Analyse. Pourquoi le Maroc a intérêt à augmenter sa dette extérieure
Le Maroc compte lever 2 milliards d’euros sur les marchés européens entre 2019 et 2020. Voici pourquoi nous pensons qu’il devrait en lever plus.
Ces conditions du marché n’ont justement jamais été aussi propices pour une levée qu’aujourd’hui. Elles pourraient même justifier une levée encore plus consistante que celle annoncée par l’argentier de l’Etat.
Oser une sortie à la française
La semaine dernière, la France a réalisé, en une seule journée, une levée de 10 milliards d’euros sur 10 et 15 ans, à des taux négatifs (-0,36% pour les bons à dix ans et -0,03% pour ceux à quinze ans). Une première dans l’histoire de la France, aussi bien sur le montant de la levée que sur le niveau extrêmement bas des taux.
En Europe donc, les investisseurs ont accepté de mettre de l’argent à long terme à un rendement (facial) négatif. Et l’Etat français aura donc à rembourser dans dix et quinze ans moins que ce qu’il n’a levé aujourd’hui. Du jamais vu.
La politique monétaire menée par la Banque centrale européenne (BCE) depuis quelques années pour relancer la croissance en Zone Euro en a voulu ainsi. Et le Maroc doit en profiter. Au lieu de se contenter d’un milliard d’euros en 2019, oser en prendre deux. Et, pourquoi pas, réitérer le coup en 2020.
De toute évidence, le royaume ne pourra pas obtenir un taux négatif, privilège réservé au club des AAA. Mais partant de cette base de taux, l’Etat marocain et ses conseillers financiers pourraient facilement cibler un seuil de 2% sur une maturité de 10 ans par exemple.
La dernière sortie du Maroc en 2014 s’était faite à un taux de 3,7% pour une prime de risque oscillant entre 1,5 et 2 points. Vu que le profil « Maroc » n’a pas changé depuis, la prime de risque pourrait rester la même. Une prime de 2 points appliquée à une base de taux négatif (-0,3770 pour les bons à 10 ans au 4 septembre 2019) pourrait aboutir à une des levées les moins chères de l’histoire du Maroc sur les marchés internationaux.
Un taux de 2% va également assurer un grand succès à la sortie du Maroc. Croulant sous les liquidités, les investisseurs européens (banques, assurances, organismes de retraites et de pension…) devront s’arracher les titres du Trésor marocain, eux qui placent aujourd’hui leurs liquidités à des taux négatifs et sur des maturités très longues.
Faire d’une seule pierre, plusieurs (jolis) coups
C’est donc une fenêtre de tir assez rare qui s’offre au Maroc s’il décide de doubler le montant de sa sortie : prendre deux milliards en 2019 et deux autres milliards en 2020. Et qui peut lui permettre de faire d’une seule pierre plusieurs jolis coups : financer son déficit budgétaire (3,6% en 2019 après 3,7% en 2018) à un coût historiquement bas, renflouer ses réserves en devises pour oser éventuellement un élargissement sans gros risques de la bande de fluctuation du dirham tout en atténuant au passage l’effet d’éviction occasionné à chaque levée réalisée par le Trésor sur le marché intérieur.
La sortie à l’international ne répondra pas uniquement à des impératifs d’ordre financiers et budgétaires, mais peut donner un véritable coup de fouet à la croissance économique, à travers l’accélération du financement des secteurs productifs.
Car ce n’est un secret pour personne, nos banques préfèrent actuellement prêter à l’Etat que de se risquer dans des aventures entrepreneuriales.
Entre 2010 et 2018, les créances nettes du secteur bancaire sur l’administration centrale ont augmenté de 150%, passant de 81 milliards de dirhams à 202 milliards, dont 152 milliards de bons du Trésor (presque 3 fois l’encours de 2010) et 56 milliards de crédits. Le taux de croissance annuel moyen de ces créances est de 12%.
En même temps, les crédits bancaires au secteur privé (ménages et entreprises) n’ont augmenté que de 32%, passant de 511,5 milliards de dirhams en 2010 à 673 milliards à fin 2018. Leur taux de croissance annuel moyen n’est que de 3%, soit quatre fois moins que la progression annuelle moyenne des prêts consentis à l’Etat.
Le coup de la fourchette du Trésor
Si le Trésor décide d’augmenter le montant de ses sorties à l’international, il obligera les banques à sortir de cette zone de confort.
Celles-ci seront mises en situation de « fourchette » où elles auront à choisir entre deux positions peu confortables pour elles : prêter aux entreprises ou laisser dormir leur cash. Comme tout joueur d’échecs qui se respecte, les banques choisiront à l’évidence l’option la plus logique et la moins coûteuse : faire tourner la machine du crédit, choix risqué mais fortement rémunérateur. Laisser dormir ses liquidités étant une situation inenvisageable pour une banque qui a des impératifs de rentabilité.
Le coup de fourchette du Trésor mettra ainsi les banques face à leurs responsabilités. Et les obligera à joindre les actes aux beaux discours entonnés par leurs dirigeants sur le financement de l’économie et des secteurs productifs.
Le tout sans altérer les équilibres de la structure de l’endettement public, qui reste à ce jour largement sous pondérée en financements extérieurs.
D’un montant de 574 milliards de dirhams à fin 2018, la dette intérieure du Trésor représente 52% du PIB quand le poids de la dette extérieure se limite à peine à 13,4% du PIB pour un montant de 148 milliards.
Un rééquilibrage en ces temps cléments sous les cieux européens s’avère aujourd’hui plus que nécessaire.