Décompensation du sucre: Un dilemme pour les industriels
Pendant longtemps, l’industrie agroalimentaire a profité de la compensation du sucre, en achetant cette denrée à des prix relativement bas. Avec une éventuelle décompensation en 2018, les entreprises du secteur devront gérer un nouveau virage. Et c'est parfois compliqué.
Bien que la Loi des Finances 2018 maitient les subventions allouées à cette denrée, la décision de la décompensation du sucre est prise et, ce qui est sûr, c'est qu'elle sera progressive, et sera lancée début 2018, selon des sources sûres.
Les mêmes sources ont par ailleurs affirmé à Médias24/LeBoursier que cette décompensation concernera au départ uniquement le sucre granulé et le sucre en morceaux, à raison d’une déduction de 10 à 20 centimes par kilo et par mois, jusqu’à la décompensation totale. Elle ne concernera pas le pain de sucre. Le prix de ce dernier ne changera que lorsque le processus de ciblage des populations les plus pauvres sera achevé: la base de données qui sera ainsi créée permettra de lister les personnes qui recevront des aides permettant de se substituer aux subventions qui seront supprimées.
Pendant longtemps, l’industrie agroalimentaire a profité de cette compensation, en achetant du sucre à des prix relativement bas. Avec la décompensation, les entreprises du secteur devront préparer leur virage et la plupart ont déjà élaboré des scénarios: Boissons gazeuses, jus, yaourts, confitures, bonbons, biscuits… tous devront s’adapter à une hausse progressive des prix du sucre, denrée indispensable à ces produits, et voir quelques millions de DH s'ajouter à leurs charges.
Pour ne citer que quelques compagnies: Coca-Cola (coût du sucre supporté par ses embouteilleurs marocains); ou la filiale marocaine de Danone, qui procède à l’achat de ses besoins en sucre au Maroc pour fabriquer ses yaourts; ou même Oulmès dans une moindre mesure, qui produit des eaux aromatisées ou, plus récemment, la boisson Orangina; Copag qui produit la marque Jaouda etc...
Dans la situation d’une hausse du prix du sucre, découlant de la décompensation, les entreprises de l’agroalimentaire se retrouveront face à un dilemme : Augmenter, à leur tour, les prix de leurs breuvages et risquer de voir leurs ventes baisser, ou réduire leurs quantités, souvent discrètement. Mais la baisse de quantité n'est pas toujours possible. On peut l'envisager pour un biscuit ou un yaourt, mais en aucun cas pour une boisson gazeuse. Baisser le volume ou le grammage est une formule d'ailleurs bien connue dans le domaine de l'hygiène (savon, dentifrice, shampoing, mouchoirs) ou alimentaire (pain).
Centrale Danone avait déjà eu recours à cette solution, en décidant de baisser le grammage de certains de ses produits, notamment le Danette: «Ce sont des pratiques très peu courantes, et quand c’est le cas, c’est à bon escient, ce n’est pas pour dégager plus de profit. Au lieu d’augmenter le prix, nous avons décidé de baisser la quantité de 5 grammes et d’améliorer le produit», avait affirmé Didier Lamblin, PDG de Centrale Danone, à Médias 24.
Une «protection» sur toute la chaîne
Pour mieux comprendre les enjeux, il faudra tout d'abord comprendre toute la chaîne.
La subvention mise en place permet aussi bien de soutenir les prix à la consommation que les revenus des agriculteurs. Pour chaque tonne vendue, l'Etat marocain subventionne le prix de vente à hauteur de 2.661 DH. La compensation permet ainsi de soutenir indirectement les prix d'achat élevés des plantes sucrières, qui se situent à plus de 520 DH/T au Maroc, contre 305 DH/T en Europe par exemple.
Cette subvention est collectée par le groupe Cosumar, étant l'unique opérateur industriel sucrier marocain. La subvention bénéficie au consommateur marocain à travers un prix de vente unique appliqué en sortie d’usine, ce qui permet une accessibilité du sucre à des prix parmi les plus bas du monde, notamment par rapport aux pays du Maghreb.
La subvention protège également les intérêts des agriculteurs marocains, en garantissant des prix fixes de référence et un débouché certain pour leur récolte privilégiant ainsi la production locale à partir des plantes sucrières (betterave et canne à sucre), sur la production issue de l’importation du sucre brut.
Cette importation est d'ailleurs soumise à un mécanisme de régulation qui permet d’aligner le coût d’importation au prix de référence national, à savoir 5.335 DH/tonne. Ce prix de référence est déterminé en tenant compte du coût de production de la betterave sucrière locale afin que la priorité soit toujours accordée à la production nationale.
«Lorsque le coût d’importation est supérieur au prix de référence, ce mécanisme intervient par le biais d’une subvention additionnelle de l’Etat marocain dans le but d’aligner le prix d’achat au prix de référence. A l’inverse, si le coût d’importation est inférieur au prix cible, Cosumar verse la différence à la Caisse de compensation», peut-on lire sur une note d'information du Groupe Cosumar.
L'Etat va plus loin: des tarifs douaniers sont appliqués à l’importation du sucre blanc raffiné afin de protéger le marché local. Un principe a priori courant, car pratiqué dans les pays producteurs de betterave vu que le sucre de canne, produit dans les pays disposant de pluviométrie favorable (essentiellement au Brésil), est 35 à 40% moins cher que le sucre de betterave.
Avec de telles mesures "protectionnistes" au profit des producteurs locaux, l'enjeu est plus compliqué pour les entreprises pour qui le sucre est une véritable matière première. S'approvisioner sur le marché local coûtera plus cher, et l'import ne se présente pas comme une meilleure alternative.
Les opérateurs devront donc se pencher sur la question, et les consommateurs devront s'attendre à une éventuelle hausse des prix de leurs breuvages et sucreries favoris. A moins d'opter globalement pour une réduction de la consommation de cette denrée, un mouvement que les entreprises devront suivre en diminuant la teneur en sucre de leurs produits. Un acte bénéfique aussi bien sur le plan qualitatif que quantitatif.
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