Ahmed Faouzi

Ancien ambassadeur. Chercheur en relations internationales.

Les va-t-en-guerre et l’équilibre des forces

Le 3 mars 2024 à 10h01

Modifié 4 mars 2024 à 11h25

Les derniers jours du mois de février ont été tristement riches de propos et de menaces de guerre proférés par le président français Emmanuel Macron lors de la Conférence de Paris sur l’Ukraine, et par le président russe Vladimir Poutine lors de son discours à la nation. Dans nos sociétés, une personne qui annonce son intention de commettre un homicide volontaire est immédiatement arrêtée et punie par la loi pour un tel agissement. Au niveau international, des responsables politiques se donnent la liberté de vouloir commettre des crimes sans que la communauté internationale ne bouge pour condamner de telles déclarations.

Lors de la réunion des alliés à Paris sur l’Ukraine le 26 février, Macron a appelé à un sursaut pour assurer la défaite de Moscou. Il a annoncé la possibilité d’envoyer des troupes en Ukraine pour mener la guerre à l’armée russe, affirmant qu’il est hors de question de laisser la Russie gagner. Cette déclaration annonce une rupture avec l’attitude adaptée par Paris jusque là de ne fournir que des armes et des aides à l’Ukraine sans intervenir au sol par des soldats sur le front de guerre.

Macron a parlé d’engagement des pays européens à produire plus d’armement, et annoncé la création d’une coalition pour mener des frappes dans la profondeur du territoire russe. Pour cela, il a proposé de fournir à Kiev des missiles et des bombes de moyenne portée non pour se défendre, mais surtout pour mieux attaquer. Il a toutefois tenu à expliquer qu’au sein des pays européens, il n’y a pas de consensus pour envoyer des troupes au sol, mais rien ne doit être exclu, selon lui. "Nous ferons tout ce qu’il faut pour que la Russie ne puisse pas gagner cette guerre", ajouta-t-il.

Il n’en fallait pas plus pour que l’opposition française et certaines personnalités proches du camp présidentiel affichent leurs désaccords avec Macron. Le chef de fil de la France Insoumise Jean-Luc Mélenchon déclara que la guerre contre la Russie serait une folie, jugeant irrationnel la déclaration présidentielle. Quant à Olivier Faure, secrétaire général du parti socialiste, il dénonça cette inquiétante légèreté présidentielle. Soutenir la résistance ukrainienne oui, entrer en guerre avec la Russie et entraîner tout le continent européen est une folie, déclara-t-il.

Déclarations guerrières

Depuis sa rencontre avec le président ukrainien Volodymyr Zelensky à Paris le 16 février, une dizaine de jour avant la conférence sur l’Ukraine à l’Élysée, Macron voit d’un autre œil les déboires de ce pays sur le front de bataille face aux russes qui grignotent des terres ukrainiennes. Les aides promises par Washington sont bloquées par le Congrès américain au moment où le président Biden a devant lui des élections qui s’annoncent difficiles. L’accord de sécurité conclu le 16 février lors de la visite du président ukrainien est révélateur. Il engobe une enveloppe supplémentaire de 3 milliards d’euros, après 2,1 milliards en 2023 et 1,7 milliards en 2021, sans compter la fourniture de matériel militaire, et autre partenariat entre les industries de défense.

Il n’en a pas fallu plus pour que le président russe Vladimir Poutine réagisse violement lors de son discours à la nation le 29 février. En s’adressant aux occidentaux, il dira qu’ils doivent comprendre que nous avons des armes capables d’atteindre des cibles sur leur territoire. Tout ce qu’ils inventent pour effrayer le monde, est une menace réelle de conflit. En brandissant la menace d’une escalade nucléaire, il dénonça l’Occident qui cherche à entrainer la Russie dans une course à l’armement. Pour Poutine, les occidentaux doivent comprendre que nous avons des armes qui peuvent les vaincre sur leur propre territoire.

Ces déclarations guerrières, aussi bien de la part de Macron que de Poutine, n’augurent en rien la fin du conflit en Ukraine, ou la possibilité d’une sortie rapide de cette guerre. Ce conflit a déstabilisé aussi bien l’Europe que le reste du monde, et a eu des effets négatifs sur l’économie internationale. Le responsable de cet état n’est autre que les pays occidentaux eux-mêmes. Dès l’effondrement de l’Union soviétique, ils ont élargi l’Otan à six nouveaux pays membres, s’approchant dangereusement du territoire russe.

Malgré sa déclaration belliqueuse lors de la conférence de Paris, Macron a tenu à rappeler qu’il souhaite maintenir un canal de de discussion avec Poutine. En guise de réponse, ce dernier a durci encore plus ses positions lors de son discours à la nation, face aux occidentaux en général, et à l’égard du président français en particulier. Au milieu de ces deux va-t’en guerre, ce sont toujours les Ukrainiens qui paient chèrement la facture de la mésentente entre les membres de l’Otan et la Russie.

Pour la diplomatie française, Poutine représente, pour les intérêts français, un acteur de déstabilisation majeure en dehors même de l’Ukraine et partout dans le monde, à commencer en Afrique et au Sahel. Macron déclara que le régime du Kremlin a bâti un récit fantasmé pour remettre en cause les frontières héritées du passé. La Russie est pour lui une menace pour l’Europe, le Caucase et l’Asie centrale et même au-delà. Ces remarques sont des lapalissades mal formulées, mais que peut faire d’autres le président français face à une puissance nucléaire, membre permanent de surcroit du Conseil de sécurité des Nations Unies, que de négocier et renégocier, au lieu de déclarer une guerre qui serait néfaste pour tous ?

La diplomatie française devrait bien tendre l’oreille à un des leurs, analysant la situation actuelle et proposant des sorties de crise intelligentes. Hubert Védrine, ancien ministre français des affaires étrangères, déclarait au magazine l’Express qu’on devait, après la disparition de l’Union soviétique, inclure la Russie dans un ensemble de sécurité comme le préconisait l’ancien secrétaire américain Henry Kissinger. Les Américains ont raté là, dira-t-il, quelque chose davantage par désinvolture que par une volonté réfléchie.

Verdine continuait en soulignant que les occidentaux étaient persuadés que l’Histoire était finie, que nous avons gagné, et que du haut de notre olympe nous pouvons ignorer les autres peuples tout en les régentant. Avec une certaine clairvoyance, il affirma en substance, qu’aujourd’hui, en raison des souffrances subies par les Ukrainiens, et sauf armement massif, une nette victoire ukrainienne n’est plus envisagée. On ne peut donc être plus clair que Védrine. Ceux qui comme Macron, prônent encore la guerre devraient réfléchir à deux fois avant de s’engager sur cette piste impraticable.

Alors comment les occidentaux, et en particulier les Européens, trouveront-ils la solution à cette guerre, qui est d’abord la leur, en Ukraine? Le monde observe leur position complice et paradoxale face au génocide que subit le peuple palestinien sur sa propre terre sans réagir fermement contre Israël. L’Occident cherche une justice ici et a longtemps fermé les yeux sur l’injustice là-bas. Ils doivent maintenant se rendre à l’évidence que le système issu des accords du Yalta a fait son temps et n’est plus opérationnel.

Diplomatie du contrepoids et équilibre des forces

L’équilibre des forces instauré depuis la fin du second conflit mondial a permis à l’humanité de vivre dans une paix relative depuis. Cet équilibre a été définitivement rompu, et seul un autre pourrait apporter un début de solution aux multiples crises qui secouent notre monde. Aucun des protagonistes dans la crise ukrainienne n’est en mesure d’imposer sa volonté à l’autre. La diplomatie du contrepoids et de l’équilibre des forces, aussi ancienne que l’usage de la force, est la seule qui doit aider à sortir de ce marasme et non la confrontation.

L’équilibre des forces permet en effet de limiter les ambitions des uns et des autres, grâce aux jeux d’intérêt et de répartition des risques. Il ne s’agit pas ici d’une règle juridique, mais plus d’une action politique et diplomatique qui pourrait faire face à une infinité de situations changeantes et imprévisibles, comme celles que nous vivons actuellement. Contrairement aux déclarations guerrières gratuites et inefficaces provenant de Macron comme de Poutine, qui déstabilisent davantage, l’établissement d’un nouvel équilibre pacifique des forces, entre les puissances, paraît plus urgent que jamais.

La recherche de l’équilibre des forces pourrait faire face à l’évolution naturelle des États. Quand un pays atteint une forme de croissance et de supériorité, il a cette tendance à vouloir se soustraire à certaines de ses contraintes qui limitent sa puissance. À l’évidence, ces tentatives de ne plus assumer ses obligations heurtent les pays qu’elles menacent. Au lieu d’annoncer une guerre apocalyptique où tout le monde serait perdant, la France devrait bien comprendre que l’ancien ordre s’est définitivement rompu, et que de nouveaux équilibres doivent être imaginés et trouvés.

Ces guerres européennes qui ne finissent pas de finir

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