Les pédopsychiatres inquiets de la forte hausse des hospitalisations des enfants

Le service de pédopsychiatrie du CHU Ibn Rochd de Casablanca voit arriver un nombre particulièrement élevé d’enfants et d’adolescents qui présentent des risques suicidaires, voire ont déjà tenté de mettre fin à leurs jours au moins une fois. Les pédopsychiatres du privé confirment cette tendance.

Les pédopsychiatres inquiets de la forte hausse des hospitalisations des enfants

Le 15 décembre 2020 à 14h41

Modifié 11 avril 2021 à 2h49

Le service de pédopsychiatrie du CHU Ibn Rochd de Casablanca voit arriver un nombre particulièrement élevé d’enfants et d’adolescents qui présentent des risques suicidaires, voire ont déjà tenté de mettre fin à leurs jours au moins une fois. Les pédopsychiatres du privé confirment cette tendance.

Les pédopsychiatres ne cachent pas leurs inquiétudes face aux conséquences psychologiques du confinement et, plus largement, de l’atmosphère anxiogène qui règne depuis l’apparition, en mars dernier, de la crise sanitaire liée à la pandémie de Covid-19. Six mois après le déconfinement, les pédopsychiatres contactés par Médias24 font état d’une recrudescence du nombre d’enfants et d’adolescents qui présentent d’importants troubles anxio-dépressifs. Recrudescence qui, malgré la mise en place du modèle de l’enseignement hybride (moitié présentiel, moitié distanciel), ne faiblit pas.

Ghizlane Benjelloun, pédopsychiatre et responsable du service de pédopsychiatrie de l’hôpital pour enfants au Centre hospitalier universitaire (CHU) Ibn Rochd de Casablanca, se dit ''effarée'' par la forte hausse des hospitalisations d’enfants et d’adolescents. ''On est face à une hécatombe, vraiment. On constate depuis le déconfinement un nombre incroyable de tentatives de suicide et de dépressions. Les angoisses et les violences ont été démultipliées. Les pédopsychiatres sont très, très alarmés'', dit-elle.

D’après les données statistiques qu’elle a établies concernant l’unité de pédopsychiatrie qu’elle dirige, le nombre de tentatives de suicide chez les enfants, observées entre l’âge de neuf et dix ans, a été multipliée par trois sur l’année 2020 par rapport à l’année 2019, contre une multiplication par cinq chez les adolescents, à partir de l’âge de 13 ans et jusqu’à 17 ans environ. ''Depuis dix ans que je dirige ce service, c’est la première fois que je vois des chiffres pareils. Je recense encore un nombre hebdomadaire de tentatives de suicide effarant, aussi bien dans le public que dans le privé. Certains adolescents que je suis sont allés jusqu’à trois tentatives de suicide en une semaine. Beaucoup ont tenté de se pendre ou de s’étrangler, alors que c’est plutôt rare habituellement ; d’autres d’injecter des médicaments, et d’autres encore sont arrivés avec des brûlures assez graves. Actuellement, je suis sept adolescents suicidaires. D’habitude, j’ai effectivement des jeunes très angoissés et dépressifs mais, sur un groupe de six ou sept, je n’en ai généralement qu’un seul qui a fait une tentative. Là, ce sont tous les adolescents du groupe qui ont tenté au moins une fois de mettre fin à leurs jours, voire en sont au point de planifier des suicides collectifs ou de se passer des méthodes entre eux. On est sous l’eau, alarmés et alarmistes. J’étais déjà alarmiste en mars mais je ne pensais pas avoir raison à ce point. Dans le privé, mes collègues me rejoignent.''

Les pédopsychiatres du privé dressent le même constat

Effectivement, plusieurs pédopsychiatres du secteur privé disent recevoir des enfants et adolescents qui présentent de grandes fragilités psychologiques, qui étaient déjà latentes avant la survenue de la crise sanitaire et ont été grandement exacerbées depuis le confinement. ''L’impression clinique que j’ai, c’est qu’il y a beaucoup plus de formes graves d’états dépressifs chez les adolescents, dès l’âge de 15 ans environ, qui se manifestent notamment par des idées suicidaires. Il y a une prévalence plus importante, mais souvent chez des enfants dont les vulnérabilités, palpables avant même le confinement, ont été renforcés durant cette période'', observe Bahia El Ouazzani.

Sans être en mesure d’avancer des chiffres précis, Nawal Khamlichi, pédopsychiatre et présidente de la Société marocaine de pédopsychiatrie, assure ''voire plus d’enfants qui présentent des risques de passage à l’acte, notamment des jeunes qui se scarifient et retournent contre eux une agressivité qu’ils ne savent plus comment évacuer''. Les symptômes de la dépression se présentent sous la forme d’une grande tristesse, de troubles du comportement, du sommeil, de la concentration et de l’attention, de pensées suicidaires, d’isolement et d’anhédonie, c’est-à-dire d’une inaptitude à ressentir du plaisir, notamment par rapport à des expériences qui, dans le passé, étaient au contraire des sources de plaisir. ''Ce sont pour beaucoup des jeunes qui s’isolent dans leur chambre et ne veulent plus sortir. Ils sont surexposés aux écrans, et parfois en situation de décrochage scolaire'', précise Nawal Khamlichi. Sa consœur Zineb Iraqi dit elle aussi avoir ''vu augmenter le nombre de dépression chez les adolescents ou préadolescents, de surcroît à des âges précoces, dès onze ou douze ans''.

Plus inquiétant encore, Ghizlane Benjelloun constate des formes dépressives chez les nourrissons : ''Certains sont nés dans un contexte familial très anxiogène, avec des mères très angoissées, voire dépressives. Ils absorbent toutes les émotions de leur environnement comme des éponges. Ces nourrissons développement des retards de développement ou des troubles du comportement alimentaire.''

Un contexte social anxiogène qui s’éternise et favorise l’apparition de troubles

On aura donc bien compris que le confinement a eu un impact psychologique très néfaste sur la santé mentale, en l’occurrence celle des plus jeunes, mais ces trois mois passés strictement cloîtrés dans les foyers n’expliquent pas eux seuls les épisodes dépressifs que traversent actuellement certains enfants et adolescents. ''Je dirais que ce sont les conséquences collatérales du confinement. Les adolescents en particulier se reconnaissent à travers le groupe, or depuis huit mois ils ont beaucoup moins de possibilités de sortir en groupe. On ne va pas se leurrer : leur quotidien n’est pas encore revenu à la normale'', soutient Zineb Iraqi.

La mise en place du modèle d’enseignement hybride n’a-t-elle pourtant pas permis un retour partiel à la vie sociale ? ''L’école n’est pas vécue comme avant : elle est vécue dans la peur, perçue comme un environnement risqué, propice aux contaminations. Beaucoup y vont avec la peur, non pas tant de contracter le virus, mais de contaminer leur entourage familial'', répond Zineb Iraqi. Et d’ajouter : ''Le confinement a aussi généré des retards de diagnostic et un accès difficile aux soins. Les familles ont pensé qu’il n’était pas forcément nécessaire, ou du moins pas urgent, d’emmener leurs enfants en consultation, ce qui explique en partie les formes sévères d’anxiété que nous constatons aujourd’hui.''

''Le retour à l’école a permis une resocialisation, mais dans une certaine proportion, abonde Ghizlane Benjelloun. Il y a des effets conjugués : le confinement bien sûr, mais aussi l’atmosphère familiale marquée par des dynamiques dysfonctionnelles en raison des épreuves que traversent aussi les parents. Eux-mêmes ne sont pas disponibles psychiquement pour apaiser les angoisses de leurs enfants car ils ont aussi les leur à gérer et qui, parfois, les dépassent. Beaucoup de familles vont mal ; les violences intrafamiliales – que nous remarquons également dans notre pratique – en témoignent. Un enfant n’existe jamais seul : il évolue dans un environnement qui peut exacerber ses fragilités. On constate des terrains de grande fragilité mais qui, auparavant, trouvaient des exutoires à travers les activités extrascolaires, le fait de pouvoir sortir sans crainte... Or le manque d’exutoires, lié au contexte actuel, les amènent à retourner cette agressivité contre eux.''

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