OPCI : Mohamed Boumesmar pointe les améliorations à apporter à la fiscalité (Entretien)

Sara El Hanafi | Le 30/1/2020 à 13:49

Mohamed Boumesmar, expert-comptable et membre de la Commission Fiscalité de la CGEM, explique comment l’écosystème des OPCI nécessite encore quelques réglages fiscaux et comptables qui pourraient lui garantir un meilleur décollage.

Dans cet entretien accordé à LeBoursier, l’expert-comptable Mohamed Boumesmar livre les différents éléments comptables et fiscaux nécessaires pour compléter l’écosystème des OPCI au Maroc et encourager notamment le lancement des OPCI grand public par la suite.

- Le Boursier: Alors que les premiers OPCI viennent de démarrer, à combien estimez-vous l'épargne qu'ils pourront drainer pour cette première année d'activité et sur un horizon temporel plus long?

Mohamed Boumesmar: Il est aujourd’hui très difficile de prévoir, avec précision, le potentiel des OPCI par année. Ce qui est sûr c’est que le potentiel du marché parait très intéressant selon plusieurs opérateurs du secteur. On parle de 200 milliards de dirhams mais sans préciser l’horizon.

Lorsqu’on sait que ce marché inclut aussi bien les bureaux administratifs que les infrastructures commerciales, industrielles ou de services (Malls, usines, hôtels, dépôts logistiques, etc.) sans oublier, bien entendu, quelques créneaux du locatif résidentiel, et que ces investissements seront valorisés à leur valeur de marché, le potentiel de 200 milliards ne semble pas surprendre surtout qu'au bout de 20 ans les OPCVM ont pu représenter un stock de plus de 450 milliards de dirhams et que l’épargne institutionnelle recherche des projets disposant d’une rentabilité durable et sécurisée comme les OPCI.

- Avez-vous constaté un engouement des institutionnels pour les premiers OPCI qui viennent de démarrer?

L’engouement pour les premiers OPCI peut s’expliquer notamment par le stock des projets qui étaient en attente du dispositif légal et réglementaire. La fin programmée au 31 décembre 2020 du régime de différé d’imposition avec le bénéfice d’une imposition réduite (50% de réduction) des plus-values au titre des apports d’immeubles aux OPCI devrait également accélérer les opérations d’apports prévus par les professionnels aux futurs OPCI.

La situation d’attentisme observée au niveau du secteur de l’immobilier en général peut être propice à des placements en OPCI par des investisseurs qui ont un horizon moyen ou long terme et qui peuvent profiter d’opportunités immobilières dans ce contexte.

Cependant, l’intervention cruciale de l’AMMC qui vise à sécuriser le lancement de ce marché sera là pour correctement réguler et encadrer cet engouement et ceci dans l’objectif d’assurer les conditions optimales de lancement et de gestion sécurisée des premiers OPCI. En effet, ces derniers pourront servir de locomotive et seront très attendus et suivis de près par l’écosystème concerné (opérateurs, investisseurs, promoteurs, analystes, administrations….).

- La réglementation et le régime fiscal en vigueur sont-ils favorables à un développement rapide des OPCI? Y a-t-il des améliorations à y apporter ? 

Premièrement, en raison du retard observé au niveau de la mise en place du dispositif réglementaire des OPCI qui n’a été finalisé que vers fin 2018/début 2019, il est à notre avis recommandé que la fin du régime fiscal transitoire des apports d’immeubles aux OPCI soit reporté de deux ou trois ans.

Rappelons que les apports (de même que les acquisitions) présentent l’avantage du délai rapide d’introduction d’immeubles dans le marché des OPCI.

En second lieu, un travail d’harmonisation entre le CGI (Code général des impôts) et le futur plan comptable établi en application de la loi 70-14 relative aux OPCI devrait être lancé aussitôt ce plan comptable approuvé par le Conseil National de la Comptabilité, notamment pour clarifier les conditions d’exonération et en particulier les conditions liées aux modalités de distribution des résultats, surtout que la notion de résultat au niveau des OPCI comporte plusieurs niveaux que le CGI n’intègre pas.

En outre, l’article 7–XI relatif aux conditions du bénéfice des exonérations accordées aux OPCI ne parle que des "éléments apportés" et semble ignorer les immeubles "acquis ou construits"; ce qui peut créer des difficultés au niveau de l’application et du contrôle des dispositions fiscales sur lesquelles reposent le bénéfice de la neutralité fiscale des OPCI.

De même, le CGI devrait prévoir un régime de neutralité fiscalité (ou d’imposition différée à l’image du régime des apports d’immeubles précité) à la reconversion de sociétés foncières existantes (et qui répondent aux conditions légales et réglementaires des OPCI ou qui s’engagent à le faire dans un délai déterminé) pour se transformer en OPCI.

Par ailleurs, partout où les OPCI ont connu le développement d’un marché florissant, nous observons que leur écosystème est couvert dans sa totalité par le bénéfice de la neutralité fiscale y compris les filiales d’OPCI: ne pas soumettre à un rythme de distribution accéléré des dividendes qui ont déjà subi l’impôt à titre d’exemple.

Enfin et sans prétendre à une quelconque exhaustivité, nous pensons que le régime de droit commun de TVA ne sera pas favorable à la constitution d’OPCI ayant la taille critique et la diversité nécessaire pour la mutualisation des risques et l’attrait des investisseurs aussi bien institutionnels que privés.

En effet, après la période de trois ans et en l’absence d’une convention fiscale avec l’Etat, l’investissement immobilier conduira à la constitution de crédits de TVA structurels en raison du faible montant des TVA collectées sur les loyers d’une part et du délai de remboursement effectif des demandes qui peuvent être effectuées dans le cadre de l’article 103 bis d’autre part. Ceci peut obérer la rentabilité et la liquidité des OPCI et accroitre les risques encourus par ces nouveaux véhicules.

- Y a-t-il d'autres difficultés qui pourraient entraver le bon démarrage des OPCI ainsi que leur développement ?

A côté du plan comptable qui n’est pas encore approuvé et publié, les OPCI RFA [à Règles de Fonctionnement Allégées, les OPCI destinés aux investisseurs qualifiés, ndlr.]  ne devraient pas rencontrer de difficultés particulières à part les contraintes liées à l’évolution sur le moyen terme de la demande en matière d’actifs immobiliers locatifs, et l’évolution de la conjoncture économique en général et celle du marché immobilier en particulier.

Je pense qu’à l’instar de ce qu’on a observé sous d’autres cieux, les OPCI version marocaine vont connaitre une adaptation réglementaire voir légale au fur et à mesure de la création des OPCI et de l’expérience pratique qui en découlera. En matière d’OPCI, chaque pays a connu une expérience qui lui est spécifique qui a influé sur son cadre légal et réglementaire, et notre pays ne fera pas exception.

Par contre, je pense que pour les OPCI Grand Public, ces derniers auront besoin de leviers de sécurisation supplémentaires dont notamment la Bourse à travers les OPCI cotés d’une part, des incitations fiscales dédiées (à l'instar du régime de l’assurance-vie en France) et d’une garantie de liquidité plus concrète d’autre part.

- A quel horizon pensez-vous que les OPCI seront ouverts aux particuliers ? Surtout que ceux-ci manifestent déjà un intérêt pour ce nouveau véhicule d'investissement...

Je pense qu’à l’instar des expériences de plusieurs pays étrangers, les OPCI Grand Public requièrent un délai de gestation plus long que ceux à Règles de Fonctionnement Allégés (RFA) destinés aux investisseurs qualifiés.

Contrairement aux OPCVM, les OPCI associent de la liquidité (ou quasi liquidité) à de l’immobilier ; ce qui peut présenter une certaine complexité pour le Grand Public. Lorsqu’on ajoute à cela la possibilité qui doit être donnée aux particuliers de sortir rapidement face à une poche de liquidité qui, elle, est réglementée, on comprend la position de prudence observée par l’AMMC pour ne pas faire des OPCI Grand Public sa grande priorité durant la période de lancement de ces organismes dans notre pays.

Rappelons que les OPCI Grand Public n’ont démarré réellement en France que lorsque ces derniers ont été admis comme produits d’épargne dans le cadre de l’assurance vie avec des garanties et autres incitations fiscales intéressantes (obligation de liquidité très rapide garantie par les assureurs, fiscalité de l’assurance vie plus intéressante, pas de fiscalisation tant que les achats et ventes de parts d’OPCI ne sortent pas du contrat d’assurance, etc.).

Vous avez un projet immobilier en vue ? Yakeey & Médias24 vous aident à le concrétiser!

Si vous voulez que l'information se rapproche de vous

Suivez la chaîne Médias24 sur WhatsApp
© Médias24. Toute reproduction interdite, sous quelque forme que ce soit, sauf autorisation écrite de la Société des Nouveaux Médias. Ce contenu est protégé par la loi et notamment loi 88-13 relative à la presse et l’édition ainsi que les lois 66.19 et 2-00 relatives aux droits d’auteur et droits voisins.
lire aussi
  • | Le 3/5/2024 à 16:28

    BTP : une bonne tenue du secteur attendue cette année

    Anticipée comme bonne par les professionnels du BTP, l’année 2024 devrait confirmer un bon trend dans les mois à venir. Au premier trimestre déjà, l’encours des crédits bancaires au secteur du BTP bondissait de 16% à 96,6 MMDH. Les ventes de ciment à fin avril, elles, progressaient de 3,5% par rapport à l’année précédente.
  • | Le 3/5/2024 à 9:08

    Forte reprise de la consommation de ciment en avril

    Le mois d’avril a connu un sursaut de consommation de ciment. Depuis le début de l’année, les ventes de ciment ont progressé de 3,5% à 4,1 MT.
  • | Le 2/5/2024 à 15:20

    En mars, l'encours des crédits progresse de 69 MMDH sur 12 mois glissants

    L'encours global des crédits en mars a progressé de près de 19 MMDH d'un mois sur l'autre. Les créances en souffrance progressent de 4,8 MMDH sur une année glissante. L'encours des crédits bancaires concernant la branche d'activité du BTP a fortement progressé de 16% à 96,6 MMDH au premier trimestre. Une hausse notable qui provient de la hausse des mises en chantiers des grands projets d'infrastructures.
  • | Le 2/5/2024 à 13:03

    La barre des 400 MMDH de cash en circulation a été franchie en mars (BAM)

    Le cash en circulation a atteint les 400 MMDH en mars 2024. En un mois, il a progressé de plus de 5 MMDH et de plus de 37 MMDH sur 12 mois glissants. Les dépôts bancaires progressent également en mars. En 12 mois, ils ont augmenté de près de 50 MMDH pour atteindre 1.177 MMDH.
  • | Le 2/5/2024 à 10:49

    Baisse de 5,1% des recettes touristiques à fin mars

    Les dépenses de voyages progressent bien plus fortement que les recettes à fin mars. Le solde de voyages recule de 17,6% à fin mars à 16 MMDH.
  • | Le 1/5/2024 à 16:30

    Inetum Maroc se renforce : “Il y a les talents, les conditions et la taille critique pour le faire” (PDG)

    Le géant des services numériques a annoncé vouloir tripler ses effecifs au Maroc d'ici 2027. Le PDG du groupe revient pour Médias24 sur les raisons de ce choix stratégique et sur l'évolution de l'activité du groupe depuis 20 ans d'implantation dans le royaume. Base offshore réputée dans l'Hexagone, le Maroc devient également de plus en plus attractif avec un marché local en fort développement. Entretien.