Fin du Franc CFA: révolution ou simple bascule technique?

Mehdi Michbal | Le 11/2/2020 à 14:59

Le Franc CFA sera rebaptisé "ECO" pour huit pays d’Afrique de l’ouest. Si on efface ce nom aux relents post-colonialistes, le fond ne change pas réellement, puisque la nouvelle monnaie sera toujours arrimée à l’euro, avec une parité fixe, et une conversion garantie encore et toujourspar Paris. Le Maroc est indirectement concerné ne serait-ce qu'à travers ses banques opérant dans les pays concernés.

A Paris comme dans certaines capitales d’Afrique de l’ouest, la fin du Franc CFA annoncée en décembre dernier par Emmanuel Macron et Alassan Ouattara, président en exercice de l’Ueoma, est présenté comme une grande révolution. La fin de l’hégémonie française sur l’Afrique de l’ouest. Mais il n’en est rien en vérité. En tout cas pour l’instant.

Il y a d’abord le spectre de cette décision, qui ne concerne que 8 pays sur les 15 qui forment la zone Franc CFA. Seuls les pays de l’Ueoma ont en effet signé l’accord (Bénin, Burkina Faso, Côte d'Ivoire, Guinée-Bissau, Mali, Niger, Sénégal et Togo).

Les Seychelles ainsi que les pays d’Afrique centrale ralliés à la zone Cemac resteront dans le Franc CFA. C’est le cas du Cameroun, du Congo, du Tchad, de la République Centrafricaine et du Gabon.

Le Franc CFA n’est pas donc mort en Afrique. Et pour les huit pays qui ont choisi de sauter le pas, la réforme est certes révolutionnaire sur le plan politique, mais ne change rien en matière d'équilibres et rapports de force économiques.

Une décision hautement symbolique

"Franc des colonies françaises d’Afrique". C’est ce nom, quoique ayant changé après les indépendances de 1960 pour devenir le "Franc des communautés financières d’Afrique", qui posait problème. Perçu comme un symbole du post-colonialisme français, il consacrait la tutelle et la domination qu’a continué d’exercer Paris sur les pays ouest africains.

Ce nom changera pour devenir ECO. La symbolique est forte, car c’est l’un des derniers vestiges de la colonisation qui tombe.

Les huit Etats africains ayant signé l’accord ont obtenu aussi des mesures très fortes en ce sens. Plus aucun représentant de la France ne siégera dans les organes de gouvernance de l’Ueoma et de la Banque centrale des pays d’Afrique de l’ouest. Et ces huit pays ne seront désormais plus obligés de déposer la moitié de leurs réserves en devises chez la Banque de France.

La présence de fonctionnaires français dans les hautes instances de gouvernance de cet espace économique permettait jusque-là à Paris de garder un œil sur la politique monétaire et budgétaire de la zone. Et de veiller à ses intérêts et à ceux de ses entreprises. Quand les dépôts obligatoires, perçus par les peuples d’Afrique de l’ouest comme de la spoliation organisée, étaient censés couvrir ces Etats et garantir la convertibilité de leur monnaie en cas de crises ou de chocs économiques.

En obtenant la levée de l’obligation de dépôt de leurs réserves à Paris et la sortie des représentants de la France des organes de gouvernance de l’Ueoma et de sa banque centrale, ces huit pays d’Afrique coupent le cordon ombilical avec l’ancien colon. Mais ne mettent fin complètement à la tutelle monétaire et économique que Paris a toujours exercée dans la région, car sur le fond, rien ne change.

ECO et Franc CFA: les mêmes faces d’une seule pièce

On efface le franc CFA. On écarte les représentants de la France de la Banque centrale des pays d’Afrique de l’ouest (BCEAO). On ne transfère plus la moitié des réserves en devises de ces pays vers la France. Par contre, la France reste, selon les termes de l’accord, le garant de la nouvelle monnaie. Mieux encore, la parité avec l’euro restera inchangée (1 euro pour 655,96 francs CFA ou ECO).

Sur le plan économique et monétaire donc, c’est le statu quo qui continuera de régner. Demeurant le garant de l’ECO en cas d’incapacité de l’un des huit Etats africains à payer des échéances de dette en devises, ou à financer ses importations, Paris gardera de facto un droit de regard sur les politiques monétaires de la région. Seule différence avec aujourd’hui, la tutelle ne s’exercera pas de manière directe, frontale, visible.

Et si le nom de la monnaie change, sa teneur, elle, demeure également intacte. Or, ce que les économistes africains critiquaient dans le Franc CFA, au-delà de son acronyme post-colonial,  c’est son arrimage à l’euro, une monnaie déconnectée des réalités locales.

Surévalué, car indexé sur une monnaie européenne trop forte, le Franc CFA est considéré comme un des freins à la compétitivité des économies ouest africaines. Il handicape tout décollage industriel, renchérit le coût des importations et rend donc difficile l’accès pour les populations locales aux produits de consommation et d’équipement. Une situation qui ne profite réellement qu’aux exportateurs en euros, des Français pour la majorité, et des opérateurs européens installés sur place, comme le pointent plusieurs économistes anti-FCFA.

Du dollar et du Yuan pour alléger la dépendance à l’euro

Pourquoi donc changer de monnaie si les conditions de sa convertibilité restent les mêmes? Pour éviter les risques d’inflation, avait répondu le président ivoirien Alassane Ouattara au moment de l’annonce de la réforme. Mais aussi, comme le signalent plusieurs autres économistes, pour rassurer les investisseurs qui pourraient craindre des fluctuations trop fortes de l’ECO en cas de décrochage avec l’Euro. Un raisonnement qui se tient, car le risque de fuite des capitaux reste grand en cas d’incertitudes sur la valeur future d’une monnaie.

A ce titre, il faut souligner que les banques marocaines, fortement exposées dans les pays de l’Uemoa, ont tout intérêt à ce que l’arrimage avec l’euro ne soit pas cassé de sitôt. Cela pourrait compromettre leurs équilibres bilanciels, par la réduction (en cas de forte dépréciation de la l'ECO) de la valeur de leurs actifs et l’effacement des dettes qu’elles détiennent auprès des Etats de la région.

Maintenir un arrimage avec l’euro, avec une garantie de l’Etat Français, arrange donc les investisseurs et les opérateurs économiques de tous bords. Mais ne satisfait pas la nouvelle génération d’économistes "souverainistes" qui veulent couper tout lien avec la France et devenir maîtres de leur propre politique économique et monétaire.

La révolution a donc commencé. Elle est symbolique. Mais elle n’est pas complète. Et l’Afrique de l’ouest ne recouvrera sa pleine souveraineté monétaire que si elle se défait du garant français et qu’elle fabrique une monnaie qui reflète la structure de son économie et de ses échanges. 

Beaucoup appellent justement, comme c’est le cas au Maroc, à arrimer l’ECO à un panier de devises, où le dollar américain et le Yuan chinois viendraient alléger un peu la dépendance face à l’euro. Et d’introduire en parallèle une flexibilité des changes pour donner des armes de compétitivité aux opérateurs locaux. Ce sera peut être la seconde étape, la plus marquante et la plus décisive, pour tourner une fois pour toutes la page de la "Françafrique".

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