Mohamed Amine Kabbaj

Architecte à Marrakech

Le pèlerinage des 7 Salihs de Marrakech

Le 28 décembre 2023 à 15h39

Modifié 29 décembre 2023 à 13h07

Le culte des 7 Salihs trouve ses racines au XVIe siècle. Il a été initié par les Zaydanides (les Saadiens de l’Histoire officielle) sous la direction du fondateur de la dynastie, My Ahmed Al Mansour. Pour consolider le pouvoir de la nouvelle dynastie, le sultan Ahmed introduit le culte d'al-Jazouli à Marrakech à partir de 1525. Les Zaydanides ont régné au Maroc du milieu du XVIe siècle jusqu’au milieu du XVIIe.

Les Jazouli, très en vogue à cette époque, jouent un rôle crucial dans l'accession au pouvoir d'Ahmed El Mansour Addahbi. Au cours du milieu du XVIe siècle, le culte d'al-Jazouli gagne en popularité. Inquiet de la montée en puissance de cette influence, Ahmad al-Mansour, cherchant à monopoliser l'autorité religieuse et politique, érige un mausolée pour les membres de sa famille, futurs occupants des "tombeaux Saadiens" dans le quartier de La Kasbah. Il initie également un triple pèlerinage annuel à Aghmat, Marrakech et Fès. À Marrakech, il se recueille auprès d'Abou Alabbas Assebti, Al-Souhayli et Qadi Ayyad, trois des futurs sept Salihs de la capitale historique du Maroc, dans le but de surpasser le jazoulisme.

Au cours de la première moitié du XVIIe siècle, le culte des Salihs connaît une résurgence significative chez les Regraga des Chiadmas, avec l'émergence du culte des 7 Salihs dans la région. En 1640, les Regraga triomphent du sultan Mohammed Cheikh II, attribuant leur victoire à l'intervention de ces sept patrons.

Un intellectuel de la cour suggère au sultan la création d'un contre-culte à Marrakech autour de 7 Salihs renommés, un projet immédiatement mis en œuvre, mais qui est remis en question avec l'effondrement de la dynastie.

Après l'avènement de la dynastie Alaouite, le projet de consacrer un culte à sept Salihs concurrents ressurgit sous le règne de Moulay Ismail, surtout après l'unification du pays. Le Sultan Alaouite Moulay Ismail crée les 7 Salihs de Marrakech en ajoutant les quatre manquants aux trois premiers, à savoir Sidi Youssef Ben Ali, Sidi Benslimane Al Jazouli, Sidi Abdelaziz Tebaa et Sidi Abdellah El Ghazouani.

Sous l'impulsion d'Abou Al Hassan Al Youssi, le pèlerinage des 7 Salihs entre 1686 et 1691 prend son essor et restera présent dans les traditions populaires jusqu’à nos jours.


Réf : Nabil Mouline : Le Califat Imaginaire d’Al Mansour Addahbi en français et A Sultan Acharif en arabe

Les 7 Salihs

1. Sidi Youssef Ben Ali Senhaji :

Le début du pèlerinage démarre au Sud de Bab Aghmat à une centaine de mètres de la porte du même nom.

D'origine arabe yéménite selon certaines sources, Sidi Youssef Ben Ali est né à Marrakech, où il a passé toute sa vie. Surnommé l’Homme des grottes, il a bravé la lèpre dès son jeune âge, devenant ainsi rejeté par sa famille et la société. Se réfugiant dans une grotte au sud de la ville, à Bab Aghmat, il a surpris en survivant longtemps. Malgré la maladie, il a attiré des visiteurs grâce à sa résistance à la faim et aux maladies. Bienveillant malgré la lèpre, il prodiguait des conseils empreints de foi inébranlable en la miséricorde d'Allah. Son mausolée se trouve hors des remparts à Bab Aghmat, et il est décédé en 1196 à Marrakech.

2. Al Cadi Ayad Abou Al Fadl :

On quitte Sidi Youssef Ben Ali pour entrer par la porte de Bab Aghmat en empruntant le Derb qui porte son nom. Né à Sebta en 1083, Al Cadi Ayad, qualifié de "Cadi" (juge de droit musulman), a été nommé par le gouvernement Almoravide pour remplir cette fonction à Grenade, devenant l'un des plus grands cadis de son époque. Avec l'avènement des Almohades, il exerça la fonction de Cadi, mais fut exilé dans le Tadla par le Sultan Almohade Abdelmoumen en raison de son opposition au pouvoir en place. Il mourut dans des conditions obscures en 1149.

3. Abou El Abbas Essebti Ahmed :

Pour accéder à son sanctuaire, on sort de la médina par la porte Bab Aylen et on y entre par la porte de Bab Kechich en suivant Derb Sidi Ghanem.

Né à Ceuta en 1129, Abou El Abbas Essebti est le plus important des Sept Salihs, souvent considéré comme le Salih patron de Marrakech. Ayant quitté Sebta pour Marrakech lors de l'avènement des Almohades, et malgré son opposition à toute forme de pouvoir, il fut installé par le sultan Yacoub Al Mansour. Sa Zaouïa redistribue les dons aux nécessiteux handicapés depuis le XIIe siècle. Il est décédé en 1204. Cette tradition existe encore aujourd’hui avec ce que l’on appelle Abbassia.

4. Sidi Ben Slimane Al Jazouli :

En sortant de Derb Bab Taghzout et en prenant sur la droite par un dédale de ruelle, on arrive au sanctuaire situé à moins de 500 m du précédent.

Né en 1404 dans la région du Sous, Sidi Ben Slimane Al Jazouli est l'auteur de Dalail Al Khairat, écrit en l'honneur du prophète. Soufi de la tariqa Chadilia, il est célèbre pour avoir dirigé le djihad contre les Portugais au XVe siècle.

Mort en pleine prière en juin 1465, son corps a été déplacé à Marrakech soixante-dix-sept ans après sa mort, à proximité d'Essaouira, où il avait été initialement enterré.

5. Sidi Abdelaziz Tebbaa Al Harrar :

En se dirigeant vers Dar El Bacha et le centre de la Médina par Derb Amesfah, on arrive au sanctuaire de Sidi Abdelaziz Tebaa Al Harrar. Aussi appelé Sidi El Harrar en raison de son métier de marchand de soie, il a enseigné l'Islam à la Medersa Attarine à Fès avant de revenir à Marrakech, où il est décédé en 1508. Bien que né analphabète à Marrakech, il est devenu un successeur spirituel de l'Imam Al Jazouli.

6. Sidi Abdellah El Ghazouani dit Moul Laksour : 

En revenant vers Bab Ftouh par Derb Mouassine puis Derb Laksour, on accède à son mausolée à une place où est situé le Salih. Issu de la tribu des Ghezaoua, Sidi Abdellah El Ghazouani, né à Ksar El Kébir, a fondé une Zaouïa au quartier Ksour, gagnant le surnom de Moul Laksour. Respecté pour ses projets agricoles, il a fini sa vie à Marrakech, transmettant son savoir théologique et agricole. Il est décédé en 1528.

7. Al Imam Assouhaili Abou Al Qassim :

En se dirigeant vers la place Jamaa El Fna, on sort par la porte de Bab Laksour vers la Koutoubia. Plus au sud, en passant devant le tombeau de Youssef Ben Tachfin situé Derb Sidi Mimoun et Bab Agnaou, on ressort des remparts de la cité et on atteint le dernier des sept Salihs dans le cimetière de Bab Robb.

Né en 1114 à Malaga, Al Imam Assouhaili Abou Al Qassim a grandi dans une famille pauvre, devenant aveugle à 17 ans. Mort en 1185 à Marrakech, il a été enterré en Bab er Robb. Al Imam Assouhaili était un érudit de l'Islam engagé par le Sultan Almohade Abou Yacoub Youssef.

Remarques générales

Ce parcours, réalisé à pied, dure environ 3 heures si l'on ne s'attarde pas trop dans chacun des mausolées, mais il est possible de prendre davantage de temps pour méditer et s'arrêter plus longuement. Une alternative intéressante est de le faire à vélo, offrant une visite assez originale. Ce pèlerinage permet de découvrir simultanément la Médina de Marrakech à l'intérieur et à l'extérieur de ses remparts.

Chacun de ces mausolées se distingue par une architecture centrée autour d'une grande salle abritant le tombeau du Salih. Cette salle, ou koubba, varie en hauteur, souvent avec un plafond en bois sculpté et peint, et des murs ornés de zellige traditionnel. La plupart du temps, le mausolée dispose d'un patio attenant à cette koubba, agrémenté d'une fontaine pour les ablutions. La plupart des mausolées abritent certains défunts des membres de la famille du Salih et souvent des personnalités de la ville de Marrakech, qui sont enterrées dans l’enceinte du mausolée. Le cas d'Abou El Abbas Essebti est particulier, avec une esplanade à l'entrée précédée par une allée commerciale de "Bab Taghzout" (Kissaria) et un petit abattoir dédié aux dons faits aux nécessiteux.

Concernant Al Abbassia, c’est une tradition de Marrakech et même d’autres régions du Royaume qui consiste à réserver chez certains commerçants la première recette de la journée qui est remise au Moqaddem toutes les fins de mois. Une caisse est aussi réservée à cet effet dans l’enceinte du sanctuaire. L’argent collecté est redistribué toutes les fins de mois aux personnes inscrites dans un registre. Les personnes inscrites doivent être handicapées et dans le besoin. Il y a aujourd’hui près de 2.000 personnes inscrites. Une gestion minutieuse est tenue par le Moqaddem.

Chaque Salih attire aujourd'hui un certain nombre de visiteurs nationaux et internationaux, surtout en provenance de pays musulmans. Les non musulmans sont interdits d’entrée. Les fêtes religieuses et en particulier le Mawlid constituent des occasions de rencontres pour les habitués. Chaque Salih a aussi ses propres traditions et ses propres admirateurs.

Il est important de souligner que ces lieux ne sont pas des mosquées, et il n'est pas approprié d'adresser des prières directes aux Salihs.

Comme le souligne Henri De Castries, "la pauvre humanité, quelle que soit sa religion, s'est sentie et se sentira toujours éloignée de la divinité pour ne pas recourir à des médiateurs".

Ces sanctuaires, dédiés à la mémoire de ces saints hommes, sont avant tout des lieux de recueillement et de méditation, gérés par des Moqaddem (ou guide) jouant un rôle essentiel pour les visiteurs et pour la gestion des lieux.


Réf : Henri De Castries : Les Sept Patrons de Marrakech

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