Ashoka Mody

Professeur invité en politique économique internationale à Princeton

Le pas de trop de la BCE

Le 26 février 2014 à 11h51

Modifié 9 avril 2021 à 19h45

PRINCETON – La récente décision de la cour constitutionnelle allemande de renvoyer sa plainte contre le programme de “transactions monétaires directes” (TMD) de la Banque Centrale Européenne devant la cour européenne de justice (CEJ) présage un destin incertain pour le projet.

Le principe économique des TMD est clairement défectueux – tout comme le raisonnement politique qui les justifie. 

 

Le projet des TMD et apparu en août 2012, lorsque des mois de hausse persistante des primes de risque sur les obligations souveraines espagnoles et italiennes ont menacé la survie de la zone euro, et mis l’économie mondiale en danger. Pour restaurer la confiance et gagner du temps pour permettre aux gouvernements de réduire les emprunts, le président de la BCE Mario Draghi s’est engagé à faire « tout ce qui serait nécessaire » pour préserver la zone euro – et cela signifiait potentiellement des achats illimités d’obligations d’états membres de la zone euro en difficultés.

La déclaration de Draghi a porté ses fruits et les primes de risque ont clairement baissé dans l’ensemble des économies troublées de la zone euro. Mais le président de la Bundesbank Jens Weidmann, membre du Conseil de gouvernance de la BCE, s’est immédiatement opposé aux TMD, affirmant que ce programme dépassait le mandat de la BCE et violait l’Article 123 du traité de Lisbonne, qui interdit le financement monétaire d’états souverains en difficultés. Avant même que les TMD soient activées, Weidmann porta l’affaire devant la cour constitutionnelle allemande.

Les partisans des TMD furent atterrés par la tentative de Weidmann de renverser cet arrangement. Après tout, la simple annonce du programme avait permis de soulager les pays en difficulté et même peut-être contribué à sauver l’union monétaire, du moins pour un temps. Draghi a décrit avec audace les OMT comme « probablement la mesure de politique monétaire la plus réussie adoptée dernièrement. »

Mais la Cour constitutionnelle allemande reste dubitative. Elle n’a pas encore communiqué sa décision finale par égards pour la CEJ, mais elle maintient la vision soutenue par la Bundesbank selon laquelle, dans leur forme actuelle, les TMD sont une violation du Traité de Lisbonne. Les TMD peuvent encore être maintenues ; mais si c’est le cas, elles seront très probablement diluées, ce qui devrait entrainer la résurgence des problèmes qui les avaient inspirés.

Quels que soient les problèmes que cela puisse représenter pour les partisans des TMD, cela n’aurait du étonner personne. Le programme a été mal conçu et vendu comme une recette magique. La cour a eu raison de remettre en question les fondements factuels de la requête de la BCE selon lesquels les primes de risque sont une crainte infondée des marchés – une idée fondée sur des preuves opportunistes. En effet, la défense publique du programme repose, et là est sa fragilité, sur une présomption de pressions spéculatives sans fondement.

Dans sa conception, le programme admet cependant que les évaluations de solvabilité réalisées par les marchés constituaient un réel risque de défaut. En tant que prêteur de dernier ressort aux états souverains, une banque centrale doit être prête à racheter leur dette souveraine sans conditions, de manière à neutraliser les effets des perturbations temporaires sur les marchés. Mais les TMD sont plus destinées à opérer comme un prêt du Fonds Monétaire international – c’est-à-dire pour sauver un gouvernement donné à la condition qu’il prenne des mesures pour resserrer son budget. Si la BCE était réellement convaincue que les primes de risque étaient déraisonnablement élevées, et que la dette des pays en difficultés était soutenable, la conditionnalité n’aurait pas été nécessaire.

En outre, en s’attaquant au risque de défaut, le programme des TMD a créé un nouveau problème : les créanciers privés, assurés que la BCE empêcherait la faillite des gouvernements, étaient encouragés à prêter avec plus de souplesse. Voir dans la baisse des primes de risque le signe d’un regain de confiance des marchés dans la solvabilité des états souverains en difficulté était une autre interprétation intéressée mais erronée.

Une situation similaire a déjà eu lieu précédemment. Avant l’introduction de l’euro, le soutien apporté à la lire italienne avait entrainé d’incessantes pressions spéculatives. Une fois la lire disparue, retenir les rendements sur la dette souveraine peut être un marché de dupe.

Tout comme des taux de change élevés intenables doivent à terme être dépréciés, le défaut est nécessaire dans les cas de dette souveraine insoutenable. C’est particulièrement important si l’on en juge par la réticence de la BCE à inverser les conditions quasi déflationnistes, qui alourdissent plus encore le fardeau effectif du remboursement de la dette. 

Les avocats de la dette souveraine Lee Buchheit et Mitu Gulati avertissent que les marchés pourraient « tester sans merci la volonté persistante de la BCE à acheter des quantités illimitées d’obligations souveraines périphériques. » Ce test sera d’autant plus dur si, comme l’a concédé la BCE à la cour constitutionnelle allemande, l’achat d’obligations est en fait limité.

La zone euro doit autoriser dans certains cas un défaut sur la dette souveraine, tout en laissant la BCE agir comme prêteur de dernier ressort pour les gouvernements solvables. Bien sûr, cette solvabilité peut être difficile à évaluer pendant une crise. Mais prétendre que les états souverains ne sont jamais insolvables ne sert qu’à aggraver le problème. Et comme l’a fait remarquer la cour allemande, la perspective d’une faillite permettrait de préserver la discipline sur les marchés financiers.

En tentant de trouver une solution rapide aux problèmes profondément enracinés de la zone euro, la BCE s’est enferrée dans un bourbier politique. Même si la CEJ accorde aux TMD le bénéfice du doute, la légitimité du programme restera entachée de doutes, laissant la BCE – même si seulement en coulisses – embourbée dans des manœuvres politiques avec les états souverains en difficultés. 

Il n’y a qu’un pas entre audace et folie. Loin d’être un franc succès, le programme des TMD pourrait laisser le souvenir d’une erreur née d’un opportunisme. Pire, il pourrait fragiliser l’indépendance et la crédibilité durement acquises de la BCE. Voilà une conséquence à laquelle la zone euro pourrait ne pas survivre.

Traduit de l’anglais par Frédérique Destribats

© Project Syndicate 1995–2014


 

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