Sukuk. L’Etat va solliciter davantage cet instrument de financement selon Boubkeur Ajdir

Sara El Hanafi | Le 26/3/2019 à 8:12

Associé d'IFAAS France, Boubkeur Ajdir nous parle dans cette interview de la première émission de Sukuk réalisée par le Maroc. Une opération qui constitue un "modèle" en Afrique, selon lui. Il estime également que l'Etat aura de plus en plus recours à ce mécanisme de financement dans les années à venir. 

 Associé d'IFAAS France, Boubkeur Ajdir est un des experts reconnus en finance islamique à l'échelle internationale. 

Diplômé de l'Ecole Nationale de Commerce de Paris, il travaille depuis 1999 dans l'industrie financière : d'abord dans une grande banque d'investissement internationale, puis dans le cabinet IFAAS, où il s'est consacré ces dix dernières années à la finance islamique. 

Au sein de ce cabinet, il a dirigé depuis 2008 plusieurs projets internationaux liés aux Sukuk, au life Takaful, à la mise en place de fenêtres islamiques au sein d'établissements conventionnels, et à la conception et le développement de produits financiers de détail dans des juridictions francophones.

Boubkeur Ajdir a également dirigé plusieurs études de marché quantitatives et qualitatives et mené des missions d'accompagnement pour des autorités et des régulateurs pour la mise en place de cadres réglementaires dédiés à la finance islamique dans différents pays.

Nous l'avons interviewé à l'ocasion de la première édition de "Africa Sukuk Conference", tenue à Casablanca les 19 et 20 mars. Un évènement à dimension internationale consacré aux Sukuk et leur apport pour le développement économique du Maroc et de l’Afrique organisé par le Finéopolis Institute (membre du groupe IFAAS), ainsi que le cabinet d’avocats américain Kramer Levin spécialisé en droit financier.

Il nous parle dans cette interview de la première émission de Sukuk réalisée par le Maroc, une opération où son cabinet a joué un rôle de conseil à l'Etat marocain, du potentiel de ce type de levées et de leur cadre réglementaire... 

-LeBoursier: Tout d'abord, quels sont les métiers dans lesquels exerce le groupe IFAAS? Et que représente le Finéopolis Institute pour ce groupe?

-Boubkeur Ajdir : IFAAS est une société spécialisée dans le conseil en finance islamique. Nous nous adressons aux banques, aux assurances, aux autorités de régulation et à tous les acteurs qui travaillent dans le secteur financier. Nous les assistons dans la mise en place soit de produits financiers participatifs, soit de cadres réglementaires dédiés à la finance participative.

Le Finéopolis Institute, pour sa part, est en quelque sorte la branche de recherche, de formation et d’intelligence d’IFAAS. Cet institut organise des conférences et des formations professionnelles dédiées à la finance participative, et publie également des recherches sur le sujet.

- Pour abriter sa toute première édition de l’Africa Sukuk Conference, le Finéopolis Institute a choisi le Maroc et plus particulièrement Casablanca. Pourquoi ce choix ? Surtout que la thématique porte sur la globalité du continent africain…

- Le Maroc est le tout dernier pays africain à avoir émis un Sukuk souverain, qui a d’ailleurs franchi des étapes intéressantes.

Plusieurs autres pays africains ont émis des Sukuk, mais n’ont pas relevé le même défi et le même challenge. Avant d’émettre son Sukuk, le Maroc a vraiment mis en place tout un arsenal juridique et réglementaire, a réfléchi aux problématiques fiscales; alors que les pays africains qui ont déjà émis des Sukuk, notamment les pays d’Afrique de l’ouest, n’ont pas encore fait ce travail d’adaptation de leurs législations. Ils ont réussi à émettre des Sukuk en tordant un petit peu le cou à certains textes qui étaient déjà en vigueur. Sur ce volet juridique et réglementaire donc, il est certain que ces pays là suivront le modèle marocain.

Par ailleurs, le choix s’est porté sur Casablanca car en tant que ville, à la fois avec ses ambitions et avec sa position géographique qui la met à la porte de l’Afrique, elle se présente comme un véritable hub financier aussi bien pour la finance participative que pour la finance conventionnelle.

- Est-ce que votre cabinet, IFAAS, est intervenu dans l’émission de Sukuk marocaine ?

- Oui, nous avons eu une modeste contribution aux côtés des avocats qui ont conseillé le ministère de l’Economie et des Finances. Nous avons apporté notre expertise dans tout ce qui est conformité à la Sharia, et nous avons apporté notre point de vue technique sur tout ce qui devait justement être soumis au Conseil Supérieur des Oulémas.

- Est-ce que vous travaillez actuellement avec les autorités marocaines pour des émissions souveraines à venir ?

- Les autorités ont une dynamique continue.  Ils ont d’abord crée le Sukuk Ijara et mis en place le cadre réglementaire y afférent. La loi sur la titrisation elle-même prévoit d’autres typologies de certificats de Sukuk, et actuellement le ministère de l’Economie et des Finances est entrain de travailler pour compléter leur cadre réglementaire. Et nous avons effectivement le plaisir d’assister les autorités financières marocaines dans ce chantier.

- Pensez-vous que l’Etat marocain aura dans un futur proche recours au Sukuk au même niveau que les Bons du Trésor ?

- Il est difficile aujourd’hui de se prononcer sur cela, mais il est certain que l’Etat va solliciter davantage ces instruments. Le Maroc ayant quand même délivré des agréments à huit opérateurs bancaires, forcément ces opérateurs auront des besoins de financement et des besoins d’investissement conformes aux préceptes de la Sharia, et les Sukuk sont sans conteste les instruments phares nécessaires au développement de ce marché là.

- Quid des banques participatives ? Quand est ce qu’on pourrait voir la première émission de Sukuk bancaire, sachant que celles-ci ont encore un long chemin avant de constituer un actif titrisable ?

- En toute objectivité, les Sukuk sont des instruments assez complexes, et il n’est pas simple pour une banque de sortir sur le marché pour émettre un Sukuk. Donc même si les banques participatives constituent aujourd’hui leur actif, il faut déjà que le marché dans sa globalité comprenne quels sont ces instruments, leurs atouts financiers, etc.

Tous ces paramètres font que dans n’importe quel marché où il y a un nouveau produit, il y a un temps pédagogique qui est nécessaire pour l’ensemble des opérateurs, qu’ils soient banques ou autres entreprises qui veulent lever des fonds à travers des Sukuk.

Mais avant tout,  le ministère de l’Economie et des Finances doit compléter le cadre réglementaire des différents types de Sukuk, ce qui demanderait entre huit mois et un an. Il faudra après peut être six mois pour que le premier opérateur sorte sur le marché avec un bon produit.

- Vous avez travaillé avec plusieurs autres pays africains pour l’émission de Sukuk souverains, quelle est la portée des financements par les Sukuk dans ces pays là ?

- Nous avons travaillé sur des émissions en Côte d’Ivoire, au Sénégal, au Mali, au Togo… et dans d’autres pays d'Afrique subsaharienne pour répondre à des besoins de financement des Etats. Les volumes sont encore relativement modestes pour pouvoir financer de grands projets d’infrastructure à travers des Sukuk seulement, ils répondent donc plus à des besoins de financement du budget. C’est parce que justement c’est un nouveau produit, sur lequel les investisseurs n'osent pas trop s'aventurer. Il faut donc leur laisser le temps de bien maîtriser l’instrument.

 

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