La croissance économique aux temps de la dette

Le 21 juin 2016 à 14h02

Modifié 10 avril 2021 à 4h45

Dans beaucoup de pays développés et émergents, le ratio de la dette publique est sur-représenté, dépassant ainsi 100% du PIB. De plus, depuis la crise financière de 2008, les niveaux de la dette ont été relevés par les autorités budgétaires, notamment dans les pays à l’épicentre de la crise, pour compenser la réduction de la dette privée (deleverage) et pour éviter ainsi que la contraction du crédit à l’économie qui en résulte puisse aggraver encore la récession.  

Dans une pareille situation, trois questions peuvent être soulevées: comment l’endettement public se comporte dans le cadre des politiques monétaires expansionnistes à l’œuvre dans la plupart des économies? Existe-t-il une corrélation générale entre la dette élevée avec la croissance du PIB et l’inflation? Et qu’est-ce que cette éventuelle corrélation implique, particulièrement sur les finances publiques au Maroc, où la dette publique dépasse 60% du PIB?

Endettement public et politique monétaire expansionniste

Une politique monétaire expansionniste exerce sur l’endettement public deux effets opposés.

- un mouvement à la hausse: après 2008, on sait que la situation économique se caractérise par un endettement soutenu et des taux d’intérêt bas adaptés à une croissance atone et à la persistance de la déflation. Les niveaux de ces variables sont de nature à s’entretenir. Une note de recherche Manoj Pradhan, analyste à Morgan Stanley, avance dans ce sens que l’endettement élevé force les taux d’intérêt à rester faibles, ce qui encourage encore plus le recours à la dette (1). Cette situation serait appelée à durer tant que les autorités monétaires n’ont pas encore atteint leurs objectifs d’inflation à 2% requis pour commencer à réduire le coût réel du service de la dette et que la croissance ne prend pas effectivement le relais.

- un mouvement à la baisse: concernant la dette souveraine sur le marché obligataire, les analystes observent depuis 2015 que les pays de la zone euro, en dehors de la Grèce et du Portugal, peuvent émettre de la dette à long terme à un taux d’intérêt inférieur à celui de la croissance nominale. Cet écart critique entre les taux d’intérêt et de croissance permet aux Etats membres de se désendetter. En effet et si cet écart est inversé, il y aurait plutôt effet boule de neige: augmentation de l’endettement par le seul facteur du poids des intérêts, lorsque le solde budgétaire primaire (hors paiement d’intérêts) est insuffisant (2).

Actuellement, l’amélioration des déficits budgétaires de plusieurs Etats a entraîné l’émission de moins d’obligations, ce qui a réduit encore leur taux, d’autant plus que la demande que les investisseurs adressent à ces titres demeure importante, en raison de l’excès de l’épargne, bousculant même certains taux en territoire négatif. De même, les incertitudes sur le "Brexit" accentuent le repli sur les obligations d’Etat les plus sûres (fly to quality). La situation qui fait que les taux de rendements d’Etat à 10 ans sont inférieurs au PIB concerne d’autres pays de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques), notamment les Etats-Unis, le Royaume-Uni et le Japon.

Pour quelques autres analystes, cette situation n’est pas rassurante. Les taux d’intérêt directeurs très bas et les politiques du Quantitative Easing (QE) entretenant l’écart critique, font apparaître une bulle obligataire, qui pourrait éclater si la politique monétaire est resserrée ou si l’inflation sous-jacente repart à la hausse, tirée, par exemple, par l’augmentation des prix du pétrole, ce qui entraîne pour les emprunteurs le paiement de taux d’intérêts nettement plus élevés, remettant en cause leur solvabilité et pour les détenteurs des portefeuilles obligataires, des pertes immédiates en capital (3).

Sauf qu’un tel scénario est peu probable, tant que les banques centrales maintiennent la prudence –  comme en témoigne la suspension de la Fed (Banque centrale américaine) de sa politique de normalisation lancée depuis fin 2015 – et peuvent toujours élargir leurs bilans par le moyen des politiques du QE: la BCE (Banque centrale européenne) consacre actuellement pour chaque mois l’essentiel de 80 milliards d’euros au rachat des obligations souveraines.

Quoi qu’il en soit, les autorités monétaires sont pleinement dans leur rôle pour stimuler la croissance et créer, par conséquent, les conditions réelles du désendettement. Dans ce cadre, signalons que les politiques du QE semblent l’instrument monétaire le plus effectif comparé, notamment, aux actions sur les taux directeurs. En effet, d’après le modèle de l’étude établie par l’économiste Michael Woodford de l’Université de Columbia (4), elles ont l’impact le plus significatif, d’une part sur les conditions de financement et l’ampleur du stimulus de la demande agrégée et d’autre part, sur les effets collatéraux concernant la stabilité financière. Ces implications des politiques du QE envers la stimulation de l’économie réelle et la stabilité financière peuvent être particulièrement plus effectives, si elles sont combinées au déploiement des mesures macro-prudentielles.

L’endettement public et la croissance

La littérature académique sur la dette publique et la croissance s’est focalisée sur l’identification du sens de la causalité entre les deux termes: est-ce que la dette publique élevée émerge simplement d’une croissance lente et d’une fiscalité faible? Ou bien est-elle plutôt de nature à miner la croissance?

En effet, cette causalité fonctionne dans les deux sens. Puisqu’il en est ainsi, le cercle est auto-entretenu et la question résiduelle, en ce qui concerne la dette, consiste à savoir dans quelle mesure celle-ci peut peser sur la croissance plutôt que de la stimuler.

L’un des travaux importants sur cette question du point de vue de l’étendue des observations spatio-temporelles de l’endettement public est le papier de Carmen M. Reinhart et Kenneth S. Rogoff (Universités de Maryland et de Harvard) cherchant à déterminer un lien systématique sur le long terme entre la dette publique élevée, la croissance et l’inflation (5).

En effet, les résultats de cette fameuse étude se sont basés sur les données incluant 44 pays développés et émergents, accumulées sur des séries temporelles, respectivement, de deux siècles et d’un siècle.

Pour les pays développés, les auteurs montrent qu’il n’y a de corrélation évidente entre la dette publique et la croissance du PIB, que lorsque le ratio de la dette publique atteint le seuil de 90% du PIB. A partir de ce seuil, la corrélation fait que la croissance moyenne baisse de 1,7%.

Pour les émergents, les auteurs observent les mêmes résultats mais avec des baisses plus substantielles du PIB à partir du seuil de 90%. En ce qui concerne, la relation entre la dette et l’inflation, alors qu’elle n’est pas attestée pour les pays développés, des niveaux élevés de la dette sont associés à une inflation élevée dans les pays émergents. Toutefois, les pays émergents sont très dépendants du financement externe, ce qui implique que le PIB se détériore nettement dès que le seuil de la dette externe dépasse 60%. Ainsi, les auteurs estiment que plus de la moitié des défauts concernant la dette externe des pays émergents depuis 1970 sont survenus à des niveaux coïncidant avec le critère de Maastricht de 60%.

A la lumière de ces résultats, la croissance du PIB de l’économie marocaine, n’étant pas parmi les économies émergentes, devrait présenter moins de tolérance envers la dette domestique et a fortiori à l’égard de la dette externe. Il convient alors de fixer ces limites de tolérance, étant donné le caractère erratique de la croissance au Maroc et inscrire, par conséquent, un seuil réaliste du ratio de la dette publique, notamment dans sa composante externe, dans la nouvelle loi organique relative à la loi de finances, pour prévenir les effets négatifs de l’endettement public sur la croissance du PIB.

---------------------------------------------------------------------------------------------------------------

(1) "A Chronic Problem: Ideas for reducing the debt burden", Buttonwood, The Economist (14/5/2016).

(2) "Zone euro: l’effet boule de neige inversé", Thibault Mercier, Eco Week (27/5/2016 – 16-20), BNP Paribas. En Espagne, par exemple, l’effet boule de neige est responsable de près de la moitié de l’augmentation de la dette publique/PIB entre 2011 et 2014. Ainsi, de forts excédents primaires étaient nécessaires pour stabiliser le ratio de la dette.

(3) "Bulle obligataire: personne ne nie qu’elle soutient l’économie, tant qu’elle n’a pas explosé", Patrick Artus, Flash Economie (23/5/2016 – N° 531), Natixis.

(4) "Quantitative Easing and Financial Stability", Michael Woodford, NBER Working Paper No. 22285 (May 2016).

(5) "Growth in a Time of Debt" Carmen M. Reinhart & Kenneth S. Rogoff, NBER Working Paper No. 15639(January2010).

Vous avez un projet immobilier en vue ? Yakeey & Médias24 vous aident à le concrétiser!

A lire aussi


Communication financière

AKDITAL: INDICATEURS ANNUELS AU 31 DÉCEMBRE 2023

Médias24 est un journal économique marocain en ligne qui fournit des informations orientées business, marchés, data et analyses économiques. Retrouvez en direct et en temps réel, en photos et en vidéos, toute l’actualité économique, politique, sociale, et culturelle au Maroc avec Médias24

Notre journal s’engage à vous livrer une information précise, originale et sans parti-pris vis à vis des opérateurs.