Déductibilité des dons Covid-19 : l’article 247 bis rétabli par la Chambre des conseillers

Mehdi Michbal | Le 17/7/2020 à 17:23

Véritable coup de théâtre : supprimé par la première Chambre, l’article instituant la déductibilité des dons au fonds Covid-19 a été réintégré au projet de loi de finances rectificative par la Chambre des conseillers, avec une toute petite modification. Récit d’un coup de force orchestré par le patronat avec le soutien du ministre des Finances.

Nouveau rebondissement dans le sujet de la déductibilité fiscale des dons faits au fonds anti-covid. Après avoir été supprimé totalement par la chambre des représentants, à l’unanimité des voix, l’article 247 bis refait surface et est désormais réintégré dans le PLFR dans sa version votée en commission par la chambre des conseillers. Une toute petite modification y a été toutefois apporté : on ne parle plus de dons faits au fonds anti-Covid, mais de dons accordés à l’Etat. Ce qui revient à peu près au même, car ce fonds est une émanation de l’Etat.

Pour y arriver, beaucoup de choses se sont jouées dans les coulisses.

Amendement négocié entre le gouvernement et la commission des Finances

Officiellement, la CGEM a déposé un amendement très simple : la réintégration de l’article 247 bis tel qu’il a été présenté dans la première mouture du PLFR. Cet amendement a été rejeté par l’ensemble des membres de la commission des Finances, selon le rapport de la séance consulté par Médias24.

Mais la nouvelle formulation qui a été votée a été présentée, comme le montre le rapport des travaux de la commission, par le gouvernement et la commission des Finances, dans une sorte de consensus négocié dans les coulisses. Résultat : l’amendement a été voté par 11 voix, contre 4 abstentions. Aucun des conseillers de la commission n’a voté contre l’amendement.

Le plus intriguant, c’est que jusqu’à aujourd’hui, personne ne parle de la réintégration de l’article 247 bis. Nos sources de la CGEM comme ceux de la commission nous parlaient hier et aujourd’hui encore d’un amendement porté à l’article 10 du Code Général des Impôts, qui visait à rajouter les dons faits à l’Etat à la liste des dons éligibles à la déduction fiscale. Comme si personne ne voulait assumer politiquement la réintégration de l’article 247 bis.

«Il y avait des discussions autour de l’article 10 du CGI en effet. Mais c’était une carte que la CGEM gardait au cas où l’article 247 bis ne passait pas », nous dit une source proche du dossier.

Une source de la CGEM nous confirme en effet que cette option de l’article 10 était sur la table, mais qu’elle n’a pas été acceptée par l’ensemble des groupes de la commission. « On a considéré que si on amendait l’article 10, la déductibilité serait acquise ad vitam aeternam. Un équilibre a été donc trouvé pour revenir à la version initiale de l’article 247 bis, en mettant les dons accordés à l’Etat de manière plus générale plutôt que le fonds anti Covid-19 », confie notre source.

Une version qui ne nous a pas été communiquée hier lors de la rédaction de nos articles sur le sujet, nos sources nous ayant annoncé que toute la stratégie de la CGEM reposait sur l’amendement de l’article 10 du CGI. Comme dans un jeu de poker, la CGEM n’a donc pas dévoilé toutes ses cartes, ni au Parlement, ni aux journalistes… C'est ce qu'on appelle "un coup de bluff"...

La volte-face des partis politiques

Reste alors une question : si l’article 247 bis a été supprimé à l’unanimité à la première chambre, opposition et majorité comprise, comment se fait-il que ces mêmes partis acceptent quelques jours plus tard sa réintégration ? Comment s’explique cette volte-face politique ?

Président de la commission des Finances, Rahhal Mekkaoui, qui représente l’Istiqlal, parti de l’opposition à l’origine de la suppression de l’article 247 bis à la première Chambre, nous explique qu’il n’y a aucune contradiction entre ce qui a été fait par les groupes parlementaires de la première chambre et ceux de la seconde chambre, puisque le principe de non déductibilité des dons faits au fonds anti-Covid a été maintenue.

« La déductibilité votée par la commission des Finances ne concerne que les dons futurs et pas ceux faits au fonds Covid-19. C’est la formule sur laquelle on s’est mis tous d’accord avec le ministre des Finances et sur laquelle on a voté. Les choses étaient très claires », nous dit-il, ajoutant que de toutes les façons, « la loi n’est pas rétroactive ».

« Nous avons été à la première Chambre à l’initiative de la suppression de la déductibilité. On ne peut pas changer d’avis en 3 jours en rétablissant un principe auquel on est opposé. La formule sur laquelle on a voté précisait clairement que la déductibilité ne s’appliquera qu’aux dons futurs », précise Rahhal Mekkaoui.

Autrement dit, les partis de l’opposition (PI et PAM), les syndicats ainsi que les autres groupes parlementaires de la deuxième chambre (sauf celui du PJD qui s’est abstenu de voter cet amendement selon nos sources) ont accepté de réintégrer l’article 247 bis, sous prétexte qu’il ne sera pas appliqué aux dons faits avant la promulgation du PLFR.

Une interprétation qui n’est pas celle de la CGEM, qui a crié victoire dès le vote en commission, hier en fin de journée, par la voix de son Vice président Mehdi Tazi, qui a annoncé sur Twitter que l’amendement déposé par la CGEM a été accepté. Ce qui est factuellement faux, quand on lit le rapport officiel de la commission. Car sur la forme ce n’est pas l’amendement de la CGEM qui a été accepté, mais celui proposé conjointement par le gouvernement et la commission. Mais sur le fond, il faut bien admettre que la CGEM a obtenu la réintégration de la déductibilité fiscale, avec son étalement sur plusieurs années, comme formulé dans la première mouture du PLFR.

La balle chez les députés de la première chambre

Président du groupe parlementaire de la CGEM à la deuxième chambre, Abdelilah Hifdi a qualifié ce vote de « grand succès » lors d’une conférence de presse organisée ce matin par le patronat. Mais sans jamais parler de manière directe de réintégration de l’article 247 bis, comme si toutes les parties prenantes du dossier (opposition, majorité, patronat, gouvernement…) se sont données le mot pour ne pas évoquer frontalement le sujet.

Quant aux interprétations sur la rétroactivité, le patronat estime que c’est une question technique qui concerne le gouvernement : « le gouvernement s’est engagé en mars sur la déductibilité des dons et a prévu cette mesure dans son projet de loi de finances rectificative. Pour nous, celaa reste donc une question technique qui doit être traitée par le gouvernement », estime le vice président de la CGEM Mehdi Tazi.

Et de Hifdi de préciser que de toutes les façons, « on n'avait pas besoin de loi pour accéder à la déductibilité. Il y a déjà eu un communiqué de la DGI qui acte ce principe (…) Et il y a aujourd’hui un engagement du ministre des Finances pour accorder cette déductibilité ».

Mais la bataille pour la CGEM et le ministère des Finances, qui semblent faire front commun sur ce sujet, n’est pas encore gagnée. Car le texte doit retourner pour une dernière lecture à la première Chambre et les députés peuvent tout à fait supprimer encore une fois l’article 247 bis et saborder tout le travail de lobbying fait par le patronat au sein de la chambre des conseillers.

Les membres de la CGEM en sont conscients. « Nous n’avons en effet aucune assurance que la première Chambre retiendra cet amendement. Mais on fera tout le travail de lobbying nécessaire auprès des députés pour que le texte passe», affirme Abdelilah Hifdi, l’homme de la CGEM au Parlement.

Autre membre de la CGEM, Hicham Zouanate pense que le risque que le texte soit revu existe, mais estime, comme il l’a déclaré lors de la conférence de presse du patronat, que Mohamed Benchaaboun « a toute la latitude d’accepter les amendements ou pas, en usant de l’article 80 de la Constitution ». « On compte sur la compréhension du ministre de l’économie et des finances... », a-t-il lancé.

Benchaaboun sera-t-il lâché par les siens ?

Ce qui nous renvoie vers un autre sujet encore plus intriguant : Mohamed Benchaaboun est le ministre des Finances d’un gouvernement qui a la majorité au sein de la première chambre. En principe, il ne doit se faire aucun souci sur le passage de son projet de loi.

Mais la pratique a montré qu’il n’a pas le soutien de sa propre majorité. La suppression de l’article 247 bis lors de son premier passage à la première chambre en est une démonstration grandeur nature. Cet amendement n’a pas été porté uniquement par les partis de l’opposition, mais également par tous les autres partis de la majorité. Et il est passé à l’unanimité lors du vote. Une claque pour l’argentier du Royaume qui s’est retrouvé seul face à tous, y compris les députés de son propre camp.

Vont-ils le lâcher encore une fois lors du deuxième passage du PLFR par la première chambre ? Possible. Car il y a des signes qui ne trompent pas. L’amendement voté à la chambre des conseillers n’a pas recueilli selon nos sources l’adhésion des représentants du PJD, parti qui dirige le gouvernement. Ce qui montre que le parti du Chef du gouvernement ne soutient pas le ministre des Finances sur ce sujet de la déductibilité.

Président du groupe parlementaire du PJD à la première chambre, Idriss Azami Al Idrissi nous confirme justement que la position de son groupe ne changera pas. Le PJD, comme tous les autres partis de la majorité ont voté pour la suppression de l’article 247 bis. « Nous allons garder la même position, car les arguments que nous avancions pour contrer cet article restent toujours valables. Notre position ne change pas et nous voterons contre cet article en deuxième lecture », nous confie-t-il. Il considère d'ailleurs que l'argument de la non-rétroactivité avancé par certains conseillers pour justifier leur vote pour la réintégration de l'article 247 bis ne tient pas la route. "Cet article sera rétroactif, il n'y aura même pas de débat là dessus, car nous sommes toujours dans le même exercice fiscal", nous explique-t-il comme pour exprimer son incompréhension du vote des partis de l'opposition pour cet amendement.

Les autres groupes de la majorité et de l'opposition de la première chambre auront-ils la même position ou suivront-ils la deuxième chambre ? La séance du lundi où est programmé le vote sur la dernière mouture du PLFR nous le montera. 

« Autant on peut comprendre que l’opposition tente de saboter le travail du ministre, pour désaccord politique, autant l’attitude des groupes de la majorité est incompréhensible. Cela montre qu’il y a réellement des divisions au sein du gouvernement et que le PJD ainsi que les autres partis de la majorité ne considèrent pas que ce PLFR est leur texte, mais celui de Benchaaboun », analyse une source proche du dossier, qui signale que même les députés du RNI ont affiché leur opposition à la politique de Benchaaboun, la qualifiant d’une « austérité déguisée ».

Des différences politiques profondes que cet article 247 bis qui était censé passer comme une lettre à la poste révèle au grand jour. A suivre. 

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