Mesures de sauvegarde: Audience tendue entre Maghreb Steel et ses adversaires

Sara El Hanafi | Le 20/12/2019 à 13:42

Les représentants de pays et industriels exportateurs de tôles laminées à chaud, qui font l'objet d'une enquête pour l'instauration d'une mesure de sauvegarde définitive demandée par le producteur national Maghreb Steel, ont exposé un argumentaire pour prouver l'absence d'un lien de causalité entre l'augmentation des importations et la situation de l'aciérie marocaine. Cette dernière s'est également défendue pour prouver le contraire.

Jeudi 19 décembre, le siège de la Direction du Commerce du ministère de l'industrie à Rabat a été le théâtre d’une audience publique tenue dans le cadre de l’enquête de sauvegarde sur les importations de tôles laminées à chaud, initiée suite à une requête de mesure de sauvegarde par le producteur national Maghreb Steel.  

Au menu du jour, argumentaires de divers représentants de pays et industriels exportateurs de tôles laminées à chaud vers le Maroc, pour tenter de démontrer l’absence d’un lien de causalité entre l’augmentation des importations marocaines de ce produit et la situation fragile de Maghreb Steel. En face, les représentants de l’aciériste marocain ont tenté de prouver que le dommage subi par la branche de production nationale est directement lié à l’augmentation de ces importations.

Les représentants des exportateurs, dont des géants de l'aciérie comme ArcelorMittal ou Tata Steel, ont été présents à l'audience pour défendre une nouvelle fois leur dossier.

Rappelons que Maghreb Steel a déjà décroché une mesure de sauvegarde provisoire sous la forme d'un droit additionnel ad valorem de 25% sur le produit en question, valable pour 200 jours.

Ceci après l'expiration d'une mesure anti-dumping qui a visé six exportateurs précis à la demande de Maghreb Steel, après une enquête menée par le département du Commerce Extérieur qui avait conclu que le produit de cette dernière fait l'objet d'un dumping qui lui a causé un dommage important.

"Puisque le nouvel instrument de sauvegarde cible les importations de toute origine, il doit être utilisé uniquement dans des situations exceptionnelles et dans le strict respect des règles de l’OMC", a avancé une représentante de la Commission Européenne.

Etablir l'accroissement "récent et soudain" des importations

Selon les pays exportateurs des tôles objets de la mesure de sauvegarde, ces situations "exceptionnelles" qui justifient l'implémentation de celle-ci ne s’appliquent pas au cas de Maghreb Steel.

Les démarches prescrites par l’OMC en matière de défense commerciale prônent d’établir un accroissement récent et soudain des importations. Le clan des exportateurs de tôles laminées à chaud estime qu’il n’y a pas eu d’augmentation qui remplit ce critère.

Sur la période étudiée, à savoir 2014-2018, les parties adverses avancent qu’une forte augmentation des importations a certes été constatée en 2015 mais que celles-ci sont restées stables en 2016 et ont même chuté en 2017, avant de repartir à la hausse en 2018. Une dernière augmentation qui compense selon-eux la stabilité et la chute observées les années précédentes.

"Il s’agit donc d’une hausse qui n’est ni récente, ni soudaine", avance la même représentante de la Commission Européenne.   

Pour Maghreb Steel toutefois, il ne s'agit pas d'étudier chaque année séparément. La compagnie avance que sur la période étudiée, les importations de tôles laminées à chaud ont augmenté de 44%. Et rien que sur les neuf premiers mois de 2019, elles ont augmenté de 12% en glissement annuel. Maghreb Steel souligne que cette donne a eu des impacts très nocifs sur une industrie nationale qui reste de taille relativement petite.

Etablir le dommage grave, et le lien de causalité

Toujours selon les règles de l’OMC, l'implémentation de mesures de sauvegarde doit découler de l'établissement d'un lien de causalité entre l’augmentation des importations et le dommage subi par la branche de production nationale.

Les parties adverses reconnaissent les difficultés de Maghreb Steel au cours de la période d’analyse mais avancent qu’en dépit de la hausse des importations, l’aciérie nationale a pu améliorer certains indicateurs. Outre les ventes, elles évoquent une hausse du taux d’utilisation des capacités de 23% et une productivité en progression de 45%.

Les représentants des pays et industriels exportateurs évoquent également la récente sortie de Hatim Senhaji, Directeur Général de Maghreb Steel, qui déclarait que la part de marché de l’entreprise se situe entre 70% et 80% actuellement, soit une part de marché assez significative; et que le problème structurel de l'aciérie reste sa surcapacité de production. Pour les exportateurs étrangers et même les importateurs marocains, il s’agit d’un aveu clair que le dommage subi par Maghreb Steel n’est pas lié à la hausse des importations.

Pour ces derniers donc, il n’existe pas de lien de causalité entre la hausse des importations marocaines de tôles laminées à chaud et les difficultés en termes de profitabilité de Maghreb Steel; et que par conséquent, les critères pour l’imposition d’une mesure de sauvegarde ne sont pas remplis.

"Les autorités marocaines devront donc s’abstenir d’imposer des mesures injustifiées dans le respect de leurs obligations en tant que membre de l’OMC et en vertu de l’accord d’association avec l’UE", a ajouté la représentante de la Commission Européenne.

Mais pour Maghreb Steel, sa situation reste critique et précaire sur toute la période étudiée et ce malgré l'amélioration de certains de ses indicateurs. Les représentants de l'aciérie avancent d'ailleurs que cette amélioration est due aux contraintes imposées par son plan de redressement qui tient compte des éléments sous son contrôle.

"Et ça a marché en dépit de la progression des importations", affirme un avocat du cabinet Garrigues qui représente Maghreb Steel. "Mais lorsque vous regardez les chiffres, vous trouverez que Maghreb Steel a réussi à améliorer sensiblement sa position et ses chiffres lorsque les importations ont chuté", soit en 2016 et en 2017. La reprise des importations en 2018 a pénalisé la compagnie.

"La reprise des importations a induit une évolution négative de tous les indicateurs. La corrélation temporelle est donc indéniable", a avancé le représentant de Maghreb Steel.

Année 2012 2013 2014 2015 2016 2017 2018
Ebitda (MDH) -154 -147 -218 -52 213 200 82
Résultat Net (MDH) -499 -662 -745 -564 -136 -132 -314
Volume ventes (Total en KT) 356 320 319 326 444 516

377

Local (KT) 203 216 268 277 349 376 292
Export (KT) 153 104 51 49 94 140 85

Evolution des résultats de Maghreb Steel depuis 2012

Quant à la surcapacité de production de l'aciérie, les représentants de celle-ci estiment que son million de tonnes de capacité de production ne représente pas grand chose face aux capacités d'autres producteurs. "La surcapacité de production ne va pas disparaître dans l'avenir proche", ajoute le même interlocuteur.

"Le Maroc est un petit pays, si les juridictions de tous les autres pays ont été forcées à instaurer des mesures de sauvegarde, il est normal que l'on fasse ici la même chose", a-t-il conclu.

Au-delà des arguments de Maghreb Steel et des exportateurs étrangers qui verront leur part de marché au Maroc impactées par une éventuelle mesure de sauvegarde, des opérateurs marocains notamment des industriels en aval sont également préoccupés par celle-ci, estimant qu'elle risque de nuire à leur compétitivité.

D'autant plus que certains produits concernés par l'enquête et déjà sujets à la mesure de sauvegarde provisoire ne sont pas produits par Maghreb Steel: "La tôle laminée à chaud est un produit qui dispose de plusieurs nuances et il est difficile de déterminer un tarif pour chaque type de tôle", avance un représentant du Département du Commerce Extérieur.

Celui-ci ajoute tout de même que la mesure provisoire telle qu'elle a été appliquée permet sur la base d’une petite procédure d’exclure des produits non fabriqués par Maghreb Steel au cas par cas; bien que des voies s'élèvent pour exclure tous ces produits là une fois pour toute du champ d'application de ladite mesure et même de l'enquête, ceux-ci ne causant aucun dommage à l'industrie nationale.

>> Lire aussi: Maghreb Steel: les résultats de 2018 en baisse

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