Politique économique post Covid-19 : le capteur est encore endommagé

Le 28 mai 2020 à 16h32

Modifié 10 avril 2021 à 5h03

"Il a gardé des premières années de la création de son entreprise l’habitude de réveiller très tôt le matin. Après 5 ans d’intense activité, les affaires commencent à marcher plutôt bien, mais ça n’a pas toujours été le cas. Les débuts étaient fort difficiles, car il avait dû mettre toutes ses économies dans ce projet et vivre dans le stress et l’incertitude. Il a dû, pendant de longs mois, tenter de joindre les deux bouts et jongler entre l’accès aux premières commandes, les problèmes de livraison, les retards de paiement des clients, l’impatience des fournisseurs et la boule de nerfs qu’il sentait dans le ventre à la fin de chaque mois pour payer les salaires et s’acquitter des charges familiales. Il fumait beaucoup, dormait peu et enchaînait les fast-foods au bureau. Ce rythme de vie avait commencé à le fatiguer. Il sentait quelques douleurs intermittentes dans l’estomac, mais rien de grave.

"Maintenant tout cela est derrière lui. Après les années de vaches maigres, les nouvelles sont plutôt bonnes. Il vient de recevoir une réponse favorable de sa banque pour financer l’extension de son unité industrielle et il va bientôt emménager dans une plus grande maison. Et pour fêter cela, il annoncera aujourd’hui à sa femme et à ses enfants de 7 et 5 ans, la surprise d’un voyage en Asie pour changer un peu d’air et se ressourcer avant la rentrée. Mais cette douleur, qu’il a longtemps négligée, devient de plus en plus fréquente et intense et c’est elle qui réduit ses heures de sommeil. Il décide donc d’aller voir un médecin qui lui annonce qu’il ne lui restait plus que deux à trois mois à vivre".

On peut dès lors aisément imaginer que, sous le choc, les priorités de notre entrepreneur soient complètement chamboulées par cette annonce. Il ne pensera plus à l’extension de son usine, ni à la nouvelle maison et certainement beaucoup moins aux vacances en Asie. Tout ce qui le préoccupera à ce stade, comme tout bon père de famille, est de profiter du peu de temps qui lui reste pour assurer l’avenir de sa famille. Ses réflexes économiques d’investissement (extension de son usine et acquisition d’une nouvelle maison) et de consommation (voyage organisé) sont totalement paralysés par son incapacité à avoir des projets futurs.

Le moteur de nos décisions économiques individuelles, réside dans notre capacité en tant qu’humains à nous projeter dans le temps et à dépasser le stade primal de survie, pour envisager des projets à moyen et long terme.

Cette projection est alimentée par l’instinct de satisfaction de nos plaisirs (qui constitue le moteur de la consommation) et par notre appétit pour le profit et l’accumulation de richesses (qui constituent le moteur de l’investissement). Et plus notre confiance dans le futur est grande, plus nos actes économiques sont intenses et de grande portée.

À défaut, nos réflexes économiques sont complètement grippés et, dans les cas extrêmes d’incertitude, c’est la partie reptilienne de notre cerveau et donc notre instinct de survie, qui prennent le dessus. Quand les décideurs se lancent dans des politiques économiques de quelque nature qu’elles soient, il est indispensable pour eux de connaître l’état de confiance dans lequel se trouve leur population avant de foncer tête baissée sur les mesures techniques.

Dans le plan de relance, il faut intégrer l'état de confiance des Marocains

Ainsi, au moment où le gouvernement prépare son plan de sortie de la crise du Covid-19, il doit intégrer l’état de confiance général des Marocains, avant d’entreprendre des politiques qui pourront s’avérer sans impact, ou pire, contreproductives. En effet, la politique économique n’est ni plus ni moins qu’un signal envoyé par les pouvoirs publics aux autres agents économiques. Si ces derniers le captent mal, ou ne le captent pas du tout, car leurs réflexes sont grippés par des facteurs exogènes, l’échec serait assurément au rendez-vous. Le succès d’une politique économique dépend dès lors de sa synchronicité avec l’état de confiance général de la population.

Il serait illusoire de penser que les Marocains régiront à la politique économique comme s'ils venaient de rentrer de vacances

Or, après plusieurs semaines de matraquage médiatique sur le danger du Covid-19 pour la santé et la vie des Marocains, après avoir arrêté quasi totalement leur économie et les avoir confinés pendant trois mois dans une première de leur histoire moderne, il serait illusoire de penser qu’ils réagiront à la politique économique comme s’ils venaient de rentrer de vacances.

Et pour cause, leurs récepteurs ont été fortement endommagés par cette épreuve. Tout comme le déconfinement doit s’opérer d’une manière progressive, les mesures économiques à prendre doivent l’être tout autant. Il serait donc sage d’attendre le retour des réflexes économiques à leur état normal avant d’envisager des actions de grande envergure.

C’est la raison pour laquelle nous avons demandé, à ce qu’il n’y ait pas de relance immédiatement (par l’offre ou par la demande), mais plutôt une reprise graduelle, en attendant que les capteurs des agents économiques soient restaurés, d’autre part. D’autre part, en l’absence d’un vaccin, d’un traitement ou de la disparition du virus, nous ne pouvons pas nous considérer comme étant sortis définitivement de cette guerre, pour envisager des politiques qui ne s’appliquent qu’en temps de paix.

Enfin, il est utile de rappeler que, contrairement à ce que proposent le patronat et certains économistes, on ne peut pas faire une relance simultanément par l’offre et par la demande et espérer que l’impact soit positif sur les deux. Une action simultanée produira inéluctablement un effet d’éviction au profit de la demande, car la relance par l’offre met plus de temps à se concrétiser et ne produit des effets qu’à moyen et long termes, alors que celle par la demande est immédiate, même si son effet n’est qu’à court terme.

En économie, comme dans la vie, un responsable doit faire des choix et les assumer. Quand il veut plaire à tout le monde, il ne fait plaisir à personne.

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