Samir Bennis

Conseiller politique à Washington D.C., rédacteur en chef de Morocco World News.

Sur le conflit du Sahara, la presse française préfère l’activisme au journalisme

Le 20 mars 2023 à 16h08

Modifié 21 mars 2023 à 7h38

Il semblerait que les médias français de tous bords ont trouvé ces derniers temps un nouveau sujet de prédilection : celui du Sahara. Il ne se passe pas un jour sans qu’un des médias parisiens se penche sur le sujet. Que ce soit France24, RFI, Le Monde ou encore Marianne, le dénominateur commun du traitement du différend par ces organes de presse français est un parti pris aussi flagrant que choquant contre le Maroc.

Au lieu d'offrir une lecture factuelle et objective des origines juridiques et historiques du conflit, ces médias français s'empressent de présenter le différend en des termes absolus, sans aucune nuance. A les lire, sautent aux yeux un manque criard d'objectivité et une tendance à verser dans l’exagération afin de jouer sur la fibre émotionnelle du lecteur non avisé.

Ainsi, dans le seul but de promouvoir “le droit des Sahraouis à disposer d’eux-mêmes,” l’on n’hésite pas à recourir à des allégations pleines de contre-vérités ou de demi-vérités pour, selon la formule de George Orwell, donner un habillage de vérité au mensonge et “une apparence de solidité à du pur vent.”

Plutôt que d’informer leurs lecteurs sur les véritables enjeux du conflit, ces médias semblent être dans une optique d’activisme intellectuel qui excelle dans le manichéisme. Ce faisant, là où échoue le mensonge éhonté, l’on fait recours aux raccourcis et aux omissions pour pousser le lecteur à se rallier au camp du Bien que représenterait le polisario.

Prétendre par exemple que le Maroc aurait pris le contrôle du Sahara par la force est au mieux fallacieux et est en contradiction avec un fait historique avéré : la très pacifique Marche Verte par laquelle Maroc a contraint l’Espagne à mettre un terme à son occupation du Sahara. Tout aussi fallacieux est le fait de ressasser que le polisario serait le seul représentant légitime des Sahraouis.

En effet, de tels arguments omettent le fait que les Sahraouis des camps de Tindouf en Algérie viennent non seulement du territoire contesté, mais aussi du Niger, du Mali, de la Mauritanie et de l'Algérie. Et pour s’en convaincre, on n’a qu’à lire un vieil article du journal Le Monde dont le correspondant à Madrid en 1979 disait explicitement que, malgré son soutien pour la thèse séparatiste du polisario, le gouvernement espagnol savait pertinemment que la moitié des Sahraouis dans les camps de Tindouf n’étaient pas originaires du Sahara.

Dans son livre sur l'histoire et la genèse du conflit du Sahara, le journaliste et anthropologue franco-italien, Attilio Gaudio, démontre la "profonde ignorance des intellectuels et politiques occidentaux de l'histoire et des réalités sociales du Maghreb". Selon Gaudio, c’est cette ignorance des enjeux historiques et sociopolitiques de ce différend qui pousse souvent les intellectuels occidentaux à se livrer à un récit caricatural de l'histoire du conflit. Et c'est exactement ce que nous constatons depuis plusieurs semaines concernant le traitement du conflit par les médias français.

Un référendum mort-né

Ignorant les développements en cours dans le processus politique dirigé par l'ONU, certains commentateurs français continuent d'analyser le différend  depuis une perspective surannée. La récente tribune de Gilles Devers sur les colonnes du journal Le Monde en est la parfaite illustration.

En la lisant, on a l'impression que l'histoire du conflit a commencé en 1975 et s'est arrêtée en 1991 avec la création de la Minurso, mission chargée de faire respecter le cessez-le-feu et d’organiser un référendum d'autodétermination. Rien de ce qui s'est passé avant et après ces dates ne semble être pertinent pour Devers, dont l’analyse à charge contre le Maroc verse dans les outrecuidances auxquelles nous ont habitués les activistes pro-polisario. Entre autres, l’auteur passe sous silence la genèse du polisario, notamment le fait que ce front séparatiste, dont la plupart des fondateurs ont étudié à l’université de Rabat, a d'abord inscrit son opposition au colonialisme espagnol dans le sillage du nationalisme marocain et a ainsi cherché à être parrainé par le Maroc.

Mais Rabat, qui était dans l’optique d’éviter une confrontation armée avec Madrid, surtout après que la France ait aidé l’Espagne à mettre en déroute l'armée marocaine de libération nationale lors de la Guerre d’Ifni entre 1957-58, misait plutôt sur une reprise pacifique de ce qu’il a toujours considéré comme ses Provinces du Sud. C’est donc le refus de Rabat de parrainer sa voie de décolonisation armée qui poussera le front séparatiste à se tourner vers l'Algérie de Boumediène et la Libye de Kadhafi. Et nous connaissons la suite de l’histoire.

L’autre fait historique fondamental que Devers refuse sciemment de mentionner est que le Maroc, juste un an après son indépendance de la France en 1956, s’activait déjà dans la voie de la revendication du territoire contesté. Et c’est donc le Maroc qui, en 1964, pousse l'ONU à inclure le Sahara dans sa liste des territoires non autonomes.

Par opportunisme politique, Devers considère que l’ONU a une responsabilité morale à appliquer le référendum d'autodétermination pour en finir avec ce différend autour du Sahara. Dans sa vision manichéenne du conflit, je l’ai dit, le Maroc serait le méchant du film, la puissance occupante qui aurait annexé un territoire sans défense et, depuis lors, aurait entravé tous les efforts de l'ONU pour organiser un référendum.

Or, selon Erik Jensen, ancien chef de la Minurso, la manière précipitée dont l'ONU a conclu l'accord de cessez-le-feu en 1991, ainsi que les désaccords sur le droit de vote des Sahraouis, sont les raisons principales pour lesquelles le référendum n’a jamais eu lieu. Pour Jensen, en effet, le référendum demeure irréalisable parce qu’il est “mort-né.”

L'ancien secrétaire général de l'ONU Kofi Annan a confirmé cette lecture dans un rapport de février 2000. Reconnaissant que l'ONU n'avait pas les moyens de faire appliquer le résultat d'un éventuel référendum, Annan a notamment suggéré à l’ONU d'envisager d'autres moyens de sortir le différend de l'impasse. Il a demandé à James Baker, qui était alors son représentant spécial dans le dossier du Sahara, "d'explorer les voies et moyens de parvenir à une résolution rapide, durable et consensuelle".

Baker a soumis deux propositions de résolution entre 2001 et 2003. Le Maroc a accepté la première, mais le polisario et l'Algérie l'ont rejetée. Et tandis que l'Algérie et le polisario ont accepté la seconde proposition, le Maroc l’a à son tour rejetée. Suite à la démission de Baker en 2004, le Conseil de sécurité a demandé aux parties prenantes du conflit de soumettre une nouvelle série de propositions pour parvenir à une solution politique.

Consensus sur la solution politique

En 2007, le Maroc a présenté au Conseil son plan d'autonomie. Depuis lors, ce conseil onusien reconnaît le plan marocain comme "sérieux et crédible". Encore plus crucial, toutes les résolutions que le Conseil a adoptées durant la dernière décennie, notamment les Résolutions 2440, 2468, 2494 et 2548, ont fermement consacré le plan marocain comme étant la meilleure voie vers une solution mutuellement acceptable.

Malgré tous ces développements, les partisans du polisario et de l’Algérie considèrent encore toute tentative de parvenir à une solution politique, qui délégitime le référendum d’autodétermination, comme une violation du droit du "peuple sahraoui" à disposer de lui-même.

Encore une fois, cette lecture partisane ignore un fait clé contenu dans l'arrêt de la Cour internationale de justice (CIJ). Dans cet arrêt de 1975 que les défenseurs du polisario invoquent tant, la Cour a clairement indiqué qu'elle laissait à l'Assemblée générale de l’ONU une certaine “discrétion quant aux formes et procédures par lesquelles le droit à l'autodétermination peut être exercé”.

Outre le fait que l'avis de la CIJ était consultatif et non juridiquement contraignant, le mot "discrétion" donne à l'ONU une marge de manœuvre et d'interprétation pour rechercher d'autres moyens de parvenir à une solution durable au conflit.

Et c'est exactement ce que fait l'ONU depuis plus de 16 ans. Face à l'impossibilité de parvenir à une solution par référendum, le Conseil de sécurité a tout simplement recouru à exhorter les parties prenantes du conflit à négocier “une solution politique mutuellement acceptable basée sur le compromis.”

Le changement du statut juridique du territoire

Plus important encore, le récit approximatif des supporteurs des thèses séparatistes omet le fait que le statut juridique de ce conflit a changé en raison de la cohérence de la pratique, un principe fondamental du droit international coutumier.

Le langage qu’adoptent les résolutions de Conseil de sécurité depuis 2007, ainsi que son rappel constant aux parties prenantes à parvenir à une solution politique mutuellement acceptable, ont entériné le plan marocain comme la meilleure voie de sortie de l’impasse sahraoui.

N’en déplaise donc à M. Devers et à tous ceux qui en France cherchent à réactualiser la voie du référendum d’autodétermination, “le chaos total” qu’a créé l'avis consultatif de la CIJ du fait qu’il portait à confusion, ainsi que la reconnaissance par le Conseil de sécurité de l’impossibilité d’un référendum, font qu’il n’est pas seulement obsolète de continuer à brandir l'hypothèse de référendum comme voie de solution au conflit de Sahara, mais dangereux et irresponsable.

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