Ahmed Faouzi

Ancien ambassadeur. Chercheur en relations internationales.

Ces guerres européennes qui ne finissent pas de finir

Le 17 février 2022 à 12h50

Modifié 17 février 2022 à 15h10

Non, l’éventuelle guerre entre la Russie et l’Ukraine n’est pas la première de ces confrontations entre européens, et n’en sera, certainement pas, la dernière. Depuis la nuit des temps, les peuples de ce continent se sont envahis les uns les autres, ont conquis puis perdu des territoires. Des empires sont nés puis ont disparu sous les bottes de soldats de pays voisins. De la Grèce antique à l’empire romain, d’Alexandre le Grand à Napoléon, des guerres franco-allemandes aux guerres mondiales, les ambitions démesurées ont eu raison de la concorde et de l’entente européennes.

Il serait vaniteux d’énumérer tous leurs grands conflits, tant la liste est longue. On peut cependant en citer les plus spectaculaires. La guerre de cent ans qui s’est prolongée de 1337 à 1453 en est une. C’était un conflit entrecoupé de trêves plus ou moins longues opposant les royaumes d’Angleterre et de la France. Le premier remporta plusieurs victoires avant que le second ne reprenne l’ascendante.

Ces batailles, vus les armements utilisés à l’époque, n’ont pas fait beaucoup de morts et de victimes chez les peuples mais ont affaibli les noblesses. Cependant, les pillages fréquents ont eu des conséquences néfastes sur les populations. Ces interminables guerres franco-anglaises ont marqué une rupture avec le déclin de la cavalerie et l’apparition de l’artillerie. Les Européens de l’époque ont ajouté à leurs troupes des groupes de mercenaires.

Les conséquences économiques de ces guerres ont eu des effets catastrophiques sur le quotidien des gens par l’augmentation des prix de produits courants, mais ont favorisé le commerce de longue distance qui, plus tard, donnera l’impulsion à d’autres guerres et conquêtes. Ces conflits franco-britanniques affirmeront les sentiments nationaux des deux royaumes. Bientôt le conflit n’est plus dynastique, il est entre deux systèmes différents.

Au 16e siècle, c’est de nouveau un autre conflit qui va défrayer la chronique. C’est la guerre de quatre-vingts ans qui a duré de 1568 à 1648 entre les Provinces du Nord, Pays-Bas actuel, où la réforme protestante est bien ancrée, et le Pays-Bas méridional, Belgique Luxembourg et nord de la France actuels, catholiques. La révolte des populations protestantes prend la forme d'une guerre de religions qui aboutit à l’indépendance de la Hollande.

'L'État moderne"

Au 17e siècle un autre conflit, dénommée la guerre de 30 ans, dura de 1618 à 1648. Ses causes sont multiples, mais l’objet principal de son déclenchement était la révolte des sujets tchèques protestants contre la maison de Habsbourg qui voulait accroître son hégémonie et celle de la religion catholique. Tous les pays protestants ont voulu réduire la puissance des Habsbourg, sauf l’Angleterre et la Russie.

De cette guerre, les philosophes développèrent le concept de l’État moderne, entité politique exerçant dans ses frontières sûres et reconnues, exerçant le monopole de la violence légitime, et se défendant de l’extérieur par une armée nationale. Le conflit débouchera sur les traités de Westphalie en 1648 qui jettera les bases du droit public européen. Un système nouveau des relations internationales, fondé sur un équilibre entre États, chacun titulaire de sa souveraineté, est né.

Au 18e siècle, la révolution française de 1789 viendra chambouler encore le paysage politique européen. Napoléon Bonaparte devient général dans les armées et s’empara du pouvoir en 1799. Il est sacré empereur dans la cathédrale Notre Dame en présence du pape Pie VII. Il ne tarda pas à tenter de briser les coalitions montées par la Grande Bretagne et les autres monarchies européennes.

Ses appétits militaires le conduisent dans des conquêtes vers l’Italie l’Autriche la Prusse la Pologne et l’Égypte. Des victoires rapides renforcent la France et lui donnent une puissance jamais égalée. Après la défaite de Waterloo en 1815 face à une coalition composée de britanniques d’allemands et de néerlandais, menée par le britannique Duc Wellington, il abdiqua et s’exila.

Les pays vainqueurs de Napoléon se réunissent pour rédiger les conditions de la paix et définir leurs frontières pour garantir la paix. C’est le Congrès de Vienne qui a eu lieu dans cette même ville du 18 septembre 1814 au 9 juin 1815 qui s’en est chargé. Il a permis en outre la discussion sur la libre circulation navale, l’abolition de la traite négrière et non l’esclavage, et la mise en avant de la neutralité de la Suisse.

Le Congrès de Vienne devient aussi un champ de bataille pour les Européens alors qu’il était destiné à régler le sort des territoires pris sous Napoléon. On tente malgré tout de reconstruire l’ensemble européen profondément déstabilisé par les guerres napoléoniennes. Toute l’Europe monarchique est là : 15 membres des familles royales côtoient 200 princes, et chacun tente de satisfaire ses propres et égoïstes ambitions.

 Guerres entre puissances

L’Alliance créée entre les vainqueurs cherchait à prémunir l’Europe contre un réveil guerrier de la France. La trêve ne dura pas longtemps. Allemands et Français se déclarèrent la guerre durant un conflit meurtrier qui va les opposer du 19 juillet 1870 au 28 janvier 1871. Les troupes françaises, mal préparées et sans stratégie efficace sont défaites. Comble de l’humiliation, l’empire allemand est proclamé au château de Versailles à Paris le 18 janvier 1871 sous le regard du grand portrait de Napoléon.

Sous le prétexte de l’assassinat d’un couple héritier du trône austro-hongrois à Sarajevo en 1917, un jeu d’alliances s’active de nouveau entre les puissances européennes qui les entraine à la confrontation. L’Autriche, joint par l’Allemagne, lancent un ultimatum à l’encontre de la Serbie. La triple entente, composée entre autres de la France et de la Grande-Bretagne, s’oppose au camp dirigé par l’Allemagne. C’est le déclenchement de la première guerre mondiale alors qu’elle est principalement européenne.

Cette guerre atteint une échelle et une intensité inconnues jusqu’alors. Six millions de morts, et vingt millions de blessés. Il faudrait y ajouter d’autres événements internationaux importants comme le génocide arménien, la déclaration de Balfour pour la création d’un foyer juif en Palestine, la révolution bolchevique en Russie et bien d’autres. Comme le Covid, la grippe espagnole est venue assombrir plus le tableau en faisant plus de 50 millions de victimes. Cette guerre a infléchi le cours du vingtième siècle.

Défaite, l’Allemagne est soumise à la même humiliation en signant le traité de Versailles le 28 juin 1919, à la même place où fut déclaré l’empire allemand quelques années auparavant sous le portrait du même Napoléon. Amputée de plusieurs de ses régions, l’Allemagne est astreinte à de lourdes sanctions et réparations économiques qui dépassent ses capacités. Par ses exigences, la France, qui voulait effacer symboliquement la défaite de la guerre franco-allemande de 1870, préparait en fait les conditions du second conflit mondial.

Celui-ci provoqué par le règlement insatisfaisant de la première guerre mondiale, et par les ambitions expansionnistes et hégémonistes des trois principaux acteurs que sont l’Allemagne, l’Italie et le Japon, déchire encore plus les Européens. Les États-Unis longtemps neutres se joignent aux Alliés après l’attaque de Pearl Harbour par le Japon le 7 décembre 1941. Le 8 mai l’Allemagne capitule après que cette guerre ait laissé plus de 60 millions de morts.

Mais hormis ces quelques conflits fratricides se déroulant en Europe, d’autres aussi sanguinaires ont eu lieu en dehors du continent. Musulmans et juifs sont massacrés, reconvertis de force, ou expulsés de l’Andalousie sans ménagement par les extrémistes catholiques de l’époque, surtout après la chute de Grenade en 1492, année de la découverte par accident de l’Amérique.

Sur le continent américain les européens appliquent les mêmes recettes. Les Indiens sont massacrés, souvent sans raison, pour installer les colons et s’accaparer les richesses qui sont, par la suite, réexportées vers l’Europe. Pour avoir une main-d’œuvre bon marché, et après avoir anéanti les natifs, ils n’hésitent pas devant la déportation d’esclaves noirs d’Afrique pour faire fonctionner l’économie.

La naissance des États-Unis en 1776 change la donne. Anglais, Français et Espagnols sont à leur tour mis en dehors du continent par Washington, mis à part quelques ilots ici et là. Les Européens se réunissent à Berlin en 1884 pour coloniser directement l’Afrique et continuer leur œuvre. Les populations du continent noir seront traitées dans le même esprit, les frontières africaines tracées arbitrairement. Le symbole de ces périodes de conquêtes est toujours là devant nos yeux : nos présides occupés à Sebta et Melilia et nos îles avoisinantes.

Ce ne sont là que quelques conflits inspirés par l’actualité ukrainienne. L’Europe a certes apporté au monde beaucoup d’autres belles choses en sciences et en savoirs qui se sont accumulés aux contributions des autres civilisations. Les confrontations qu’on laisse prévoir contre Russes et Chinois auront-elles réellement lieu, et seront-elles aussi meurtrières ? Il est à craindre que notre continent africain soit désormais le terrain favori des futures guerres entre puissances. Dans ce cas, ce seront les Africains eux-mêmes qui payeront la facture. Comme d’habitude.

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