Sahara: Un diagnostic sévère et sans complaisance

Médias 24 vous livre les principaux points du nouveau modèle de développement des provinces sahariennes, issu du rapport adopté le 24 octobre par le Conseil économique, social et environnemental.  

Sahara: Un diagnostic sévère et sans complaisance

Le 8 novembre 2013 à 15h01

Modifié 8 novembre 2013 à 15h01

Médias 24 vous livre les principaux points du nouveau modèle de développement des provinces sahariennes, issu du rapport adopté le 24 octobre par le Conseil économique, social et environnemental.  

Le constat est sans appel. En dépit des lourds investissements mobilisés depuis bientôt quatre décennies, les trois régions sahariennes (Laâyoune Boujdour, Dakhla, Smara) sont loin de répondre aux critères de développement. Le chômage y atteint les 17%, soit le double de la moyenne nationale, le climat des affaires n’est pas des plus propices, la création de valeur ajoutée n’est pas au rendez-vous, l’investissement privé fait défaut…

Bref, le modèle économique local n’est plus viable et demande à être revu de fond en comble. En plus de la mise en place d’une nouvelle politique sociale et d’une gestion rationnelle et équitable des ressources naturelles locales, c’est surtout le rôle de l’Etat qui doit être revu en adoptant une gouvernance équitable et responsable.

Principaux points analysés par le rapport du Conseil économique, social et environnemental (CESE).

Médias 24 a eu en effet accès aux grandes lignes de ce rapport, qui sont publiées ici pour la première fois. Dans son discours de la Marche Verte, le Roi Mohammed VI y a fait référence, notamment en évoquant le nouveau modèle de développement des provinces du sud.

Economie : les dépenses publiques et la logique de rente priment

D’abord le diagnostic: L'économie des provinces du sud est peu diversifiée.

Elle dépend principalement de la pêche et des phosphates et dans une moindre mesure du BTP, du commerce et de l’industrie.  Quelques chiffres : près de 75% des emplois sont concentrés au niveau de trois secteurs : la pêche, le secteur public, le commerce et les services. La pêche représente à elle seule 17% du PIB et 31% des emplois.

Autre fait marquant: L’économie locale reste très dépendante de l'Etat. Ce dernier contribue à hauteur de 54% au PIB régional. Les dépenses publiques y atteignent  5.500 DH par habitant, soit 31% de plus que la moyenne nationale (4.200 DH).

Plus inquiétant encore: au cours des auditions organisées par le CESE, plusieurs acteurs régionaux ont souligné la montée en puissance de l’économie et de la logique de rente.

Et ce n’est pas tout! En dépit des incitations fiscales octroyées, le climat des affaires reste peu attractif. En témoigne une faible présence du secteur privé qui ne représente que 1,2% du tissu industriel national. La non-application de la TVA ne profiterait qu’à deux types d’entreprises : d’abord aux producteurs installés dans ces régions, et qui commercialisentleurs marchandises dans d'autres régions du royaume, et les entreprises du BTP qui ont leur siège social dans ces régions.

D'autre part, la complexité des formalités administratives, la problématique du foncier ainsi que le manque de ressources humaines qualifiées participent, eux-aussi, à la détérioration du climat des affaires dans ces provinces.

L'accès difficile aux prêts bancaires n’est pas en reste étant donné les niveaux de garanties requises. Et cerise sur le gâteau : les provinces du sud  représentent moins de 1% des dépôts et de prêts bancaires.

Les principaux secteurs productifs sont à faible valeur ajoutée.

«Aucune stratégie régionale n’est mise en place pour la valorisation des produits, en particulier les produits de la mer et les phosphates, commercialisés à l’état brut», constate le rapport.

Prenons le cas des ressources halieutiques (79% des captures nationales proviennent des provinces du sud),  il se trouve que leur valorisation est effectuée systématiquement en dehors des provinces du sud.

Les autres secteurs ne sont pas mieux lotis.

L’agriculture souffre d’une difficulté d’accès aux ressources hydriques. Les mines et des hydrocarbures ne suscitent que peu d'intérêt parmi les principaux opérateurs internationaux. Le tourisme n’a pas encore su proposer une offre proprement dite en dépit des atouts patents de la région. Il n'a pas non plus su attirer les investisseurs (l’exemple d’Oued Chbika est édifiant).

Le secteur de l’artisanat est également menacé par la perte des compétences et d’un savoir-faire séculaire, en raison de la persistance des difficultés de l'approvisionnement en matières premières et du financement. Et tant que le tourisme n’a pas encore décollé, difficile de faire décoller l’artisanat.

L’informel grève les secteurs du commerce et des services.

Dans le domaine de la production d'énergies renouvelables, des potentialités existent notamment en matière d’énergies éoliennes. Elles permettraient non seulement de couvrir les besoins des provinces du sud, mais aussi d’approvisionner d’autres régions du Maroc. Mais reste à mettre en place un réseau à même d’orienter l’excédent de la production vers le marché du nord du pays. Rien que ça !

Le tableau est tout sauf rose !

Le chômage cible les jeunes et les femmes

Les chiffres sont éloquents : Le taux de chômage est de 17%, soit le double de la moyenne nationale (9% au niveau national, et 14% dans les zones urbaines). Il est particulièrement élevé chez les jeunes (28 %) et les femmes (35%) mais aussi parmi les personnes ayant une formation moyenne (34%) et les hauts diplômés (41%). L’informel produit 29% des emplois, contre  21% au niveau national.

Il est donc indéniable que le rapport du CESE pose la problématique d’accès à l’emploi. Mais cette fois-ci sur « la base de l’égalité des chances et de la méritocratie, loin des anciennes approches axées sur les aides et les privilèges. Ces approches ont conduit à une dépendance structurelle vis-à-vis des aides et des autorités qui les donnent », peut-on lire dans le rapport qui appelle à marquer une rupture dans le modèle de gouvernance.

Les secteurs productifs prometteurs sont à identifier  

Selon le rapport, les objectifs fixés consistent à doubler à terme le produit intérieur brut régional, et de réduire le taux de chômage de plus de moitié.

Cela passera d’abord par la mise en place d'un climat d’affaires équitable et attractif. Comment ? le CESE préconise l’adoption d’un dispositif fiscal clair qui maintient des taux d’IS et d’IR incitatifs, mais qui applique une TVA et des taxes locales identiques au reste du pays. « Ce système permettra la récupération de la TVA pour les investisseurs et les acteurs économiques et mettra un terme aux situations de rente », précise-t-on dans le rapport.

Ce document pointe aussi du doigt les dysfonctionnements du système foncier public dans la région.  « Il doit être régularisé et organisé le tout en prenant en compte la spécificité de chaque type de bien (oasis, zones côtières, régions intérieures ...) »

L’idée est entre autres d’aménager des zones économiques spécialisées… sur la base de cahiers de charges détaillés…

Trois pôles de compétitivité régionaux : pour quoi faire ?

Cette démarche rejoint l’idée d’une régionalisation avancée.  Trois pôles ont été identifiés. Chacun avec des prérogatives spéciales.

-Lâayoune- Boudjdor : il est conçu en tant que pôle économique diversifié alliant agriculture, élevage et pêche, industrie ( phosphates, matériaux de construction), énergies éoliennes, les chantiers navals, logistique, commerce, tourisme et artisanat. L'objectif est de faire de la région un hub pour les autres provinces du sud, les pays voisins et les pays d'Afrique sub-saharienne en matière de transport aérien et maritime.

-Oued Dahab-Lagouira : L’idée est d’en faire un pôle économique de pointe dans le domaine de la pêche maritime, le premier dans tout le Maroc. Cela suppose d’accélérer le développement de " pôles bleu" de Dakhla. L’agriculture, les énergies renouvelables, le tourisme, les sports nautiques, la logistique et le commerce y seront aussi développés.

-Guelmim-Smara : ce dernier aura pour vocation l’économie sociale et solidaire. Il ciblera donc en priorité l’agriculture et élevage, la pêche (en réduisant la part des engrais et de l'huile de poisson dans la transformation), l’écotourisme et le tourisme responsable.

Les secteurs qui doivent faire l'objet de stratégies et bénéficier de gros investissements sont: la pêche, l'agriculture, le tourisme, l'artisanat, les mines, les énergies renouvelables et enfin le commerce et la logistique car les régions sahariennes sont appelées à devenir un hub pour l'Afrique.

Répartition plus juste des aides sociales

Le CESE souligne que le système d’aide sociale ne répond pas à toutes les attentes, que ce soit pour sa nature ou son mode de distribution, et en dépit des efforts déployés dans la promotion de ce système d’aide depuis 2 ans, son impact sur le développement humain reste limité. En outre, l’Etat-providence suscite une forme dépendance et ne favorise pas toujours l’intégration à la vie active.

C’est pourquoi une nouvelle politique a été proposée dans le domaine de l'aide sociale, basée sur les principes d'équité, de justice, de transparence, d'efficacité et de responsabilité, en conformité avec les exigences de la Constitution et les exigences de la Charte sociale du CESE dans le domaine des droits de l'homme, note le rapport.

L’objectif est d’aider la population pauvre à sortir de la dépendance de l’aide sociale, à travers la création de programmes axés sur le travail, l’instauration d’une aide conditionnée ou non, dépendant de la gravité des cas.

Cette nouvelle politique sociale permettra d’ «assurer, autant que possible, une répartition juste et équitable de l'aide, afin de travailler dans le respect du principe d'équité pour ainsi améliorer les conditions de vie des plus pauvres», souligne le rapport.

Ce système est le résultat d'une étude comparative et une analyse approfondie de la situation locale. Il combine deux indicateurs principaux éléments : le niveau de bien-être tel que mesuré par le revenu, le seuil de la protection sociale, ainsi que les droits sociaux élémentaires : éducation, accès aux services de santé, aux systèmes sociaux et à un logement décent.

L'accueil de la population sahraouie des camps de Tindouf

Le CESE souligne que les pouvoirs publics fournissent beaucoup d’efforts, en dépit des problèmes rencontrés, notamment l’absence d’une politique sociale permettant de gérer le retour de cette population et son intégration à la vie active. L'approche actuelle ne tient pas compte de tous les volets humains, sociaux et économiques liés à cette question, note le rapport.

Le CESE estime que le retour de cette population doit se faire sur la base d'une stratégie de préparation et d'intégration progressive à l'environnement économique et social, combinée  à un suivi psychologique et à un soutien moral.

Pour ce faire, le CESE préconise de recenser cette population dès son retour tout en lui garantissant, à la fin de la période d’accueil et de réinsertion, des conditions de vie dignes, et une préparation pour s’adapter à la vie économique et sociale. Pour ce qui est des personnes vulnérables, elles devront bénéficier d’un programme d’aide sociale, comme cité plus haut.

Culture, éducation et formation, santé

Sur le plan culturel, le rapport propose de renforcer la composante culturelle du Sud dans le contexte de l'activation de la régionalisation avancée dans les provinces du Sud. Plus particulièrement, cela passe par la sauvegarde et la mise en valeur de la culture hassanie ainsi que le respect des droits linguistiques et culturels des provinces du sud.

Pour ce faire, le rapport préconise de créer des espaces de débat et de créativité pour faire de cette culture un facteur de promotion de l'intégration politique.

Parallèlement, il s’agit d’encourager le sport, notamment par la construction de complexes sportifs de proximité.

Education et formation

Il s’agit d’entretenir la dynamique de la réforme de l’éducation en élargissant l’accès à la scolarité. L’objectif est de former une élite locale et régionale attachée aux valeurs nationales.

Parmi les propositions du CESE :

-permettre aux titulaires d’un baccalauréat ou d’un diplôme supérieur de participer aux concours des grandes écoles marocaines;

-créer des filiales des grandes écoles et instituts dans les régions du sud ;

-aider les diplômés à s’intégrer dans la vie active ;

-optimiser les moyens matériels et humains ;

Secteur de la santé

La santé occupe depuis une trentaine d'années le devant de la scène, et le Sahara n’est pas en reste. Ce rapport propose en effet de réduire les disparités en matière d’accès aux services de santé et de renforcer la décentralisation, à travers la réévaluation de la qualité des traitements et de l'infrastructure, afin d’assurer la qualité des services et de répondre aux besoins de santé de la population du Sud du Maroc.

La gouvernance : transparence, respect des lois, dialogue, réforme du cadre foncier et fiscal

Le rapport d’étape du CESE du 30 mars 2013 avait mis en exergue les atouts et les acquis du processus de développement mené depuis la réintégration des trois régions du sud :

-Les indicateurs de développement humain situent ces régions parmi dans la partie haute des régions marocaines ;

-sécurité des biens et des personnes, liberté de déplacement, droit de propriété, libertés syndicales, droit de manifester, reconnaissance des droits humains essentiels sans exception, à l’instar des autres régions du Royaume.

- A cela s’ajoute l’unité des critères juridiques ainsi que la légitimité des institutions politiques et administratives.

Manifestement, cela ne suffit pas. Le développement des trois régions nécessite  la confiance, la démocratie sociale et le progrès.

Les visites de terrain, les rencontres avec la population, ont révélé des dysfonctionnements, des sentiments de colère et de déception de frustration,  dont une grande part provient de la mauvaise gouvernance.

Les différents interlocuteurs rencontrés sur place ont dénoncé :

-les dysfonctionnements dans l’application de lois et les difficultés d’accéder à la Justice : ce ne sont pas les lois qui sont mises en cause, mais la possibilité de les appliquer, notamment en matière foncière et fiscale ; même chose pour ce qui concerne la liberté syndicale, l’octroi d’autorisations à des associations, le faible nombre de tribunaux administratifs et commerciaux, l’absence de cour d’appel, ce qui constitue autant d’obstacles pour accéder à la Justice.

-les lacunes et insuffisances dans la communication des autorités publiques lorsqu’elles sont la cible d’accusations de violations des libertés. La plupart du temps, ces accusations restent sans réponse. Ceci contribue à saper la confiance.

-la faiblesse des mécanismes de lutte contre les discriminations envers les femmes et les catégories défavorisées : peu de femmes élues, discriminations persistantes à l’embauche…

-Critiques virulentes envers diverses administrations en charge des politiques de développement, en particulier l’Agence du sud.

-Le cadre réglementaire, en particulier fiscal et foncier, est considéré comme un obstacle au développement de l’initiative privée.

-Il y a peu d’occasions de rencontres, de forums, pas de dialogue avec la société civile.

Le rapport estime que la gouvernance doit avoir trois objectifs : établir la confiance, renforcer l’efficacité des politiques publiques, et renforcer la démocratie participative aux échelons local et régional.

D’où  la nécessité de :

- faire respecter la loi,

- expliciter les missions et les cadres d’intervention des différentes parties concernées par le développement des provinces du sud ;

-instaurer une vraie transparence, respecter la reddition des comptes.

Les interlocuteurs rencontrés sur place ont usé de termes comme corruption, abus de pouvoir et conflits d’intérêt, expliquant que ceci conduit à une désaffection des citoyens de la vie publique et à une faiblesse des investissements.

Le rapport préconise :

- la création d’un comité de vigilance et d’audit pour les administrations publiques,

- la publication de toutes les informations y compris les rapports annuels et les rapports financiers de toutes les entités publiques, avec des audits externes des comptes,

-favoriser un meilleur accès à la justice, créer un tribunal administratif, un tribunal de commerce et une cour d’appel pour chacune des trois régions.

-les instances de contrôle doivent être particulièrement présentes : cour des comptes, conseil de la concurrence, instance contre la corruption, le médiateur.

Au final et en matière de gouvernance, le rapport recommande le respect des lois, la réaffirmation de la suprématie des droits humains essentiels, l’égalité de traitement entre les citoyens, récompenser le mérite, réformer le cadre réglementaire du système foncier, un cadre fiscal clair et transparent, l’absorption progressive de l’informel, apporter des garanties de protection aux entreprises, rationaliser la gouvernance de l’Agence du Sud, le dialogue avec la société civile.

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