Cour des comptes: Yasmina Baddou dans l’œil du cyclone

Le rapport de la Cour des comptes 2012 épingle la la couverture vaccinale, ainsi que la manière dont les marchés ont été passés et celle dont les budgets ont été mobilisés, au détriment des programmes de santé publique.

Cour des comptes: Yasmina Baddou dans l’œil du cyclone

Le 23 février 2014 à 9h48

Modifié 11 avril 2021 à 2h35

Le rapport de la Cour des comptes 2012 épingle la la couverture vaccinale, ainsi que la manière dont les marchés ont été passés et celle dont les budgets ont été mobilisés, au détriment des programmes de santé publique.

La cour des comptes vient de publier son rapport 2012 qui comporte entre autres un diagnostic relatif à la couverture vaccinale et aux conditions de passation de ces marchés entre 2010 et 2012. La décision d'introduire deux nouveaux vaccins ainsi que les conditions de passation de ces marchés et leur financement, ont été passés au crible.

Pour sa part, notre confrère Al Yaoum 24 divulgue des extraits de ce qui est présenté comme un rapport que la Cour des comptes spécifiquement consacré à ces marchés des médicaments sous la direction de Yasmina Baddou. Les extraits en question sont les fac similés de 8 pages du rapport. Al Yaoum 24 écrit qu'il s'agit d'un rapport spécifique de 100 pages. Dans le rapport annuel, la partie consacrée aux vaccins est seulement de quelques pages.

Il y a donc probablement deux rapports, le rapport annuel qui consacre une quarantaine de pages à l'acquisition des médicaments par le ministère de la santé (dont quelques petites pages aux vaccins), et un rapport spécialement dédidé aux médicaments (dont les vaccins), révélé par Al Yaoum 24 et qui pourrait être un rapport interne non destiné à publication.

Les faits rapportés par Al Youm 24 remettent en cause aussi bien la décision de la ministre d’élargir la panoplie de la vaccination gratuite à deux nouveaux vaccins très coûteux que la manière dont les marchés ont été passés.

En 2010, le ministère décide d’élargir la gamme de vaccins gratuits, à deux nouveaux vaccins, anti-pneumococcique et anti-rotavirus.

Jusqu’alors, le programme élargi d’immunisation couvrait des maladies comme la tuberculose, la diphtérie, le tétanos, la coqueluche, la poliomyélite, la rougeole, l’hépatite B et la rubéole.

La décision de rajouter l’anti-pneumococcique et l’anti-rotavirus est-elle fondée? La question se pose car l’enjeu financier est important et les crédits nécessaires ne sont pas prévus dans le budget général de l’Etat.

Dans le secteur privé, le premier vaccin coûte 900 DH et le second 700 DH par vaccin. Cette introduction a selon des sources médicales consultées par Médias 24, multiplié le budget public des vaccins par plus 2,5 fois. Le montant des deux marchés, sur les deux années de référence du rapport, est de 431 MDH pour le premier labo (Maphar) et 118 MDH pour le second (Glaxo). Le marché de tous les autres vaccins est de 150 MDH par an environ, selon nos sources.

Seconde remarque: aucune étude préalable n’a été faite pour évaluer la possibilité d’une prise en charge des plus démunis uniquement ou bien pour envisager un remboursement partiel ou total par l’AMO.

La question n’est pas de savoir si ces vaccins sont nécessaires. Cette question est tranchée : le corps médical considère bien que ces vaccins sont nécessaires, car ils permettent d’immuniser contre des maladies qui font des ravages, des décès ou sont très handicapantes telles que des méningites ou des diarrhées foudroyantes du nourrisson.

La question est plutôt de savoir :

- s’il fallait une prise en charge publique de ces vaccins ;

-si les marchés ont été passés dans des conditions conformes à l’intérêt de la collectivité et aux lois et règlements en vigueur.

Les 8 pages que la Cour des comptes consacre à ce dossier répondent: NON

Pour la Cour des comptes :

-il y a insuffisance de données épidémiologiques justifiant l’introduction des deux vaccins. L’OMS ne la recommande que pour les pays où les décès des enfants de moins de 5 ans est supérieur à 50 décès pour 1.000 naissances. Ce taux au Maroc était de 28 au moment de la prise de décision. L’OMS a critiqué cette introduction et le rapport critique est demeuré introuvable même après demande expresse de la Cour des comptes. Le taux de diarrhées sévères et mortelles au Maroc est trop bas pour justifier cette introduction et les solutés de réhydratation donnent au demeurant d’excellents résultats.

Rares sont les pays à avoir introduit de vaccin. A titre d’exemple, la France ne l’a pas fait.

-les procédures pratiquées jusqu’alors prévoyaient de regrouper les achats auprès de l’Unicef pour effectuer les acquisitions de vaccins, car cela permet des prix plus bas. Cela n’a pas été fait pour les deux nouveaux vaccins.

-le comité national technique et scientifique de la vaccination n’a pas été consulté au moment de la prise de décision. Il en va de même des différentes directions du ministère concernées par la politique de vaccination.

-les acquisitions de vaccins, non budgétisées, ont été financées au détriment des crédits ouverts aux établissements de santé. Y avait-il urgence?  On a coupé dans les crédits des hôpitaux pour financer ces acquisitions.

-pour info, le marché des vaccins anti pneumococciques a été remporté par Maphar (filiale de Sanofi) et le second (anti rotavirus) par Glaxo Smtih kline (GSK).

-le montant annuel de ces deux marchés représente 86% du montant global des programmes de santé publique!!!!!

-le ministère des Finances a accordé une enveloppe de 300 MDH en 2010 et a demandé en 2011, à reconsidérer ces marchés pour la suite. Sans succès.

-les marchés ont été réengagés en 2011 malgré cela, et malgré le fait que la Loi de Finances ne les prévoyait pas.

-le mode de passation ne garantissait ni l’économie ni la qualité de service

-non respect de la réglementation dans l’élaboration du dossier de l’appel d’offres

-manque de transparence et d’objectivité scientifique dans le jugement de l’offre technique.

 

Nous avons résumé ci-dessus les grandes lignes d’un rapport qui est à tous points de vue, accablant. Il y a eu de la part de la ministre irrespect des procédures et règlements en vigueur et une compétence que l'on peut juger discutable.

Cela étant, la pertinence médicale des vaccins en question n’est pas en doute. Les deux  vaccins évitent des affections graves mortelles ou à séquelles très handicapantes (méningites, diarrhées aigües, épiglottites, débilité mentale, hydrocéphalie, surdité, cécité, paralysies...).   

Les deux vaccins figurent encore, à ce jour, dans le programme national d’immunisation, tel qu’il est consultable sur le site du ministère de la santé publique. En toute logique, il faudrait que l’actuel ministre prenne la décision de les supprimer. Ou alors, c’est qu’il donne raison à Yasmina Baddou.

Par ailleurs, nous reprenons ci dessous les principaux points du rapport annuel de la Cour des comptes relatifs aux vaccins ainsi que la réponse du ministre de la Santé à partir de la page 77):

-insuffisance de données épidémiologiques justifiant l'introduction des deux vaccins;

-non recours à la procédure courant d'acquisition des vaccins

-non respect de la procédure réglementaire d'introduction des vaccins

-Financement de l’acquisition des vaccins aux dépens des crédits dédiés aux établissements de santé

-Non respect de la réglementation lors de l’élaboration du dossier de l’appel d’offres

-Non respect du CPS lors du règlement des prestations

 

Dans le rapport annuel, figure la réponse intégrale du ministre de la santé (page 87 et suivantes; la partie concernant les vaccins commence en page 99). Nous en reprenons quelques extraits. Le point le plus important concerne la décision d'introduire les deux nouveaux vaccins et qui figure dans le Plan d'Action Stratégique du Ministère PAS 2008-2012, pour faire baisser le taux de mortalité infantile. La réponse donne raison à la cour des comptes sur quelques points:

• Décision d’introduction des deux nouveaux vaccins 

L’introduction des deux nouveaux vaccins, anti-pneumococcique et anti-rotavirus, dans le cycle vaccinal public est une décision stratégique qui s’inscrit dans le Plan d’Action Stratégique (PAS) du Ministère de la Santé 2008-2012, ce plan a arrêté parmi ses objectifs la réduction de la mortalité infantile au Maroc de 40 à 15 pour 1000 naissance vivantes, et ce en ayant recours à ces deux nouveaux vaccins afin de renforcer l’immunité chez les enfants ciblés par le programme de vaccination. Ce plan est consultable sur le portail santé publique, il a été rendu public en juillet 2008. Yasmina Baddou était alors ministre de la Santé.

• Le processus d’achat des deux nouveaux vaccins

Le processus adopté pour l’achat des deux nouveaux vaccins a fait l’objet de plusieurs questions émanant de différents intervenants demandant un éclaircissement sur ce processus. Afin d’éclaircir cette situation, ce dossier a été confié à l’Inspection Générale du Ministère de la Santé.

Dans ses conclusions, l’Inspection a noté des observations sur le processus d’introduction des deux vaccins, dont principalement :

- Le marché cadre n’était pas le mode adéquat pour l’introduction de ces nouveaux vaccins, car il n’y avait pas de visibilité de financement du fait que les dotations budgétaires pour cet achat étaient soumises annuellement à des négociations avec les finances. Aussi, s’agissant de vaccins nouveaux à des coûts importants, le marché cadre ne pouvait pas permettre de bénéficier des variations possibles des prix ;

- Le CPS a combiné pour la première fois des prestations de natures différentes dans le domaine des vaccins (livraison de vaccins et réalisation d’une assistance technique complexe et variée).

Si la livraison des vaccins est bien décrite permettant le suivi de son exécution, l’assistance technique figurant dans les deux marchés des nouveaux vaccins ne comporte pas de description détaillée de la procédure d’exécution et de réception, ce qui ne pouvait pas permettre d’avoir un référentiel pour le suivi et le contrôle de la réalisation et du paiement de l’assistance technique,

- Bien que l’avis du comité national technique et scientifique de vaccination ait un caractère consultatif dans le domaine de vaccination, la consultation préalable de ce comité par le Ministère de la Santé aurait donné plus de justification à la décision d’introduction des deux vaccins en question.

• Les mesures de redressement prises par le Ministère de la Santé au sujet des deux nouveaux vaccins

Au vu des constats de l’Inspection Générale, le Ministère de la Santé a pris les mesures suivantes qui s’avèrent essentielles pour redresser la situation, à savoir :

- Surseoir à l’exécution des deux marchés cadres (25/2010 et 26/2010) relatifs aux deux nouveaux vaccins au vu des constats précités, surtout en l’absence de visibilité de financement et des difficultés de suivi et contrôle de l’assistance technique,

- Soumettre le rapport de l’Inspection Générale du Ministère de la Santé à la Cour des Comptes pour avis sur les constatations de l’Inspection et pour clarifier la conduite à tenir pour le traitement de ce dossier,

Lancer un nouvel Appel d’Offres portant exclusivement sur la livraison des deux nouveaux vaccins, le mode choisi est le marché annuel qui s’avère le mieux adapté en attendant la pérennité de financement.

 

Au final, il est clair que le dossier de l'introduction de deux nouveaux vaccins, coûteux et avec une justification scientifique discutable, reste ouvert. Accessoirement, Mme Baddou reste dans l'oeil du cyclone, après avoir été mise dans une affaire d'appartement (au singulier) à l'étranger, dossier qui a fait l'objet d'un règlement transactionnel légal auprès de l'Office des Changes.

 


 

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