Abdallah-Najib Refaïf

Journaliste culturel, chroniqueur et auteur.

Le “patient zéro” de l’IA

Le 15 mars 2024 à 11h19

Modifié 15 mars 2024 à 11h19

La presse et l’Intelligence artificielle seront désormais condamnées à entretenir des relations basées sur "des accommodements raisonnables" pour bénéficier de l’automatisation et de l’utilisation d’algorithmes afin de permettre aux journalistes de travailler avec efficacité et pertinence. Voire !

"Il s’est réveillé un matin, ni tôt, ni tard, mais comme à son habitude vers le coup de huit heures. Il a pris son café sans sucre qui accompagne habituellement un léger petit-déjeuner. Avant de quitter la maison, il a ouvert une boite de croquettes pour chat, puis l’a vidée dans une gamelle. Le chat s’est précipité sur sa pitance en ronronnant d’aise."

Cet incipit--parole de chroniqueur au long cours-- n’a pas été généré par une IA quelconque après une instruction laconique, ou un simple prompt, du genre : "Décrivez simplement un homme qui se réveille le matin et donne à manger à son chat". Non, c’est une improvisation personnelle sur une idée relative au réveil ordinaire ou routinier d’une personne lambda qui a un chat. Un vrai félin, pas le "chatbot" dont on fait grand cas désormais, à savoir ce programme informatique répondant à une requête ou simulant une conversation. Mais on aurait pu tenter l’expérience, et certains l’on déjà fait avec paraît-il des résultats satisfaisants pour les uns et peu convaincants, voire catastrophiques, selon d’autres. Si dans les médias qui s’en satisfont, ou s’en félicitent, le recours à cette technologie va connaitre un développement rapide, le monde de l’édition, lui, semble à la fois sceptique et inquiet.

Les médias connaissent déjà de par le monde un grand chambardement depuis l’avènement de l’Intelligences artificielle. De la traduction automatique à la rédaction de résumés de textes générés par la IA, ainsi que bien d’autres contenus personnalisés. Les fakes news et les contenus falsifiés de vidéos vraisemblables sont autant de signes inquiétants qui sont appelés à se multiplier et bouleverser le champ de la communication. Les mastodontes des "GAFAM" sont déjà à l’œuvre pour vanter de nouveaux outils d’IA générative mis au service des journalistes. Parmi ces "services rendus" à la profession, les outils d’aide au choix des titres et différents styles d’écriture et tout cela dans le but, dit-on "de donner aux journalistes la possibilité d’utiliser ces technologies émergentes de manière à améliorer leur travail et leur productivité...". Bien sûr, le mastodonte jure ses grands dieux numériques qu’il n’est pas question pour lui de "remplacer le rôle essentiel des journalistes dans la rédaction, la création et la vérification des faits de leurs articles". Bref, l’IA ne remplacerait que "le secrétariat de rédaction", poste ingrat dans un journal alors que central et indispensable dans la vie d’une publication. Mais comme tous les postes qui portent le qualificatif de secrétaire, ils sont tenus dans le mépris et rabaissés à un rang subalterne. Pourtant, si on remonte l’histoire et donc l’origine du mot "secrétaire", on est alors, selon les historiens, chez les Pharaons, soit à cette belle époque où le secrétaire était un scribe instruit sachant très bien lire tout en maitrisant parfaitement l’art d’écrire.

Dans son ouvrage "La tyrannie de la communication", édité en 1999, le journaliste et écrivain Ignacio Ramonet s’inquiétait déjà à propos de l’avenir des journalistes : "On s’interroge sur l’avenir des journalistes. Ils sont en voie d’élimination. Le système n’en veut plus. Il pourrait fonctionner sans eux. Ou, disons plutôt qu’il consent à le faire avec eux, mais en leur confiant un rôle moins décisif : celui d’ouvrier à la chaîne, comme Charlot dans 'Temps modernes'… Autrement dit, en les rabaissant au rang de retoucheurs de dépêches."

L’art d’écrire au temps de l’IA. Voilà qui préoccupe davantage un autre monde de l’écrit, celui des éditeurs de livres et notamment les auteurs et les traducteurs. Les médias, quant à certain d’entre-deux, commencent d’ores et déjà à s’en accommoder, résignés ou naïfs comme ces doux rêveurs, à la conscience malheureuse, de "Reporters sans Frontières" qui pensent à la conception d’une IA générative dédiée aux journalistes afin de "soutenir la presse écrite et protéger la propriété intellectuelle". Contre qui ? Contre l’IA. Guérir le mal par le pire ? Ledit projet porte bizarrement le nom de Spinoza. Est-ce parce ce philosophe excommunié par les siens est l’auteur d’une œuvre dont la lecture se mérite : "L’Ethique" ? Ou ne serait-ce qu’une "passion triste", engendrant un sentiment de pitié pour une profession qui se meurt ? En tout état de cause, Spinoza est aussi le philosophe qui a dit, justement dans "l’Ethique", que "La pitié est un sentiment qui n’honore ni celui qui l’éprouve, ni celui qui l’inspire."

Enfin, aux dernières nouvelles---ou avant de mettre sous presse, comme on disait au temps jadis—nous avons appris que le quotidien français, "Le Monde", vient de passer un accord pluriannuel avec la société Open AI qui a lancé le fameux ChatGPT. Cet accord, selon les responsables du journal, "fera date puisqu’il est le premier signé entre un média français et un acteur majeur de cette industrie." Comme le célèbre quotidien semble se féliciter de ce premier  contact avec l’IA, certainement basé sur des "accommodements raisonnables", nous lui souhaitons bon vent tout en espérant qu’il ne sera pas considéré un jour comme le "patient zéro" de cette singulière promiscuité.

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