Coronavirus. Contre la crise, le Maroc doit revenir à l'Etat social
Retour de l’Etat providence, réinvestissement massif dans les hôpitaux, plan de sauvegarde de l’emploi, suspension des échéances de l’impôt… face au Covid-19, la France a opéré un surprenant virage à gauche. Des mesures dont il serait bon de s’inspirer pour notre plan anticrise en gestation.
C’est en véritable « chef de guerre » que Macron a pris la parole jeudi soir pour s’adresser aux Français. Eclaboussé par deux années de tensions sociales (gilets jaunes, grèves anti-retraite, etc.) et largement désavoué pour sa politique ultra-libérale et les multiples cadeaux accordés aux riches (suppression de l’ISF, réduction d’impôts sur les entreprises…), Macron est apparu complètement changé. Métamorphosé.
Face au Covid-19, il a tenu une ligne de défense ultra socialiste, annonçant le retour en force de l’Etat providence, désavouant le marché, la privatisation de la santé et décrétant une injection massive de fonds dans le budget de l’Etat pour soutenir les hôpitaux, indemniser le chômage partiel et empêcher la faillite programmée de milliers d’entreprises. Du Roosevelt revisité, qui remet au goût du jour des choix économiques qu’une certaine élite disait jusque-là trop coûteux, démodés, voire totalement inconscients…
Une pandémie qui interroge le modèle de développement
« Ce que révèle d'ores et déjà cette pandémie, c'est que la santé gratuite sans condition de revenus, de parcours ou de profession, notre Etat-providence n'est pas un coût ou une charge mais un bien précieux, des atouts indispensables quand le destin frappe. Ce que révèle cette pandémie, c'est qu'il est des biens et des services qui doivent être placés en dehors des lois du marché. Déléguer notre alimentation, notre protection, notre capacité à soigner notre cadre de vie à d'autres est une folie ».
Cette phrase tirée de l’allocution de Macron est particulièrement révélatrice de cette prise de conscience au sommet de l’une des plus grandes économies d’Europe. Déléguer la santé est décrit comme « une folie ». Et c’est bien ce que beaucoup de pays dans le monde, dont le Maroc, ont essayé de faire ces dernières années, en croyant de manière aveugle à l’autorégulation du marché, en estimant que l’Etat n’a pas à tout gérer, et en faisant des équilibres budgétaires une règle d’or dans la conduite des politiques publiques.
Une règle d’or que le discours de Macron a fait implicitement sauter en décrétant le « quoi qu’il en coûte » face à la pandémie. Une expression utilisée trois fois pour illustrer le volontarisme budgétaire de l’Etat dans l’effort général pour endiguer la crise sanitaire et ses conséquences sur l’emploi et l’économie.
Le « quoi qu’il en coûte » qui fait sauter les règles de Maastricht
Sur le plan de la santé pure et dure, le président français a annoncé ainsi une grande injection de fonds dans l’hôpital public. Il n’a pas donné de chiffre, mais n’a pas non plus fixé de plafond. Ce sera « open bar », quel qu’en soit le coût.
« La santé n'a pas de prix. Le gouvernement mobilisera tous les moyens financiers nécessaires pour porter assistance, pour prendre en charge les malades, pour sauver des vies quoi qu'il en coûte. Beaucoup des décisions que nous sommes en train de prendre, beaucoup des changements auxquels nous sommes en train de procéder, nous les garderons parce que nous apprenons aussi de cette crise ».
Fait intéressant à relever : ce réinvestissement massif dans la santé publique n’est pas simplement une réponse à la crise. Mais une politique qui survivra à la pandémie. Il ne s’agit pas ici de répondre à la panique, mais de prendre un virage de politique publique.
Autre mesure courageuse, surprenante : le soutien inconditionnel et sans limite à la sauvegarde de l’emploi.
« Nous n'ajouterons pas aux difficultés sanitaires la peur de la faillite pour les entrepreneurs, l'angoisse du chômage et des fins de mois difficiles pour les salariés. Aussi, tout sera mis en œuvre pour protéger nos salariés et pour protéger nos entreprises quoi qu'il en coûte, là aussi », lance le président français, en annonçant la mise en place d’un mécanisme exceptionnel de chômage partiel.
Concrètement, Macron propose ici un deal aux entreprises qui souffrent de la crise et qui seront tôt ou tard obligées de réduire les effectifs. Les salariés qu’elles veulent licencier seront maintenus dans leurs postes sans aucune charge pour l’entreprise, puisque c’est l’Etat qui paiera leurs salaires.
A elles seules, ces deux mesures budgétaires, sans limites, coûteront des dizaines de milliards d’euros à l’Etat français, selon le ministre de l’Economie. Elles ne manqueront pas de faire voler le déficit budgétaire et faire éclater la fameuse règle de Maastricht que tous les Etats de l’UE doivent respecter : ne pas franchir la barre de 3% de déficit.
Une règle qu’utilisent également toutes les institutions financières mondiales pour monitorer les politiques budgétaires dans le monde, et dont notre pays souffre tout particulièrement.
Déficit budgétaire : un répit pour le Maroc ?
Engagé dans une LPL (ligne de précaution et de liquidité), le Maroc est tenu de respecter cette règle d’or. Une règle pour le moins très contraignante, surtout quand on a encore besoin d’investir massivement dans l’éducation, la santé, la culture, tout en continuant dans l’effort de l’investissement public et le soutien de la demande intérieure, qui restent à ce jour les seules véritables dynamos de la croissance en l’absence d’un secteur privé qui investit, prend des risques et crée des emplois. Des besoins que le FMI reconnaît, mais qu’il appelle à financer par d’autres biais : augmenter les recettes fiscales, privatiser les établissements publics, réduire la masse salariale de l’Etat… Tout sauf laisser filer le déficit budgétaire.
Dans son dernier rapport sur le Maroc (publié le 28 janvier 2020), le FMI reprochait justement au gouvernement Elotmani son laxisme budgétaire. Et dans des mots durs. Une réprimande pour un… petit point de déficit : 4% à fin 2019, contre le fameux 3% sur lequel le pays s’engage dans son contrat de crédit.
>>> Lire à ce sujet : BUDGET. Les reproches du FMI au gouvernement marocain
Dans son discours, Macron laisse entendre qu’il fera pression sur l’UE pour que tous les pays de la zone euro puissent aller dans cette direction : sauver l’économie par la dépense. Et quoi qu’il en coûte encore une fois… « Nous, Européens, ne laisserons pas une crise financière et économique se propager. Nous réagirons fort et nous réagirons vite. L'ensemble des gouvernements européens doit prendre les décisions de soutien de l'activité puis de relance quoi qu'il en coûte ».
Un signal assez rassurant, qui on l’espère, sera capté par les 26, et évitera à l’Europe de retomber dans les travers de la crise des subprimes. L’UE n’a de toute les façons pas trop le choix : après avoir épuisé toutes ses cartouches monétaires (les taux sont aujourd’hui négatifs), les pays de la zone euro sont tenus de dépenser plus pour relancer la machine. Ce qui les poussera, peut-être, à revoir les mécanismes budgétaires de l’Union, et délivrer, par ricochet toutes les économies en développement, dont celle du Maroc, de cette épée de Damoclès des 3%. Au moins pour cette année de crise…
Des pistes pour le plan Benchaâboun
Le Covid-19 est en train de changer les équilibres mondiaux. Il interroge en tout cas les modèles de développement de l’économie mondiale, la mondialisation à outrance des chaînes de production et remet l’Etat au centre des enjeux sociaux et économiques.
En attendant, c’est aux urgences économiques qu’il faut parer : sauvegarder les emplois, éviter la faillite des entreprises, relancer la machine…
Au Maroc, une cellule de veille pilotée par le ministre des Finances a été mise en place cette semaine pour réfléchir aux mesures anti-crise. Certaines, décrétées en France, paraissent d’ores et déjà comme des pistes utiles pour notre économie. La principale : c’est de ne pas être très regardant sur la dépense.
La grande majorité des économistes du pays et de nos décideurs critiquaient jusque-là le modèle de croissance basé sur la demande intérieure. On le disait essoufflé, peu rentable, déconnecté de la réalité du monde…C’est en partie vrai et nous l’avons soutenu plusieurs fois dans ce journal. Mais avec le Covid-19, ce même modèle, centré sur la dépense publique, paraît aujourd’hui comme le seul rempart contre la récession. Et aussi comme le seul moyen pour relancer l’activité économique.
Dépenser plus, c’est :
- Maintenir à flot des entreprises en soutenant leur carnet de commande,
- Injecter de l’argent dans des travaux d’infrastructure ou autres pour créer de nouveaux emplois et distribuer du pouvoir d’achat,
- Verser pour les secteurs touchés des compensations à la sauvegarde de l’emploi. Le Maroc n’est pas aussi riche que la France pour indemniser à 100% le chômage temporaire, mais peut, comme après la crise de 2008, prendre en charge une partie des coûts liés à l’emploi (cotisations sociales et IR notamment). Objectif : alléger les coûts salariaux des entreprises pour limiter au maximum les pertes d’emplois.
Les secteurs visés peuvent être l’hôtellerie, les métiers du tourisme, le transport aérien et portuaire, les métiers et industries liés à l’import-export…
- Reporter les échéances de l’impôt : Macron a décidé de suspendre pour ceux qui en ont besoin les prochaines échéances, sans justification, sans formalité et sans pénalité. Beaucoup d’entreprises marocaines seront, incapables de s’acquitter du premier acompte de l’IS payable avant fin mars ou du solde de la TVA trimestrielle, et cela faute de trésorerie. Une pareille mesure pourrait soulager leurs finances.
D’autres mesures peuvent être prises, adaptées à chaque type d’activité et calibrées selon l’ampleur des dégâts dans tel ou tel secteur. La CGEM présentera également dans les prochains jours des solutions au gouvernement.
Combinés à des instruments de politique monétaire, ces mesures budgétaires peuvent limiter la casse, créer un cercle vertueux, ou donner au moins des signaux rassurants au marché et à la population.
Le prochain Conseil de Bank Al-Maghrib, qui se tient mardi prochain, est en cela très attendu. Abdellatif Jouahri marchera-t-il sur les pas de ses pairs américains et anglais en baissant son taux directeur ? Annoncera-t-il des plans massifs d’injection de liquidité par le biais de rachats d’actifs comme décidé jeudi par la BCE ?
Face aux appels incessants d’assouplir sa politique monétaire, le Wali de Bank Al-Maghrib répondait ces derniers mois qu’il voulait préserver des cartouches pour les temps durs. On saura mardi si la crise du Cornavirus en est un aux yeux de Abdellatif Jouahri…
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