplement.

- Cela peut donc se reproduire et Agadir ne serait pas à l’abri d’un nouveau méga-séisme...

- Ce n’est pas exclu, car la faille est toujours sous la ville, et c’est la raison pour laquelle les autorités se préparent à un tel événement.

- De quelle manière ?

- Un plan de réduction des risques a été établi, qui passe par la construction immobilière avec des techniques anti-sismiques et qui évite des zones identifiées avec un plan d’occupation du sol.

Nous nous approchons de plus en plus des normes de sécurité antisismique du Japon, de la Nouvelle Zélande ou de la Californie, qui sont des zones à grands risques avec des tremblements de terre qui dépassent parfois les 7 degrés sur l’échelle de Richter.

Il est évident que nous ne pouvons pas agir face aux aléas ou aux menaces sismiques, ni les réduire.

La seule possibilité est de réduire le risque sismique, et donc les dégâts humains et matériels, grâce à un travail de prévention dans les zones à risque, via des interdictions de construire, des normes antisismiques, la sensibilisation des populations...

- À terme, pensez-vous arriver à détecter ces fameux aléas sismiques imprévisibles, ou alors la nature aura-t-elle toujours le dessus ?

- Depuis le tremblement de terre d’Agadir, le Maroc a fait d’énormes progrès en termes de surveillance et de système de construction, avec un parc immobilier neuf ou récent qui prévaut sur les anciens bâtiments.

C’est la raison pour laquelle, à Dieu ne plaise, le même séisme aujourd’hui ferait beaucoup moins de victimes humaines et de dégâts matériels.

Cela dit, peut-être que dans les prochaines décennies nous arriverons à disposer d’un outil sismique ultra perfectionné qui permettra de sonner l’alerte plus rapidement qu’aujourd’hui, mais en étant réaliste, ce système de prédiction sismique n’est pas pour demain…

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