Une économie mondiale en pleine mutation

NEW YORK – Tandis que l’année 2013 touche à sa fin, les efforts de relance de la croissance fournis au sein des économies les plus influentes de la planète – à l’exception de la zone euro – engendrent un effet bénéfique.

Une économie mondiale en pleine mutation

Le 31 décembre 2013 à 11h39

Modifié 11 avril 2021 à 2h35

NEW YORK – Tandis que l’année 2013 touche à sa fin, les efforts de relance de la croissance fournis au sein des économies les plus influentes de la planète – à l’exception de la zone euro – engendrent un effet bénéfique.

Il convient par ailleurs de noter combien les difficultés qui s’annoncent pour l’économie mondiale revêtent aujourd’hui un caractère politique.

Après 25 années de stagnation, le Japon s’efforce de redynamiser son économie en procédant à un assouplissement quantitatif d’une ampleur sans précédent. Il s’agit là d’une expérience risquée: l’accélération de la croissance pourrait en effet faire grimper les taux d’intérêt, rendant ainsi intenables les coûts du service de la dette. Le Premier ministre Shinzo Abe entend néanmoins accepter ce risque, plutôt que de condamner le Japon à une lente agonie. Et à en juger par le soutien enthousiaste de l’opinion publique, le Japonais ordinaire en ferait sans doute de même.

Par opposition, l’Union européenne s’oriente peu à peu précisément vers cette stagnation prolongée dont le Japon tente si désespérément de s’extraire. Les enjeux sont ici considérables : si les États-nations sont assez solides pour survivre à une décennie perdue voire plus, l’Union européenne pour sa part, en tant qu’association incomplète d’États-nations, pourrait facilement y succomber.

Créé sur le modèle du Deutsche Mark, l’euro présente dans sa conception une défaillance fatale. Le fait d’avoir instauré une banque centrale commune sans la présence d’un Trésor commun implique la dénomination des dettes étatiques dans une devise qu’aucun État membre ne peut contrôler, exposant ainsi ces États au risque de défaut. En raison du cataclysme de 2008, plusieurs États membres sont devenus surendettés, les primes de risque ayant quant à elles conféré un caractère permanent à cette division qui existe au sein de la zone euro entre les pays créanciers et les pays débiteurs.

Cette défaillance aurait pu être corrigée s’il avait été décidé de remplacer les obligations de chaque pays par des eurobonds. Malheureusement, la chancelière allemande Angela Merkel, telle l’incarnation du changement radical d’attitude des Allemands à l’égard de l’intégration européenne, a exclu cette possibilité. Antérieurement à sa réunification, l’Allemagne constituait le principal moteur de l’intégration ; aujourd’hui, compte tenu du coût supporté en direction de cette réunification, le contribuable allemand se refuse farouchement à devenir celui dans la poche de qui les pays européens débiteurs viendraient puiser.

À la suite du krach de 2008, Merkel a insisté pour que chaque État veille à s’acquitter intégralement des dettes de ses propres institutions financières et de son gouvernement. Sans s’en rendre compte, l’Allemagne répète l’erreur tragique commise par la France après la Première Guerre mondiale. L’insistance du Premier ministre Aristide Briand autour du sujet des réparations ne mena-t-elle pas en effet à l’arrivée au pouvoir d’Hitler? Les politiques d’Angela Merkel donnent aujourd’hui naissance à un certain nombre de mouvements extrémistes dans le reste de l’Europe.

Les dispositions régissant actuellement l’euro ne devraient pas disparaître de sitôt, dans la mesure où l’Allemagne entend bien ne fournir qu’un effort minimum pour préserver la monnaie unique – étant par ailleurs entendu que les marchés et les autorités européennes puniront tout État qui se risquerait à défier ces arrangements. Il n’en demeure pas moins que la phase la plus aiguë de la crise financière est désormais terminée.

Les autorités financières européennes ont reconnu de manière tacite que l’austérité était une solution contre-productive, et ont cessé d’imposer davantage de contraintes budgétaires. Ceci a permis de conférer une certaine marge de manœuvre aux pays débiteurs et, malgré l’absence de toute perspective de croissance, les marchés financiers se sont stabilisés.

Les crises futures seront d’origine politique. Cette affirmation se vérifie d’ores et déjà, l’Union européenne étant notamment si repliée sur elle-même qu’elle ne peut répondre de manière appropriée aux menaces extérieures, qu’il s’agisse de la Syrie ou de l'Ukraine. Cette évolution n’a cependant rien d’inéluctable; la réapparition d’une menace en provenance de Russie pourrait bien inverser la tendance actuelle à la désintégration de l’Europe.

Ainsi la crise a-t-elle fait passer l’UE du statut d’ «objet fantastique,» suscitateur de tant d’enthousiasme, à celui d’entité radicalement différente. Ce qui devait être une association volontaire d’États égaux sacrifiant une partie de leur souveraineté en faveur du bien commun – l’incarnation des principes d’une société ouverte – a désormais été transformé par la crise de l’euro en un simple lieu de relations entre États créanciers et pays débiteurs, des relations aussi peu volontaires qu’équitables. Il n’est en effet pas impossible que l’euro aboutisse un jour à la destruction de l’UE toute entière.

Par opposition à l’Europe, les États-Unis se démarquent peu à peu comme l’économie la plus solide des pays développés. L’énergie que représente le gaz de schiste confère aux États-Unis un important avantage compétitif dans le secteur manufacturier en général, et notamment dans le domaine de la pétrochimie. Le secteur bancaire et les ménages progressent quant à eux sur la voie du désendettement. L’assouplissement quantitatif a permis de doper la valeur des actifs. Le marché du logement a également connu une amélioration, les travaux de construction aboutissant à une réduction du chômage. Le poids du fameux «séquestre» budgétaire devrait également bientôt n’être plus que de l’histoire ancienne.

Plus surprenant encore, la polarisation de la politique américaine montre aujourd’hui plusieurs signes d’inversion. Le bipartisme a relativement bien fonctionné pendant deux siècles, dans la mesure où les deux camps en présence devaient rivaliser pour la conquête du centre aux élections législatives. Le Parti républicain a par la suite été capté par une coalition de fondamentalistes de la religion et du marché, plus tard rejoints par les néo-conservateurs, coalition qui l’a déplacée vers une droite extrême. Les démocrates se sont efforcés de rattraper leur retard dans la conquête du centre, et les deux partis se sont entendus sur un charcutage des districts du Congrès. C’est ainsi que des primaires dominées par divers activistes ont pris le pas sur les élections législatives.

Ceci a achevé de polariser la politique américaine. En fin de compte, l’aile Tea Party du camp républicain est allée trop loin dans son pari. À l’issue du récent fiasco du shutdown, ce qui demeure de l’establishment républicain a commencé à riposter, ce qui devrait conduire au renouveau du système bipartite.

La plus grande incertitude à laquelle le monde est aujourd’hui confronté ne concerne nullement l’euro, mais bien la future trajectoire qu’adoptera la Chine. Le modèle de croissance à l’origine de l’ascension explosive du pays est en effet arrivé à essoufflement.

Ce modèle reposait sur des dispositions financières particulièrement contraignantes à l’endroit des ménages, destinées à stimuler la croissance des exportations et de l’investissement. Ce secteur des ménages s’est par conséquent érodé jusqu’à ne représenter que 35% du PIB, et les économies forcées auparavant préconisées ne suffisent plus à financer le modèle de croissance actuel. Ceci a abouti à une augmentation exponentielle du recours à diverses formes de financement de la dette.

On trouve là d’étranges ressemblances avec le contexte financier qui prévalait aux États-Unis dans les années ayant précédé l’effondrement de 2008. Mais l’on y trouve également une différence significative. Aux États-Unis, les marchés financiers ont tendance à dominer la politique ; en Chine, l’État est propriétaire des banques ainsi que de la majeure partie de l’économie, le Parti communiste contrôlant les entreprises étatiques.

Consciente des dangers qui pointaient à l’horizon, la Banque populaire de Chine a adopté à partir de 2012 plusieurs mesures destinées à freiner la croissance de la dette ; mais lorsque le ralentissement a commencé à faire naître une détresse réelle au sein de l’économie, le Parti a affirmé sa suprématie. En juillet 2013, les dirigeants du pays ont ordonné à l’industrie sidérurgique de réactiver les fourneaux, et sommé la BPC de faciliter le crédit. L’économie s’est en effet soudainement orientée dans une direction opposée. Au mois de novembre, le troisième Plénum du 18e Comité central a annoncé un certain nombre de réformes profondes. Ces évolutions expliquent en grande partie la récente amélioration des perspectives mondiales.

Le leadership chinois a eu raison de faire prévaloir la croissance économique sur les réformes structurelles, dans la mesure où lorsqu’elles sont combinées à une austérité budgétaire, ces réformes structurelles poussent l’économie dans une spirale déflationniste. Il demeure néanmoins une auto-contradiction non résolue au sein des politiques actuelles de la Chine : le redémarrage des fourneaux est en effet également synonyme de réapparition d’une croissance exponentielle de la dette, qui ne sera tout au plus tenable que pour quelques années.

La réponse à la question de savoir comment et quand cette contradiction sera résolue aura des conséquences considérables pour la Chine comme pour le monde entier. Un succès de cette transition chinoise entraînerait très probablement des réformes à la fois politiques et économiques, tandis qu’un échec remettrait en question la confiance encore solide du pays à l’égard de ses dirigeants politiques, faisant naître une répression sur le plan national, et une possible confrontation militaire à l’international.

L’autre grande problématique non résolue réside dans l’absence d’une gouvernance mondiale appropriée. Le manque de consensus entre les cinq membres permanents du Conseil de sécurité des Nations Unies a tendance à exacerber un certain nombre de catastrophes humanitaires dans des pays comme la Syrie – sans parler du fait qu’ils laissent s’aggraver le réchauffement climatique de manière quasi-impuissante. Mais contrairement au casse-tête qui préoccupe la Chine et qui devrait trouver une issue au cours des prochaines années, la problématique que constitue cette absence de gouvernance mondiale pourrait bien perdurer indéfiniment.

 

Traduit de l’anglais par Martin Morel

George Soros est président du Soros Fund Management ainsi que des Open Society Foundations.

Copyright: Project Syndicate, 2013.

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