Soudain, à droite, apparaissent quelques constructions. Des véhicules de gendarmes et une estafette des forces auxiliaires annoncent la présence de quelque officiel. Deux drapeaux encadrent une bannière. Nous sommes à Bouguergouh, une commune rurale située sur la route Berrechid-Khouribga, dans la région de Chaouia-Ouardigha.

Chaouia-Ouardigha est l’une des régions les plus prometteuses du Maroc, c’est la troisième la plus riche après Casablanca et Rabat et celle qui réalise les plus forts taux de croissance depuis 2004. Agriculture, eau (Oum Rebiaa) et phosphates sont ses richesses. A Bouguergouh, la terre est rouge argile, un barrage n’est pas loin.

C’est le nom de ce barrage qui inspirera la récente et seule association d’action sociale de la région, l’ASDH (Association Sed El-Haimer pour le développement humain).

Dans le local de l’assoce, une cinquantaine de personnes, femmes et hommes, sagement alignés sur des bancs. Ce sont les pauvres ou les malades de cette commune de 10.000 habitants. Il y a distribution de dons constitués de vêtements.

Dans la cour, une vingtaine de fauteuils roulants, dix lits électriques et autant de vélos. L’ensemble provient d’un don fait par une association danoise. Les vélos sont destinés aux jeunes élèves pour les trajets scolaires. La longueur des trajets est en effet l’un des facteurs de l’abandon scolaire.

Des officiels arrivent, dont le gouverneur de Settat et l’ambassadeur du Danemark (photo). On sacrifie au protocole, quelques discours heureusement très courts, tout le monde est décontracté, le Viking a l’air sérieusement enchanté, il a le bon ton, ni condescendant, ni coincé, il a mis une veste et une cravate au dessus de sa chemise à carreaux et de son jean.

Les acteurs associatifs le savent. L’action sociale est plus efficace si vous arrivez à mobiliser les officiels, les décideurs. Si ces derniers voient de leurs propres yeux la finalité de leur implication.

Où l’on rencontre Salah El Ouadie

Le président de l’association ne se met pas en avant. C’est un homme connu, plus de 200.000 résultats de recherche en arabe et en français si vous tapez son nom sur Google. Salah El Ouadie, poète, ancien prisonnier d’opinion, intellectuel libéral, philosophe, a créé une association de développement humain. Si loin de Safi, ville de ses origines, si loin des centres de décision économique et politique.

Sa femme est originaire de la région, nous explique-t-il. En quelque sorte, il a été naturalisé chaoui par son mariage.

Il parle de la région et de l’action sociale avec enthousiasme. Salah El Ouadie a pris ses “distances“ avec le PAM dont il fut porte-parole et avec qui il constate désormais “de forts points de divergence“. Depuis un an, l’ASDH et Damir mobilisent l’essentiel de son énergie.

“L’action politique, Damir ou l’action sociale se rejoignent, évidemment!“. El Ouadie ou l’homme aux multiples facettes. Politique, démocrate, intellectuel engagé (Damir) et poète romantique qui cite avec gourmandise les plus beaux vers de “ghazal“ ciselés par Moutanabbi.

Tout se rejoint, mais sur le terrain que ça se passe. C’est son crédo et c’est ce qui explique en partie sa prise de distance avec le PAM et plus généralement les organisations politiques.

“J’ai foi en la dynamique de société; c’est dans la société que les choses se passent, il faut aller sur le terrain, débattre, accepter la différence, avancer“. C’est sur le terrain que les choses se passent.

“Ce sont les dynamiques de société qui font avancer les Etats. La démocratie, c’est une question de conviction certes, mais aussi de terrain.“ Notre poète aspire à faire prendre conscience aux gens que par leur action concrète, ils peuvent accéder à quelque chose de meilleur, que s’inscrire dans une logique d’engagement peut rapporter sur la durée, en comptant sur soi, en nouant des synergie avec les autres.

La citoyenneté se forge dans le quotidien

“La citoyenneté se forme, se forge dans la vie de tous les jours“, constate Salah El Ouadie.

Est-ce que l’action sociale ne développe pas des réflexes d’assistanat?

“Le don ce n’est pas la seule forme de solidarité, nous ne travaillons pas dans une logique de bienfaisance, mais de solidarité“. Ce n’est pas une culture facile à instaurer, reconnaît notre interlocuteur.

“Les plus grands desseins commencent par les petites choses“

L’ASDH a des desseins ambitieux pour la région. Un terrain de 3,5 ha sera aménagé si les financements sont réunis, pour des activités diverses, à commencer par le sport ou la formation. Un autre projet vise à faire acquérir aux femmes des capacités de lancer de icro projets. Salah El Ouadie rêve d’un plan directeur sur une durée de trois ans, avec un fonds de solidarité, un centre de formation pluridisciplinaire, une crèche…

Notre poète romantique et rationnel a un dessein encore plus large. Il est convaincu du potentiel culturel de la région, une région qui a vu passer Ibn Khaldoun, Ibn Arabi et Rabbi Abraham Aouriour. Ce dernier réunit chaque année un millier de pèlerins juifs. Il pense donc à des messages “de pacification“, des conférences, des événements culturels, par exemple sur ces coïncidences de l’histoire.

“A partir d’une conception du développement humain on peut parvenir à des idées élevées“, commente Salah. Et hop, on n’est plus très loin de l’action de Damir, la plateforme d’action rationaliste et citoyenne créée récemment par Salah et ses amis.

Quels sont les facteurs de réussite d’une action sociale?  Il faut savoir mobiliser, imaginer un horizon et des actions, et être audible.

Salah El Ouadie a la chance d’être connu et crédible. Donc audible. Il dit qu’il ne s’est jamais rendu dans la région en touriste, en simple consommateur, il a toujours cherché le contact avec les gens, les a écoutés. Sa vie publique, sa notoriété, il les met désormais au service d’une action de terrain.